Terralaboris asbl

Maternité et protection contre le licenciement : précisions en matière de preuve

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 mars 2010, R.G. 2008/AB/51.533

Mis en ligne le vendredi 17 septembre 2010


Cour du travail de Bruxelles, 24 mars 2010, R.G. n° 2008/AB/51.533

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles de preuve applicables à la communication de l’état de grossesse, la notification du motif de licenciement et le caractère de motif étranger. Sur ce dernier point, la Cour rappelle la rigueur d’usage et précise le contenu de l’obligation de preuve en cas de motif économique.

Les faits

Madame V. est occupée depuis juillet 2005 aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée. Celui-ci précise que le lieu de travail est variable. La société dispose de plusieurs sièges d’exploitation.

Le 23 janvier 2006, Madame V. adresse un courrier recommandé à l’employeur, l’avisant de son état de grossesse ainsi que de la date prévisible de l’accouchement (juillet 2006). L’envoi recommandé est adressé au siège administratif de l’employeur, soit à l’endroit où devait être adressé l’ensemble des documents administratifs, tels que les certificats médicaux ou les demandes de congé.

Elle est licenciée par lettre recommandée du 26 janvier 2006, moyennant le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de sept jours, la clause d’essai étant toujours en cours.

Après mise en demeure de l’organisation syndicale de l’intéressée, l’employeur justifie le motif de licenciement, comme imposé par l’article 40, alinéa 3 de la loi du 16 mars 1971, comme suit : « réorganisation des services ». La société indique par ailleurs avoir été dans l’ignorance de l’état de grossesse de la travailleuse au moment où la décision de licenciement a été notifiée.

Madame V. introduit une procédure devant le tribunal du travail de Bruxelles, sollicitant la condamnation de l’employeur au paiement de l’indemnité de protection visée par l’article 40 de la loi du 16 mars 1971.

Position du tribunal

Le tribunal fait droit à cette demande, relevant tout d’abord que la chronologie rend le licenciement suspect, puisque celui-ci intervient quelques jours après l’information de la grossesse. Quant à la réception de celle-ci, le tribunal écarte l’explication de l’employeur, estimant inconcevable que l’envoi recommandé n’ait pas été porté à la connaissance de la gérante de la société. Quant au motif de licenciement, le tribunal estime que le motif étranger n’est pas établi. L’employeur invoque, en effet, que la travailleuse avait été engagée en remplacement d’une autre travailleuse en interruption de carrière, laquelle aurait manifesté son souhait de reprendre le travail, rendant le licenciement de Madame V. inévitable. Le tribunal estime que pareille situation ne constitue pas un motif étranger à l’état de grossesse, dès lors que l’employeur aurait pu recourir à la formule du contrat de remplacement, ce qui n’a volontairement pas été fait.

Position des parties en appel

Madame V. sollicite la confirmation du jugement.

L’employeur, quant à lui, fait valoir que la preuve de la connaissance de l’état de grossesse dans le chef de la personne investie de l’autorité patronale n’est pas rapportée dès lors que celle-ci n’aurait pas pris connaissance de l’envoi recommandé au siège administratif de la société. Par ailleurs, il estime rapporter la preuve d’un motif étranger à l’état de grossesse, dès lors que Madame V. aurait été parfaitement au courant qu’elle avait été engagée en remplacement d’une autre travailleuse et que c’est l’incertitude quant à la reprise du travail de celle-ci qui a justifié la conclusion d’un travail à durée indéterminée et non d’un contrat de remplacement. La nécessité de fonctionnement invoqué est donc le retour inopiné de la travailleuse « remplacée », entraînant la nécessité de licencier l’une des deux, dès lors que le volume des activités de l’entreprise ne justifiait pas l’occupation de deux personnes dans la même fonction.

