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Quels sont les pouvoirs du juge lorsque l’administration ne donne pas les motifs réels de sa décision ?

Commentaire de C. trav. Mons, 15 mars 2006, R.G. 18.083

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Mons, 15 mars 2006, R.G. 18.083

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

La cour du travail de Mons considère qu’il y a lieu à annulation pour défaut de motivation formelle. Les conséquences de cette annulation sont que le juge peut se substituer à l’administration pour apprécier le droit de la personne handicapée aux allocations.

Les faits

Une personne handicapée bénéficie de l’allocation de remplacement de revenus et d’intégration

Une décision de révision est prise, supprimant les allocations précédemment octroyées. La motivation particulièrement laconique est rédigée dans les termes suivants : « Le présent avis rectifie celui du 18 novembre 1992, lequel est à considérer comme nul et non avenu ». Suivent les références à la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux handicapés , à l’arrêté royal du 6 juillet 1987 portant exécution de la loi du 27 février 1987, ainsi qu’à la révision d’office effectuée précédemment.
Le texte poursuit : « motif de la révision : décision irrégulière ».

Sur la base de cette révision, une décision de récupération d’indu portant sur cinq années d’arriérés est ensuite notifiée, l’administration considérant que des manœuvres frauduleuses ont été constatées.

La position de l’administration s’expliquera, après coup, par la découverte d’une fraude organisée aux allocations aux personnes handicapées, fraude rendue possible grâce à la production d’attestations médicales falsifiées par des médecins avec la complicité d’un inspecteur de l’administration. La révision est intervenue, dans le cas d’espèce, au motif qu’un des médecins poursuivis était intervenu dans le dossier de l’intéressé.

La décision du tribunal

Le tribunal annule la décision administrative pour défaut de motivation puis se reconnaît une compétence de pleine juridiction et examine les droits de l’assuré social. Après avoir relevé que la révision d’office était légalement possible à partir de la date d’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 26 septembre 1995 (qui a instauré deux nouveaux cas de révision d’office, dont celui où la décision est entachée d’irrégularité) le premier juge admet qu’il y a lieu de procéder à cette révision, étant donné l’irrégularité dont est affectée la décision antérieure. Vu le dossier médical de l’intéressé, qui ne permet par ailleurs pas de reconnaître le droit aux allocations pendant la période concernée, il condamne l’assuré social au remboursement de l’indu, celui-ci était restreint à la période postérieure à l’entrée en vigueur dudit arrêté.

La position des parties

L’intéressé estime que le tribunal a violé le principe de la séparation des pouvoirs, en ce que, après avoir constaté la nullité de la décision, il statue à nouveau en lieu et place de l’administration.

L’Etat Belge considère, par contre, que le juge doit tirer les conséquences du défaut de motivation et ainsi se substituer à l’administration pour se prononcer sur la légalité de la révision d’office.

La décision de la cour

Sur l’obligation de motivation, la cour rappelle que la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs prévoit que les actes des autorités administratives doivent faire l’objet d’une motivation formelle, que la motivation exigée consiste en l’indication, dans l’acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision et qu’elle doit être adéquate.

La cour constate qu’aucun des motifs réels ne transparaît dans les décisions litigieuses de révision et de récupération et qu’une simple référence à un élément de fait n’est pas suffisante. Ainsi, les décisions litigieuses ne répondent pas aux exigences posées par la loi du 29 juillet 1991

La cour conclut ainsi à leur annulation, retenant que l’exigence de motivation formelle revêt un caractère substantiel et que le défaut de motivation constitue un vice de forme entraînant la nullité de l’acte.

Quant aux pouvoirs du juge, une fois la décision annulée, la cour relève qu’en vertu de l’article 582,1° du Code judiciaire, la juridiction du travail connaît des contestations relatives aux droits en matière d’allocations aux personnes handicapées. Dès lors que l’assuré social conteste la décision administrative, une contestation naît entre la personne et l’administration concernée et la juridiction saisie doit apprécier le droit de la personne aux allocations.

