Terralaboris asbl

Perception d’allocations d’interruption de carrière et exercice d’une activité indépendante : compatibilité ?

Commentaire de C. trav. Liège, section de Namur, 6 avril 2010, R.G. 2009/AN/8.831

Mis en ligne le lundi 19 juillet 2010


Cour du travail de Liège, section de Namur, 6 avril 2010, R.G. n° 2009/AN/8.831

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 6 avril 2010, la Cour du travail de Liège (section Namur) rappelle les conditions dans lesquelles la perception d’allocations d’interruption peut se combiner avec l’exercice d’une activité en qualité de travailleur indépendant.

Les faits

Une dame V. fonde une sprl dont elle détient toutes les parts et dans laquelle elle est gérante. Il s’agit d’un mandat gratuit.

Par ailleurs, elle travaille à temps plein dans le secteur bancaire.

Elle introduit une demande d’allocations d’interruption de carrière en 2000, sans mentionner l’exercice de l’activité en qualité d’indépendante. Elle obtient la prolongation de l’interruption de carrière jusqu’en août 2005.

En mai 2006, l’INASTI informe l’ONEm que l’intéressée exerce un mandat dans une société commerciale et que de ce fait elle est assujettie au statut social des travailleurs indépendants, étant par ailleurs affiliée auprès d’une caisse d’assurances sociales depuis de longues années.

L’ONEm va prendre deux décisions, la première en date du 4 juillet 2006, maintenant le droit aux allocations d’interruption pendant un an (article 14 de l’arrêté royal du 2 janvier 1991) et suppression ensuite vu la non déclaration de l’activité en qualité de travailleur indépendant ; dans la seconde décision, du 14 septembre 2006, est fixé le montant de l’indu à récupérer (plus de 20.000€).
Position du tribunal du travail

Le tribunal retient l’obligation de la déclaration préalable en cas d’exercice d’une activité indépendante, et ce au moment de la demande. Il y a dès lors confirmation de la décision de même que refus d’appliquer la renonciation prévue à l’article 18 de l’arrêté royal du 12 décembre 2001, le tribunal considérant sur cette deuxième question que la bonne foi n’est pas établie et que, si la déclaration avait été effectuée à temps, les allocations n’auraient pas pu être versées.

Position des parties en appel

La demanderesse originaire se fonde essentiellement sur l’argument de l’absence de revenus produits par l’activité indépendante.

Pour elle, à défaut de revenus, il n’y avait pas lieu à déclaration. En outre, il s’agissait d’une activité exercée avant la demande des allocations d’interruption, ce qui exclut l’application de l’article 8. Enfin, elle estime pouvoir bénéficier de la renonciation.

Position de la Cour

La Cour du travail commence par rappeler les principes en matière d’allocations d’interruption, étant essentiellement la loi de redressement du 22 janvier 1985 et l’arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption. À ces dispositions initiales sont venues s’ajouter celles de l’arrêté royal du 12 décembre 2001 pris en exécution du chapitre IV de la loi du 10 août 2001 relative à la conciliation entre l’emploi et la qualité de vie concernant le système du crédit-temps et qui règle notamment les questions d’interdiction de cumul.

Appliquant ces principes, la Cour retient d’abord qu’il ressort de l’ensemble de ces textes que l’activité d’indépendant correspond à celle qui oblige la personne concernée à s’inscrire auprès de l’INASTI ou d’une caisse. Une telle affiliation est indispensable dès qu’une activité est exercée et, pour les mandataires de sociétés, ceux-ci sont présumés (de manière irréfragable ou non – comme le relève la Cour, rappelant la jurisprudence en la matière) exercer une activité professionnelle en tant qu’indépendant et la Cour relève encore qu’un associé actif, de par le seul fait de son activité d’associé, est assujetti même s’il prouve que son mandat est gratuit et ne justifierait donc pas son assujettissement de ce fait.