Position de la Cour

Sur le plan des principes, la Cour rappelle que l’article 40 de la loi du 16 mars 1971 organisant la protection contre le licenciement des femmes enceintes ou accouchées impose deux preuves, l’une incombant à la travailleuse (obligation d’établir qu’elle a informé l’employeur de l’état de grossesse) et l’autre à l’employeur (obligation de prouver l’existence d’un motif étranger à l’état physique résultant de la grossesse ou de l’accouchement). La Cour précise que, eu égard à l’objectif de la réglementation et à l’importance de l’indemnité, les deux éléments de preuve doivent être examinés avec rigueur.

Quant à l’obligation d’information, il appartient à la travailleuse d’apporter la preuve effective d’une communication de celle-ci mais il ne lui incombe pas de prouver que l’information a effectivement été réceptionnée par le destinataire, soit la personne investie d’une part de l’autorité patronale. En l’espèce, la Cour retient l’envoi d’une lettre recommandée au siège administratif de la société où tous les documents devaient être adressés, recommandé qui, n’ayant pas été retourné, a donc été délivré. Elle estime que cet envoi recommandé prouve la communication, soit l’élément de preuve à charge de la travailleuse, et que l’on ne peut faire dépendre la protection d’une éventuelle désorganisation au sein de la société quant à la distribution du courrier. La Cour épingle encore que la lettre recommandée de licenciement est partie de la même localité que celle où est installé le siège administratif.

Estimant ainsi que le mécanisme de protection de la femme enceinte était activé au moment du licenciement, la Cour examine l’existence du motif étranger à l’état physique de grossesse ou d’accouchement et rappelle les éléments des travaux préparatoires ainsi que la doctrine existant sur la question. Elle précise par ailleurs que, lorsque le motif est d’ordre économique, la jurisprudence l’admet pour autant que la nécessité d’une restructuration impliquant une réduction du personnel est établie et que cette diminution est elle-même impérative. La Cour souligne ainsi la nécessité d’établir une relation causale entre les faits étrangers à l’état de grossesse ou d’accouchement invoqués au titre de motif et la décision de licenciement.

La Cour souligne en outre que, en vertu de l’article 40, alinéa 3 de la loi du 16 mars 1971, l’employeur est tenu de communiquer le motif du licenciement à la demande de la travailleuse et qu’il est tenu par ce motif, ne pouvant plus en invoquer d’autres ultérieurement.

Sur le plan des faits, elle constate que le motif allégué (réorganisation de services) lors de la demande de communication de celui-ci ne précise nullement que Madame V. avait été engagée en replacement d’une autre travailleuse (situation qui aurait appelé la signature d’un contrat de remplacement) ni encore que le retour de cette personne aurait entraîné nécessairement une réorganisation des services. La Cour relève par ailleurs qu’aucun élément n’est communiqué sur le volume d’activités de la société et, dès lors, sur la nécessité de la réorganisation invoquée d’autant que celle-ci dispose de plusieurs sites d’exploitation et que le contrat de travail prévoit spécifiquement une possibilité de mobilité entre ces différents sites.

Faute donc de preuve d’un lien de causalité entre le motif allégué et le licenciement, le retour de la travailleuse prétendument remplacée ne peut être considéré comme un motif étranger à l’état de grossesse ou l’état physique résultant de celui-ci. Elle confirme donc le jugement en ce qu’il a condamné l’employeur au paiement de l’indemnité de protection.

Intérêt de la décision

L’arrêt reprend les principes applicables en matière de charge de la preuve, pour l’activation du renversement de la charge de la preuve prévu par l’article 40 ainsi qu’en matière de motif étranger.

Il présente par ailleurs un autre intérêt, étant l’analyse des éléments permettant de prouver l’existence d’un motif étranger, notamment en cas de circonstances d’ordre économique, l’arrêt soulignant à juste titre la nécessité d’établir le lien causal entre le fait étranger allégué et la décision de licencier.

Enfin, la Cour rappelle que l’employeur ne peut invoquer un autre motif que celui communiqué à la travailleuse en application de l’article 40, alinéa 3 de la loi, situation bien plus confortable que dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 par exemple, vu l’absence d’obligation de motivation formelle du licenciement et ses conséquences sur l’examen du motif.


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