Terralaboris asbl

Réduction de la pension prise par anticipation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 janvier 2010, R.G. 2009/AB/51.953

Mis en ligne le lundi 19 juillet 2010


Cour du travail de Bruxelles, 8 janvier 2010, R.G. n° 2009/AB/51.953

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 8 janvier 2010, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la pension des indépendants prise par anticipation peut être réduite sans violer le principe constitutionnel d’égalité avec les travailleurs salariés

Les faits

Un travailleur indépendant prend sa pension de retraite à l’âge de 60 ans. Ses droits en matière de pension sont revus ultérieurement, à l’occasion du décès de son épouse.

L’INASTI fixera alors la pension dans le régime indépendant à un montant de l’ordre de 4.350€ par an (l’intéressé ayant une carrière de 15/45es dans le régime des travailleurs salariés), refusant par ailleurs l’octroi d’une pension de survie.

Recours est introduit par l’intéressé qui fait valoir que la réduction de sa pension (25%) ne se justifie pas au motif qu’il a cotisé pendant 46 ans alors qu’il suffit de 45 ans pour que la carrière soit complète et que, par ailleurs, il a arrêté son activité à 60 ans à cause d’un problème de santé (asthme aggravé).

Position de la Cour

L’intéressé ayant été débouté en première instance et ayant interjeté appel, la Cour du travail est saisie du litige, sur la base des deux éléments ci-dessus.

La Cour va successivement trancher la question de la carrière et celle de la réduction pour anticipation.

En ce qui concerne la carrière professionnelle, le demandeur établit une carrière d’indépendant de 29 ans dans le secteur des indépendants. La période du service militaire (trop ancienne pour être prise en compte ici) est valorisée dans le cadre de la pension ONP.

Pour ce qui est de la réduction par anticipation, la Cour constate que l’argument essentiel de l’intéressé est lié à l’état de santé, celui-ci faisant valoir qu’il a été contraint de prendre sa pension de retraite pour des raisons de santé, et ce à l’âge de 60 ans.

Pour la Cour, deux approches de cette question sont possibles étant d’une part l’incidence des motifs de santé sur la décision de solliciter une pension anticipée et d’autre part la différence de traitement entre les salariés (qui ne subissent plus de réduction pour anticipation) et les indépendants.

S’agissant d’une pension dans le régime des travailleurs indépendants, il faut se référer à l’arrêté royal du 30 janvier 1997, qui précise que, si l’âge de la pension est de 65 ans, celle-ci peut néanmoins prendre cours plus tôt mais pas avant le 1er jour du mois suivant le 60e anniversaire. Dans l’hypothèse de l’anticipation, il y a une réduction de 5% par an. Un calcul est effectué (aux fins de fixer le coefficient de réduction). Celui-ci est dégressif. Cette possibilité d’anticipation est cependant subordonnée à l’exigence d’une carrière suffisante.

Si, pour les pensions prenant cours pour la première fois au 1er janvier 2009, il y a une carrière d’au moins 42 années civiles, il n’y aura pas de réduction pour anticipation.

Ce système – actuel – ne peut cependant bénéficier au demandeur, qui a une pension de retraite antérieure au 1er juillet 1997. L’article 3, §1er de l’arrêté royal n° 72 du 10 novembre 1967 lui est dès lors applicable, étant la possibilité pour les hommes de prendre leur retraite avant l’âge de 65 ans mais avec réduction de 5% par année d’anticipation.

En ce qui concerne l’incidence de motif de santé, la Cour retient que le motif pour lequel la pension anticipée est prise est sans incidence pour le calcul de celle-ci.

En ce qui concerne, enfin, la différence de traitement entre travailleurs salariés et indépendants, la Cour relève la suppression de la réduction pour anticipation depuis la loi du 20 juillet 1990 instaurant un âge flexible de la retraite pour les travailleurs salariés. A l’occasion de l’introduction de l’âge flexible de prise de cours de la pension légale, il y a, ainsi, eu suppression de la réduction pour anticipation. La Cour examine alors longuement la question d’une discrimination éventuelle entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants et reprend les principes habituels du contrôle des principes d’égalité et de non discrimination, étant qu’il y a lieu de vérifier successivement (i) si les catégories de personnes se trouvent dans des situations comparables, (ii) si le critère de distinction est objectif, (iii) si la différence de traitement répond à un objectif légitime, (iv) si la mesure est pertinente par rapport aux objectifs poursuivis et (v) si la mesure n’a pas d’effet disproportionné.

Elle reprend également la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, en plusieurs arrêts, qui a réaffirmé les différences fondamentales entre les travailleurs indépendants et les travailleurs salariés ainsi que les fonctionnaires en ce qui concerne les régimes de sécurité sociale. Ces différences ne permettent pas de comparer ces catégories de travailleurs à tous égards. Peut cependant faire l’objet de comparaison l’examen de questions communes.

La Cour s’appuie également sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt GAYGUSUZ et KOUA POIRREZ notamment), selon laquelle les prestations sociales constituent un droit patrimonial protégé par l’article 1er du Premier protocole et la garantie de ce droit réside dans le principe de non discrimination de l’article 14 de la Convention, ce qui entraîne que seules des considérations très fortes peuvent justifier une différence de traitement dans l’octroi de prestations sociales.

Se pose cependant, dans le cadre de cet examen, une question à laquelle la Cour doit répondre, étant que, pour le demandeur originaire, la réduction pour anticipation pourrait être considérée comme ayant pour effet de lui faire perdre le bénéfice de certaines cotisations, circonstances qui ne seraient plus d’application pour les salariés. Cette question est à examiner par référence à la jurisprudence relative à l’article 1er du Premier protocole.

La Cour relève également la possibilité de poser une question à la Cour Constitutionnelle, qui est compétente pour la vérification de la constitutionalité d’un texte légal mais non un arrêté réglementaire. Elle devrait, dès lors, trancher la question elle-même. Cependant, elle relève encore une question préalable, étant que l’arrêté royal n° 72 a été pris sur la base de la loi du 31 mars 1967 attribuant certains pouvoirs au Roi en vue d’assurer la relance économique, l’accélération de la reconversion régionale et la stabilisation de l’équilibre budgétaire. Se pose ainsi la question de savoir si en fin de compte les dispositions de l’arrêté royal n° 72 relatif à la réduction par anticipation émanent d’un acte du législateur ou d’un acte réglementaire, la Cour relevant que la loi du 31 mars 1967 ne prescrivait pas que les arrêtés pris sur cette base dussent être confirmés.

Intérêt de la décision

Si l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles ci-dessus ne tranche pas définitivement la question de savoir s’il y a lieu de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, il contient cependant un important rappel de l’évolution des dispositions en la matière, tant dans le secteur des salariés que des indépendants.

Affaire à suivre donc …


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