Terralaboris asbl

Commissions versées sous forme de frais : prise en compte pour les cotisations de sécurité sociale

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, 5 novembre 2009, R.G. 08/2215/A

Mis en ligne le mardi 25 mai 2010


Tribunal du travail de Charleroi, 5 novembre 2009, R.G. 08/2215/A

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un jugement du 5 novembre 2009, le Tribunal du travail de Charleroi fait droit à une demande de l’ONSS de calculer les cotisations de sécurité sociale dues sur la rémunération en tenant compte d’un libellé « divers nets » .

Les faits

L’ONSS a procédé à une enquête dont il ressort qu’une employée d’une agence immobilière, en litige avec son employeur suite à son licenciement, avait perçu des commissions sous forme de frais. Une convention avait en effet été établie entre parties, prévoyant qu’en sus du fixe légal, l’employée percevrait une commission de 10% sur toutes les affaires entrées ou réalisées par elle, et ce après conclusion définitive du dossier. La convention prévoyait de manière expresse le paiement de la commission sous forme de frais de déplacement.

L’Auditeur du travail demanda, suite à la constatation de la chose, que l’Inspection sociale procède à une enquête. Les parties furent, par conséquent, entendues.

L’ONSS prit ensuite la décision d’assujettissement en ce qui concerne les commissions litigieuses et réclama un supplément de cotisations. Celui-ci n’étant pas payé, l’ONSS cita devant le Tribunal du travail.

Position des parties

En ce qui concerne le fond, la société fait essentiellement valoir qu’aucune commission n’aurait été payée, l’employée n’ayant jamais rempli les conditions. La référence à des commissions consiste, en conséquence, en une erreur. Les paiements effectués correspondaient dans la réalité à des remboursements de frais et aucune cotisation n’est due.

Pour l’ONSS, les montants ont un caractère rémunératoire.

Position du Tribunal

Le Tribunal commence par rappeler que les cotisations sont calculées sur la base de la rémunération du travailleur, celle-ci étant déterminée par référence à la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération (article 2). Sont ainsi visés le salaire en espèces, le pourboire ou service ainsi que les avantages évaluables en argent. Les commissions ou autres formes de salaire variable sont la contrepartie du travail fourni et ont donc un caractère rémunératoire.

S’il faut examiner les montants qui ne peuvent être considérés comme de la rémunération (c’est-à-dire notamment les remboursements de frais : déplacements, cadeaux, repas, etc…), il faut se référer à l’arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969 (article 19, § 2). Le Tribunal rappelle les conclusions de Monsieur l’Avocat Général LECLERCQ sur l’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2001 (Cass., 15 janvier 2001, J.T.T., 2001, p. 161), selon lesquelles une somme liée à des frais est (ou non) un avantage acquis en vertu du contrat selon qu’elle ne représente pas (ou représente) le paiement de frais réels supplémentaires lié à l’occupation du travailleur. Le Tribunal reprend la doctrine (J.F. FUNCK, Droit de la sécurité sociale, Larcier, 2006, p. 158), qui a rappelé que de manière générale si le montant payé dépasse les frais exposés par le travailleur, il y a rémunération. Le remboursement forfaitaire de frais est cependant admissible, à la condition qu’il soit raisonnable, c’est-à-dire justifiable.

Appliquant ces principes, le tribunal constate que les comptes individuels contiennent les montants correspondant au salaire fixe et, en outre, qu’ils reprennent certains montants payés sous le libellé « divers nets », ceux-ci n’étant pas soumis à cotisations. Au vu de la convention signée entre les parties, dont la rédaction est, pour le tribunal, parfaitement claire, des commissions sur vente ont ainsi été versées sous forme de frais, ce qui a été confirmé lors de l’enquête, l’employeur ayant déclaré expressément que la chose avait été convenue de l’accord des parties, afin de ne pas payer de précompte professionnel. Cette version initiale de l’employeur fut cependant modifiée ultérieurement, celui-ci déclarant alors qu’il s’agissait de frais justifiés, étant des indemnités de repas, des frais de cadeaux et de restaurants ainsi que des frais de route. Cette seconde version fut formellement contredite par l’employée, qui a expliqué n’avoir aucun frais de restaurant à exposer, ni frais de cadeaux, etc…

Le Tribunal relève, à partir de ces éléments, qu’il appartient à l’ONSS d’assumer la preuve des éléments de base de calcul des cotisations et qu’en cas de contestation, la preuve porte sur la circonstance qu’il ne s’agit pas de remboursement de frais qui incombent à l’employeur. C’est l’enseignement de la Cour de cassation, le Tribunal rappelant ici l’arrêt du 14 janvier 2002 à cet égard (Cass., 14 janvier 2002, J.T.T., 2002, p. 105). Pour le Tribunal cette preuve est rapportée, du fait de la convention non équivoque, de la première déclaration de l’employeur et de celle de l’employée. La preuve contraire n’étant pas fournie, étant qu’aucune pièce n’est déposée qui viendrait justifier l’existence de frais, le Tribunal fait droit à la demande de l’ONSS.

Intérêt de la décision

Le Tribunal du travail est ici saisi du caractère rémunératoire de montants déclarés au titre de frais qui n’ont pas fait l’objet de précompte professionnel et n’ont pas été pris en compte dans l’assiette de calcul des cotisations de sécurité sociale. Il a été informé, à l’occasion d’une procédure opposant l’employeur et l’employée dans le cadre du contrat de travail. Malgré l’accord des parties, pendant l’exécution du contrat, sur le caractère non rémunératoire desdits frais, le Tribunal requalifie ceux-ci, vu le caractère d’ordre public de la réglementation en matière de cotisations de sécurité sociale. L’on ne manquera pas de relever que les situations de ce type sont fréquentes mais qu’elles opposent souvent les parties dans le cadre des décomptes à effectuer en fin de contrat. Le lien a ici été fait avec les cotisations de sécurité sociale, à l’initiative de l’Auditeur du travail.

Relevons encore que pour les ’frais’ exposés à partir du 1er janvier 2010 (date d’entrée en vigueur de la loi programme du 23 décembre 2009), les règles sont modifiées. Un paragraphe 4 a été ajouté à l’article 14 de la loi du 27 juin 1969, prévoyant en cas de contestation, que l’employeur a la charge d’établir la réalité des frais et ce au moyen de documents probants. Lorsque cela n’est pas possible, la preuve peut être apportée par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun (sauf le serment). En l’absence de tels éléments probants fournis par l’employeur, il est loisible à l’ONSS, sur proposition des services d’inspection compétents qui ont procédé à l’audition de l’employeur, d’effectuer d’office une déclaration supplémentaire, compte tenu de toutes les informations alors disponibles.


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