Terralaboris asbl

Incidence de la présomption légale de causalité sur le point de départ de la prescription

Commentaire de Cass., 8 février 2010, R.G. S.09.0029.F

Mis en ligne le mercredi 2 juin 2010


Cour de cassation, 8 février 2010, R.G. S.09.0029.F

TERRA LABORIS ASBL – Sophie REMOUCHAMPS

Dans un arrêt du 8 février 2010, la Cour de cassation est amenée à rappeler que la présomption légale de causalité édictée par l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 (et 2, alinéa 4 de la loi du 3 juillet 1967) ne bénéficie qu’à la victime de l’accident (ou ses ayants-droits) et ne peut donc être invoquée que par elle. Dans le cas d’espèce, la Cour du travail avait appliqué la présomption pour déterminer le point de départ du délai de prescription. C’est sur cette motivation que l’arrêt est cassé.

Rétroactes

Monsieur D. occupait la fonction d’Inspecteur de police. Le 4 mai 1999, il se rendit sur les lieux d’un incendie et assista à une explosion, entrainant la mort d’un de ses collègues. En état de choc, il fut pris en charge par le bureau d’aide aux victimes et une équipe de psychologues de l’Hôpital militaire. Outre un choc émotionnel, il développa, quelques mois après les faits, d’autres symptômes, dont des épisodes d’hypersomnolence.

Par ailleurs, il connut une période d’incapacité de travail en août 1999, liée à des troubles pulmonaires. Selon l’intéressé, ces troubles étaient sans relation causale avec les faits du 4 mai 1999.

En août 2001, il fut mis en incapacité de travail en raison des symptômes d’hypersomnolence (endormissements diurnes incontrôlables). L’incapacité débuta le 1er août 2001. C’est également à ce moment que le lien entre les symptômes justifiant l’incapacité de travail et le stress post-traumatique lié aux événements du 4 mai 1999 fut mis en évidence.

L’intéressé connut, à dater du 1er août 2001, de nombreuses périodes d’incapacité de travail. Le 24 octobre 2002, il sollicita de la Zone de police la régularisation de la situation sur le plan de l’accident du travail.

Il s’avère qu’aucune démarche n’avait été effectuée à la suite des événements du 4 août 1999, de sorte qu’aucune décision du Collège des Bourgmestre et Echevins de la Commune (alors compétente) n’avait été prise. L’intéressé introduisit dès lors, par courrier du 27 décembre 2002, une demande auprès du Bourgmestre afin que la déclaration d’accident du travail soit rédigée et adressée au réassureur. Celui-ci se prononça sur la demande en juillet 2003, faisant valoir que les conditions d’application de la loi (3 juillet 1967) n’étaient pas rencontrées. La Commune s’aligna sur cette position par décision du 8 septembre 2003, ajoutant que le délai de prescription aurait pris cours le 4 mai 1999 et se serait donc achevé le 3 mai 2002.

L’intéressé introduisit, par citation du 29 juillet 2004, une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, afin que les faits du 4 mai soient reconnus comme accident du travail.

Confronté à cet argument de prescription, le Tribunal du travail le rejeta, estimant que le début de l’incapacité devait être situé au 1er août 2001, de sorte qu’à la date du 29 juillet 2004, l’action en paiement des indemnités n’était pas prescrite (la citation intervenant dans les 3 ans du début de l’incapacité de travail).

La Commune interjeta appel de cette décision, faisant valoir l’existence d’une période d’incapacité antérieure au 1er août 2001, soit la période d’incapacité d’août 1999, motivée par des problèmes pulmonaires (pleurésie).

Au sujet de l’imputabilité de cette pathologie à l’accident, les parties étaient contraires. La victime soutenait en effet que cette pathologie était tout à fait étrangère aux événements du 4 mai 1999, tandis que pour la Commune cette période d’incapacité constituait le point de départ de la prescription, de sorte que la citation de 2004 était tardive.

La Cour du travail de Bruxelles fut amenée à se prononcer sur le cas par deux arrêts des 9 juin et 24 novembre 2008, qui feront tous deux l’objet d’un pourvoi en cassation de la part de la victime.