Vu la période couverte, à savoir avant et après le 1er janvier 2002, la Cour reprend les deux contextes réglementaires applicables.

Dans la réglementation initiale, étant l’arrêté royal du 2 janvier 1991, les allocations peuvent être cumulées avec les revenus tirés d’une activité d’indépendant pendant 1 an maximum. Pour la Cour il s’agit dès lors d’une condition de cumul non d’activités mais de revenus. Elle constate qu’il ne s’agit pas, dans le système des allocations d’interruption, de garantir un niveau de vie au bénéficiaire de celles-ci. Ainsi, le montant des revenus d’indépendant est indifférent, de même que l’existence d’une perte et, par ailleurs, dans le cadre du statut social, il ne faut pas confondre les revenus et le bénéfice. Au sens du statut social, une activité d’indépendant génère des revenus professionnels même en l’absence de profit et même s’il a perte.

Il faut dès lors conclure que l’activité est visée, qu’elle produise ou non un bénéfice.

La Cour relève encore que les allocations d’interruption n’ont pas pour objet de financer l’exercice d’une activité indépendante, situation qui créerait une discrimination entre les indépendants qui en bénéficient et ceux qui n’y ont pas droit. Le but est au contraire de permettre à un (ancien) salarié de se lancer dans la carrière d’indépendant à temps plein tout en évitant une concurrence déloyale entre les indépendants, et ce par l’octroi limité dans le temps (deux ans, puis un an) desdites allocations.

Le non respect de l’obligation de déclaration entraîne le recouvrement des allocations d’interruption.

Dans le système en vigueur depuis le 1er janvier 2002, les règles restent inchangées et la Cour relève qu’un arrêté royal du 8 juin 2007 est venu supprimer toute référence à la notion de revenu pour s’en tenir à celle d’exercice de l’activité.

Il y a dès lors lieu à récupération.

La Cour constate l’absence de règles spécifiques à la matière pour ce qui est de la récupération et de la renonciation à l’indu. L’arrêté royal du 12 décembre 2001 (art. 8, § 1er) donne au Ministre la compétence de prendre des initiatives en ce sens mais, en l’absence d’arrêté ministériel, la Cour constate qu’elle doit appliquer les règles générales étant que l’indu doit être intégralement récupéré et que la renonciation relève du pouvoir discrétionnaire de l’administration. Le pouvoir judiciaire est, sur cette dernière question, cependant en droit d’exercer un contrôle de légalité – faute de pouvoir décider de la renonciation en lieu et place de l’administration.

La Cour doit encore examiner la question de la prescription, la situation ayant perduré pendant plusieurs années. Ici encore elle relève qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne précise un délai de prescription spécifique ni encore des règles de rétroactivité en cas de révision.

La Cour rappelle ici l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 février 2003 (C.A. 12 février 2003, n° 25/2003), selon lequel les allocations d’interruption ne diffèrent pas des autres prestations sociales à un point qui justifierait un délai différent en matière de récupération d’indu. La Cour en déduit que l’on peut également admettre d’autres règles spécifiques, étant l’interruption de la prescription par l’envoi de la décision par laquelle l’indu est constaté, mode d’interruption qui, cependant, vu l’article 7, § 4 de l’arrêté loi du 28 décembre 1944, doit intervenir par envoi recommandé.

Reste enfin une dernière question, étant l’application de la Charte de l’assuré social. Cette question est débattue en jurisprudence et les parties ne se sont pas expliquées sur celle-ci, non plus que sur la prescription. La Cour ordonne dès lors une réouverture des débats sur ces points limités.

Intérêt de la décision

La décision de la Cour du travail ci-dessus reprend quelques problèmes spécifiques à la matière des allocations d’interruption et rappelle notamment l’exigence de la déclaration d’activité de travailleur indépendant – chose importante puisque, dans la logique, des allocations d’interruption servent assez souvent afin de tenter une réorientation professionnelle.


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