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Octroi pour une période antérieure à la saisine du CPAS

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 avril 2010, R.G. 2009/AB/51.676

Mis en ligne le mardi 21 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 14 avril 2010, R.G. n° 2009/AB/51.676

Free Clinic pour TERRA LABORIS ASBL - Vincent Decroly

Dans un arrêt du 14 avril 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les contours de l’obligation de collaboration dans le chef du demandeur d’aide sociale ainsi que les obligations du Centre dans l’instruction du dossier.

Les faits

Née en 1984, la requérante vit seule avec sa fille, belge, née en 2003 et handicapée mentale. Le père de son enfant déclare ne pouvoir l’aider à l’entretenir qu’occasionnellement.

Jusqu’au 14 février 2008, la requérante reçoit du CPAS de Saint-Gilles une aide sociale équivalente au RIS, au taux « famille à charge ».

Déménageant à Anderlecht le 15 février 2008, elle s’adresse, à une date non précisée dans l’arrêt, au CPAS de cette commune. Celui-ci n’accuse réception de cette demande que le 19 mars 2006, lors de la remise, par la requérante, de l’attestation de son changement d’adresse, délivrée par la commune.

Le 27 mai 2008, le CPAS prend une décision de refus pour manque de collaboration n’ayant pas permis d’établir la situation réelle de la requérante.

Position du tribunal

Le tribunal du travail a débouté la requérante, considérant qu’elle n’a pas établi s’être trouvée, pendant la période litigieuse, dans une situation ne lui permettant pas de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine.

Position des parties en appel

L’appelante sollicite l’aide à partir de la date de son déménagement (15 février 2008), et non à partir de celle à laquelle le CPAS a accusé réception de sa demande (19 mars 2008). Elle conteste le défaut de collaboration et dépose des nouvelles pièces relatives à son état de besoin.

Le CPAS demande la confirmation du jugement.

Position de la Cour

En ce qui concerne l’octroi de l’aide pour la période antérieure à la demande, la Cour rappelle que l’octroi de l’aide sociale ou du RIS implique l’introduction préalable d’une demande auprès du CPAS compétent (art. 58 de la loi du 8 juillet 1976 ; art 9, al.1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l’assuré social).

Elle relève toutefois que, vu l’objectif de la loi (« permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine ») et la consécration de cet objectif par l’art. 23 de la Constitution, la jurisprudence admet des circonstances particulières où l’aide peut, si elle est nécessaire pour vivre conformément à la dignité humaine, être accordée pour une période antérieure à la demande (C.T. Liège, sect. Namur, 20 mars 1995, R.G. n° 934608 ; T.T. Huy, 2e ch., 6 février 2002, R.G. n° 55 523 ; T.T. Dinant, 7e ch., 11 juin 2002, R.G. n° 62 144 ; T.T. Bruxelles, ch. vac., 26 juillet 2002, R.G. n° 30 491/02 et 32 406/02).

La Cour renvoie par ailleurs à des arrêts de cassation selon lesquels le droit à l’aide sociale naît dès qu’une personne se trouve dans une situation qui ne lui permet pas de mener une vie conforme à la dignité humaine, aucune disposition légale n’empêchant que cette aide soit rétroactivement accordée (Cass., 17 décembre 2007, S.07.0017.F, et 9 février 2009, S. 08. 0090. F). Elle en déduit que l’octroi « dépend de l’état de besoin et non de la date à laquelle cet état de besoin a été constaté ». La Cour s’appuie également sur sa propre jurisprudence : dans son arrêt du 19 février 2009, elle avait décidé que « les recours (…) ne peuvent aboutir, au seul motif de l’écoulement du temps, à priver un demandeur de l’aide à laquelle il a légalement droit » (R.G. n° 49 694).

En ce qui concerne le défaut de collaboration allégué par le CPAS, la Cour constate que l’unique document manquant selon celui-ci – une attestation d’inscription comme demandeuse d’emploi – n’était pas indispensable : la question de la disposition au travail n’avait jamais été soulevée et l’appelante, mère élevant seule une enfant handicapée, justifiait d’une raison d’équité la dispensant temporairement de rechercher du travail. Le CPAS n’avait en outre pas envoyé de rappel concernant ce document à son usagère, en dépit de l’art. 11 de la charte de l’assuré social.

Reste la question du « comportement agressif » qu’aurait manifesté l’appelante le 19 mai 2008, lors d’un entretien avec son assistante sociale. La cour cite un arrêt rendu le 11 janvier 2006 par la Cour du travail de Liège (Chron. Dr. soc., 2008, p. 96) où celle-ci a jugé qu’une attitude agressive ou menaçante du demandeur, éventuellement susceptible d’être sanctionnée pénalement, ne peut pas nécessairement être assimilée à un manque de collaboration.

En l’espèce, la Cour du travail de Bruxelles estime « le comportement agressif » non démontré et rappelle qu’il ne constitue pas un motif valable de refus de l’aide sociale. Elle ajoute que « le CPAS est bien malvenu de l’invoquer dans la présente affaire », la demande de l’appelante ayant été « particulièrement mal gérée » (souligné dans l’arrêt). « C’est ainsi, constate la Cour, que les documents à fournir ne lui ont été demandés que le 9 avril 2008, soit 3 semaines après la délivrance de l’accusé de réception et que, bien que des documents étaient en sa possession, à tout le moins, le 29 avril 2008, le CPAS a encore pris près de 4 semaines pour prendre une décision (et une semaine supplémentaire pour le notifier…)… ».

La Cour accorde donc à l’appelante l’aide demandée avec effet au 25 février 2008 (sous déduction de 430 € par mois, loyer impayé auquel son bailleur a renoncé).

Intérêt de la décision

La règle selon laquelle une aide ne peut être octroyée pour une période antérieure à la demande ou à l’accusé de réception de celle-ci n’est pas absolue. Par exemple, les lenteurs d’une administration communale pour acter le nouveau domicile d’un demandeur après son arrivée sur le territoire communal ne peuvent le pénaliser du point de vue de son droit à l’aide sociale.

Le « comportement agressif » que peut manifester un demandeur à l’égard d’un agent du CPAS ne constitue pas un motif suffisant de refus d’aide sociale, si le CPAS a manqué de façon caractérisée à ses obligations, par exemple en laissant s’écouler, entre l’accusé de réception de la demande et la date de l’altercation, plusieurs semaines au-delà du délai légal qu’il est censé respecter.

Bien entendu, cet arrêt ne permet nullement d’excuser, en général, un comportement agressif d’un demandeur : tout est question de circonstances et de proportion. En l’espèce, la Cour a estimé que le CPAS ne pouvait légitimement l’invoquer, considérant qu’il n’était pas prouvé et, apparemment, qu’une certaine crispation était compréhensible dans le chef de la demanderesse, vu le traitement particulièrement peu professionnel réservé à sa demande.


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