Dans le premier arrêt, la Cour considère que l’imputabilité de la pleurésie (et de l’incapacité qui en découle) est primordiale pour trancher le litige, dès lors que le jour de la première incapacité de travail a une importance pour déterminer la prescription. Elle rouvrit en conséquence les débats, de manière à permettre aux parties de justifier, au moyen de pièces médicales, leur position respective quant au lien causal entre les problèmes pulmonaires et l’incident du 4 mai 1999. Selon la Cour, il ressort des dispositions combinées des lois des 3 juillet 1967 (secteur public) et 10 avril 1971 (secteur privé) que le délai de 3 ans applicable au secteur public ne peut pas courir avant le moment où nait le droit à l’indemnité, c’est-à-dire avant le début de l’incapacité de travail en relation avec l’accident. Ceci explique donc la réouverture des débats.

Dans le second arrêt du 25 novembre 2008, la Cour du travail examine la question du lien causal entre la pleurésie (ayant justifié l’incapacité d’août 1999) et les faits du 4 mai 1999. Elle retient qu’un incendie avec une explosion est susceptible de causer des problèmes pulmonaires, tandis que les différents éléments apportés par la victime ne prouvent pas l’absence du lien causal. La Cour considère par ailleurs qu’il y a lieu d’appliquer la présomption de causalité, dont elle estime que, vu son caractère public, elle s’impose à tous. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de tenir pour établi le lien causal entre les problèmes pulmonaires et l’événement soudain, et constate que la victime ne renverse pas cette présomption.

Elle fixe en conséquence le point de départ du délai de prescription à la date du début de la première incapacité de travail d’août 1999 et conclut en conséquence au caractère tardif de l’action introduite par citation du 29 juillet 2004.

Décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation est saisie des deux arrêts prononcés par la Cour du travail de Bruxelles.

Elle casse le second arrêt du 24 novembre 2008, et ce sur la question de l’application de la présomption légale de causalité, invoquée ici en défaveur de la victime.

La Cour de cassation rappelle ainsi que la présomption légale de causalité, instituée tant par l’article 9 de la loi du 10 avril 1971 que par l’article 2, alinéa 4 de la loi du 3 juillet 1967, est prévue en faveur de la victime de l’accident (ou de ses ayants-droits), de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par eux.

En conséquence, l’arrêt qui oppose la présomption de causalité à la victime, pour retenir la prescription de l’action, viole, selon la Cour de cassation, les articles 9 de la loi du 10 avril 1971 et 2 de la loi du 3 juillet 1967.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation confirme que la présomption légale de causalité n’est instituée qu’en faveur de la victime et ne peut dès lors être invoquée que par elle. L’on comprend, vu les faits de la cause, l’importance de cette règle. En effet, dès lors que la présomption légale de causalité ne joue pas, l’incapacité de travail liée aux lésions pulmonaires ne pouvait être rattachée à l’accident que pour autant que la preuve certaine de son imputabilité soit rapportée. Or, comme constaté en l’espèce, seule une simple probabilité était relevée par la Cour du travail (fondée sur la nature de l’événement soudain de mai 1999), soit un élément insuffisant.

Par ailleurs, il faut relever que la Cour de cassation ne se prononce pas sur la date de prise de cours du délai de prescription en l’espèce, les moyens invoqués par le pourvoi à l’encontre du premier arrêt de la Cour du travail étant écartés pour des motifs d’ordre purement technique.

Il apparaît à cet égard assez étrange que le point de départ du délai de prescription retenu soit le premier jour de l’incapacité de travail, alors même que l’accident du travail concerne le secteur public. Or, depuis la loi du 20 mai 1997, la règle de prescription applicable au secteur public a fait l’objet d’une modification (article 20), de manière à prévoir une règle spécifique et non plus, comme auparavant, un alignement sur la législation applicable au secteur privé. En conséquence, depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le point de départ du délai de prescription est l’acte juridique administratif contesté (et peut également consister dans la décision du service médical). En l’espèce, l’acte de l’autorité n’était intervenu que tardivement, vu l’absence de déclaration concomitante aux faits.


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