Terralaboris asbl

Les critères d’indemnisation du FMP établis pour certaines maladies professionnelles s’imposent-il au juge ? Comment comprendre la notion de précocité des lésions lorsqu’elle est reprise dans les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle ?

Commentaire de C. trav. Liège, 4 décembre 2006, R.G. 33.871/06

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Liège – 4 décembre 2006 – R.G. n° 33.871/06

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans cet arrêt, la cour du travail de Liège examine les conditions d’indemnisation d’une maladie professionnelle visé à l’ancien code 1.605.12 de la liste des maladies professionnelle qui pose notamment comme condition la précocité des lésions, laquelle a été déterminée par le FMP en fixant un critère d’âge. La cour estime toutefois que ce critère ne peut être retenu, n’ayant aucun force obligatoire et préférant une conception individualisée de la notion tenant compte de la situation personnelle et concrète.

Les faits

L’intéressé a mené une carrière de chauffeur de camion.

En 2003, il introduit auprès du FMP une demande d’indemnisation pour maladie professionnelle sous le code 1.605.12 visant à l’époque les « Affections de la colonne lombaire associées à des lésions dégénératives précoces provoquées par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège ». Ce code a été inséré par l’arrêté royal du 2 août 2002.

Le FMP a notifié une décision de refus d’indemnisation au motif qu’il n’apparaît pas des documents médicaux que l’intéressé a été atteint précocement (avant l’âge de 40 ans) de la maladie pour laquelle il demande réparation.

L’intéressé a introduit un recours contre cette décision, faisant valoir en particulier que le critère de l’âge pour définir la notion de précocité n’est pas admissible.

La position du tribunal

Le tribunal a relevé que le critère de 40 ans fourni par le FMP est un critère indicatif pris sur base d’études comparatives qui ne lie toutefois pas le tribunal.

Cependant, le tribunal déclare la demande non fondée, considérant que le demandeur ne fournit aucun élément objectif pour prouver l’existence de lésions à un stade précoce.

La décision de la cour

A. La cour rappelle d’abord la preuve qui doit être apportée par le travailleur qui sollicite l’indemnisation d’une maladie professionnelle figurant sur la liste, étant tenu de démontrer que :

  • Il est atteint de la maladie visée sur la liste ;
  • Il a été exposé au risque professionnel de contracter cette maladie.

Une fois ces preuves rapportées, le lien causal effectif entre l’exposition au risque professionnel de la maladie et la maladie elle-même est présumé de manière irréfragable.

Les preuves incombant au travailleur sont exigeantes, la cour relevant que l’expertise judiciaire constitue un mode de preuve, dont le travailleur peut bénéficier pour autant qu’il fournisse au départ des indices ou des commencements de preuve justifiant le recours à l’expertise.

En ce qui concerne la maladie concernée en l’espèce sous le code 1.605.12, la cour précise que l’intéressé doit donc prouver, d’une part, qu’il est atteint d’une ou plusieurs affections de la colonne lombaire associées à une ou plusieurs lésions dégénératives précoces pouvant avoir été provoquées par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège et d’autre part, pour prouver l’exposition au risque professionnel, qu’il a été professionnellement soumis à des vibrations mécaniques suffisantes (en durée, en fréquence, et en intensité) pour créer chez lui, compte tenu des caractéristiques de sa constitution personnelle, le risque de provoquer ces lésions dégénératives.

La cour relève que pour ne pas enlever au travailleur le bénéfice de la présomption de causalité, il est seulement requis qu’il prouve être atteint de lésions dégénératives pouvant avoir été provoquées et non effectivement provoquées par les vibrations mécaniques.

B. La cour se prononce ensuite sur la notion de lésion dégénérative précoce.

Elle relève que selon le sens usuel, il s’agit de celle qui survient avant le temps normal.

Le FMP choisit de déterminer ce temps normal par rapport à l’ensemble des individus et de le fixer ne varietur à l’âge de 40 ans, critère retenu par son comité scientifique, faisant valoir que selon des études épidémiologiques, on peut considérer qu’au-delà de cet âge, une grande partie de la population est atteinte d’arthrose à la colonne.

La cour relève que les avis du comité scientifique du FMP méritent considération parce qu’ils émanent d’éminents spécialistes. Toutefois, ils n’ont que la portée consultative que la loi lui attribue, de sorte que le critère d’âge de 40 ans ne peut avoir qu’une valeur indicative qui n’a pas de force obligatoire et qui ne lie pas le juge.

D’ailleurs, en écrivant qu’il vaut pour « une grande partie de la population » et non pour la totalité, le FMP admet que ce critère d’âge de 40 ans n’a pas de valeur général et absolue. Il se pourrait à cet égard que le travailleur fait justement partie de la minorité destinée à ne souffrir d’arthrose qu’un un âge plus avancé, en raison des caractéristiques de sa constitution personnelle ou de son mode de vie habituelle.

Pour la cour, il faut donc se prononcer sur une conception individualisée de la notion de précocité et sur la détermination du temps normal au cas par cas : le travailleur ne doit pas être fondu dans une entité générale et abstraite ; c’est sa situation personnelles et concrète qui doit être examinée.

La cour conclut ainsi que « les lésions dégénératives présentées à la colonne lombaire par le travailleur qui demande réparation, sont précoces lorsqu’elles surviennent avant l’âge normal auquel elles seraient normalement apparues, compte tenu de la constitution personnelle et du mode de vie habituel du travailleur, si celui-ci n’avait pas été exposé au risque professionnel de ces lésions ».

