Terralaboris asbl

Saisie des allocations de chômage et droit à une aide sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 mars 2010, R.G. 2009/AB/52.483

Mis en ligne le lundi 7 juin 2010


Cour du travail de Bruxelles, 4 mars 2010, R.G. n° 2009/AB/52.483

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 4 mars 2010, la Cour du travail de Bruxelles, rappelle qu’en cas d’indigence et que si la situation financière de l’ayant-droit le justifie, une aide sociale peut lui être accordée ainsi, dans l’hypothèse d’une saisie complète des allocations de chômage.

Les faits

Un père de famille, au chômage, divorcé, fait l’objet d’une saisie totale de ses allocations, pour non paiement de pension alimentaire. Il cohabite avec une étudiante. Il se tourne vers le CPAS qui, dans un premier temps et vu l’urgence, lui accorde des tickets alimentaires (84€). Le CPAS prend, ensuite, six décisions sur une période de trois mois et demi, d’une part accordant des tickets alimentaires mais d’autre part refusant le revenu d’intégration au taux cohabitant au motif que ceci aboutirait à annuler la décision prise « à (son) égard par la justice ». La compagne du demandeur percevra un revenu d’intégration au taux cohabitant, tenant compte des allocations familiales qu’elle perçoit. Une intervention financière de minime importance est également accordée.

L’intéressé introduit initialement un recours contre la première décision et, en cours d’instance, étend celui-ci aux décisions ultérieures qui ne lui sont pas favorables.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Wavre rend un jugement le 2 août 2009, confirmant la décision du CPAS en ce qu’il refuse le revenu d’intégration au taux cohabitant. Il alloue cependant une aide sociale équivalente à celui-ci, sous déduction des aides sociales allouées.

Moyens des parties en appel

Le CPAS interjette appel, faisant grief au premier juge d’avoir statué ultra petita, l’intéressé n’ayant pas formulé de demande d’aide sociale mais uniquement de revenu d’intégration sociale. Il conteste, par ailleurs, le droit de ce dernier à une telle aide.

Il conclut au débouté de la demande et à la confirmation des décisions du comité spécial du service social.

Quant à l’intéressé, il demande de confirmer le jugement et sollicite par ailleurs des dommages et intérêts pour appel vexatoire.

La position de la Cour du travail

En ce qui concerne l’objet de la demande, la Cour constate que, en allouant une aide sociale alors que c’était le revenu d’intégration sociale qui était demandé, le premier juge n’est pas sorti du cadre de sa saisine. La Cour rappelle que le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties à la demande. Le juge est tenu par l’objet de celle-ci et doit en conséquence trancher conformément à la règle de droit applicable au litige. Dans cet examen il doit soulever d’office les moyens de droit qui permettront de solutionner celui-ci.

La Cour rappelle que le pouvoir du juge du fond de suppléer d’office au motif invoqué est soumis à une condition : le respect des droits de la défense. La Cour rappelle ici la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l’arrêt du 28 mai 2009 (Cass., 28 mai 2009, C.06.0248.F).

Parmi les droits de défense figure le principe du contradictoire et, réexaminant les conclusions du demandeur, la Cour constate que celui-ci s’est adressé au CPAS en vue de réclamer une aide sociale et n’a nullement limité sa demande au revenu d’intégration.

Par ailleurs, la Cour rejette l’argument du CPAS selon lequel il y aurait une exigence de préalable administratif. Elle rappelle que, si la demande porte sur une aide financière, dans le chef d’une personne admissible au revenu d’intégration, le CPAS est tenu d’examiner d’emblée et d’initiative la demande sous cet aspect et, si les conditions du revenu d’intégration ne sont pas remplies mais qu’une aide sociale peut être octroyée, le CPAS est tenu d’examiner d’initiative la demande dans le cadre d’une telle aide.

Par ailleurs, en ce qui concerne les ressources à prendre en compte, la Cour considère, contrairement au CPAS, qu’il n’y a pas lieu d’intégrer le montant saisi des allocations de chômage. Elle précise que l’argument est sans pertinence. L’examen doit en effet porter sur la constatation – ou non – d’un état de besoin et seule compte la preuve de celui-ci.

La Cour renvoie à sa propre jurisprudence (C. trav. Bruxelles, 17 avril 2008, R.G. 50.028) pour réaffirmer que le RIS et l’aide sociale sont deux instruments légaux permettant d’assurer tous deux, dans le cadre de régimes non contributifs, le droit pour chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Mais ces deux instruments relèvent d’objectifs différents et sont gouvernés par des textes distincts, la loi du 8 juillet 1976 ayant pour seul critère la dignité humaine. Celui-ci doit faire l’objet dans chaque cas, d’une appréciation individualisée.

La Cour rappelle encore que la loi du 26 mai 2002 n’a pas entendu écarter l’application, à titre subsidiaire, de la loi du 8 juillet 1976 dès lors qu’un demandeur ne serait pas dans les conditions pour bénéficier du revenu d’intégration. La Cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 mars 2006 (C. Const., arrêt 45/2006 du 15 mars 2006, considérant B.6.2). L’on ne peut, dès lors, conclure au refus d’une aide financière au motif de la saisie totale des revenus du demandeur.

Par ailleurs, en ce qui concerne la situation du ménage, que le CPAS demande à prendre en compte, la Cour retient que, après examen de celle-ci, même l’aide accordée à la compagne ne suffit pas à rencontrer les besoins du ménage lui-même, celui-ci disposant au maximum par mois de 370€ environ + 295€ de tickets alimentaires et paiement de la moitié de loyer et de frais de logement.

La Cour constate encore que l’intéressé met tout en œuvre afin de faire cesser la situation dans laquelle il se trouve et qu’il est de bonne foi. En conséquence, elle lui alloue le revenu d’intégration sociale au taux cohabitant sous réserve de ce qui a déjà été accordé. Elle rejette cependant la demande de dommages et intérêts, les circonstances de l’espèce ne faisant pas apparaître le caractère vexatoire de l’appel du CPAS.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles rappelle une nouvelle fois que les conditions d’octroi du revenu d’intégration sociale et de l’aide sociale sont différentes. Par ailleurs, elle examine, très logiquement, dans le cadre du droit à l’aide sociale, si les seuls critères requis par celle-ci sont réunis, étant l’état de besoin – et ce sans considération quant à l’origine de la situation vécue par le demandeur.


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