Ainsi, saisie d’une telle contestation, la juridiction du travail exerce un contrôle de pleine juridiction sur la décision prise, dans le respect des droits de la défense et du cadre de l’instance tel que les parties l’ont déterminé. De sorte, tout ce qui relève du pouvoir d’appréciation de l’administration concernée est soumis au contrôle du juge.

La cour confirme dès lors le jugement. Elle ordonne une réouverture des débats afin d’examiner notamment l’incidence sur l’issue du litige des dispositions introduites par l’arrêté royal du 5 juillet 1998 pris en exécution de la Charte de l’assuré social.

Intérêt de la décision

La décision est essentiellement consacrée à la question de la motivation des décisions administratives.

La cour applique en matière d’allocations aux personnes handicapées les exigences posées par la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

Cette obligation doit permettre non seulement de garantir ce droit fondamental qu’a l’assuré social d’être informé des motifs ayant conduit à la décision le concernant mais également de contraindre l’autorité publique à fournir au juge une base solide à son contrôle de légalité.

La loi du 11 avril 1995 instituant la Charte de l’assuré social a également repris une obligation de motivation dans les matières de sécurité sociale, son article 13 précisant notamment pour les décisions sur les demandes de prestations que les décisions d’octroi d’un droit, d’un droit complémentaire, de régularisation d’un droit, ou de refus de prestations sociales, visées (aux articles 10 et 11) doivent être motivés.

Le contenu de cette motivation n’étant pas autrement précisé, la jurisprudence se réfère à celle définie dans le cadre de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs. En effet, la loi sur la motivation formelle s’applique aux régimes particuliers moins contraignants (article 6).

Dans le cas d’espèce, si la cour relève qu’aucun des motifs réels ne transparaît dans les décisions litigieuses, elle rappelle ainsi que la motivation doit être mentionnée dans le corps de l’acte et qu’il ne peut être suppléé à l’absence de motivation par des explications données a posteriori. De même, une simple référence à un élément de fait ne peut être suffisant puisque la loi exige que dans l’acte, soient indiquées les « considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision » et que la motivation soit adéquate, en ce sens qu’il ne suffit pas de faire référence aux faits et de mentionner les règles juridiques appliquées, encore faut-il indiquer comment et pourquoi ces règles juridiques conduisent à partir des faits mentionnés à prendre cette décision.

La cour rappelle en outre que la motivation formelle constitue une formalité substantielle, dont le défaut doit entraîner la nullité de l’acte.

Quant au pouvoir du juge, sa saisine est limitée par l’objet de la demande et le cadre de l’instance fixés par les parties. Cependant, saisi d’un recours en matière de sécurité sociale, comme le rappelle la cour, il doit statuer sur une contestation relative aux droits et obligations d’un assuré social. Aussi dans le cadre de l’objet de la demande qui vise une prestation sociale, il n’est pas seulement saisi d’un contrôle de légalité de la décision litigieuse, il doit également se prononcer sur des droits subjectifs relatifs à la reconnaissance ou l’octroi de la prestation. Dans ce cas, le juge ne peut qu’exercer un contrôle de pleine juridiction sur la décision prise par l’institution de sécurité sociale et, le cas échéant, se substituer à elle pour se prononcer sur le droit à la prestation sociale. Tel est forcément le cas lorsque la décision administrative ne respecte pas l’exigence de motivation formelle. La décision étant illégale pour fonder une décision de refus ou de limitation du droit à la prestation sociale, le juge doit statuer sur le droit subjectif de l’assuré social dont les conditions sont définies par la loi.

Précisons toutefois que la situation est différente lorsque l’institution de sécurité sociale dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’appréciation, une faculté lui étant donnée d’agir. Ne pouvant exercer ici qu’un contrôle marginal, le juge ne peut pas dans ce cas la priver de son pouvoir d’appréciation, ni se substituer à elle, sous peine de violer le principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, en matière d’allocation de chômage, en cas d’annulation de la décision contenant une sanction administrative, le juge n’a pas le pouvoir d’infliger une sanction remplaçant la sanction annulée.

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