En l’espèce, la cour constate que les éléments produits par l’intéressé constituent des indices ou commencement de preuve, donnant à penser qu’il est atteint d’affections lombaires associées à une lésion dégénérative précoce et qu’il a été professionnellement soumis à des vibrations mécaniques suffisantes, transmises au corps par le siège, pour créer le risque de provoquer cette lésion. Ces éléments peuvent ainsi être soumis à l’examen d’un expert chargé d’apprécier si les preuves requises sont réunies.

Intérêt de la décision

Le présent arrêt de la cour du travail de Liège est intéressant dans les principes qu’elle rappelle et précise :

  • En ce qui concerne l’exposition au risque professionnelle, la cour définit la preuve qui doit être apportée par le travailleur qui ne doit pas être celle de prouver que ses lésions ont été effectivement provoquées par des vibrations mécaniques, ce qui lui ferait perdre bénéfice de la présomption irréfragable de causalité entre la maladie et l’exercice de la profession. Il a seulement la charge d’établir qu’il a été soumis professionnellement à des vibrations mécaniques pouvant avoir provoqué ses lésions, c’est-à-dire des vibrations mécaniques suffisantes (en durée, en fréquence et en intensité) pour créer chez lui, compte tenu des caractéristiques de sa constitution personnelle, le risque professionnelle de provoquer ces lésions.
  • La cour définit également la notion de précocité des lésions telle que visé par l’ancien code 1.605.12 mais également repris par le nouveau code 1.605.03 visant le « syndrome mono ou polyradiculaire objectivé de type sciatique,syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal lombaire étroit » consécutif notamment à « une spondylose-spondylarthrose dégénérative précoce au niveau L4-L5 ou L5-S1, provoquée par le port de charges lourdes ou par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège ». La cour confirme que les critères d’indemnisation établis par le FMP pour certaines maladies professionnelles n’ont aucune force obligatoire et que par ailleurs, il s’agit des données abstraites et de portée générale, alors que c’est la situation personnelle et concrète de la personne qui doit être prise en compte et examinée. Ainsi, pour la cour qui refuse de retenir le seul critère de l’âge de 40 ans reconnu par le comité scientifique du FMP, des lésions précoces s’entendre de celles qui « surviennent avant l’âge normale auquel elles seraient normalement apparues, compte tenue de la constitution personnelle et du mode de vie habituel du travailleur, si celui-ci n’avait pas été exposé au risque professionnel de ces lésions ».

Il faut préciser que la cour est saisit d’une demande introduite à l’époque sous le code 1.605.12, inséré par l’arrêté royal du 2 août 2002. Notons que ce code comme le code 1.605.11 visant les « affections ostéo-articulaires des membres supérieurs provoquées par des vibrations mécaniques » a été supprimé par l’arrêté royal du 27 décembre 2004 qui a ajouté deux nouveaux codes à la liste des maladies professionnelles : le code 1.605.01 pour les affections ostéo-articulaires des membres supérieurs dues à des vibrations mécaniques et le code 1.605.03 pour des affections dorsales bien spécifiques, liées soit au port de charges lourdes soit aux vibrations mécaniques, qui, sous certaines conditions, peuvent être considérées comme des maladies professionnelles.
Précisons encore que pour les affections lombaires dues à des vibrations mécaniques, en raison des modifications intervenues dans la définition de la maladie professionnelle par l’arrêté royal du 2 août 2002 et l’arrêté royal du 27 décembre 2004, un arrêté royal du 25 février 2007 (M.B. 8 mars 2007, entrée en vigueur au 1er janvier 2007) a réglé la situation de la victime indemnisée conformément à la réglementation antérieure mais qui peuvent encore être indemnisée en raison de cette maladie dans le cadre d’une aggravation. Il est ainsi prévu que l’indemnisation accordée pour affections dorsales sur base des anciens codes 1.605.01 (avant l’arrêté royal du 2 août 2002) et 1.605.12 (avant le dernière arrêté royal du 27 décembre 2004) ne pourra être revue en cas d’aggravation que si l’affection et l’exposition au risque prises en compte pour cette indemnisation correspondent à la maladie visée par le nouveau code 1.605.03.
Dans un précédent arrêt commenté du 24 avril 2006 (R.G. 33.648/05), pour une indemnisation au titre d’une affection ostéo-articuliaire provoquée par des vibrations mécaniques reconnu avant la modification par l’arrêté royal du 2 août 2002, la cour du travail de Liège avait examiné la question des nouveaux critères de reconnaissance de la maladie professionnelle de l’arrêté royal, décidant que ceux-ci ne peuvent en rien affecter les conditions de l’action en révision précédemment reconnue. Précisons que cette décision intervient avant la modification de l’article 36 des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970. Le nouvel article 36 (en vigueur au 1er septembre 2006) établit le principe général suivant lequel lorsqu’une maladie professionnelle est supprimée de la liste des maladies professionnelles ou lorsque sur cette liste le libellé d’une maladie est modifié, la victime de cette maladie conserve ses droits à la réparation. Dans ces droits sont compris l’aggravation de l’incapacité permanente et l’indemnisation éventuelle du décès en faveur de ses ayants droit. Toutefois, le Roi peut déroger à ce principe et décider que l’aggravation ou le décès résultant d’une maladie professionnelle dont l’inscription sur la liste a été modifiée ou supprimée ne donnerait pas lieu à l’octroi d’une indemnisation. C’est sur base de cette nouvelle disposition qu’a été pris l’arrêté royal du 25 février 2007.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be