Terralaboris asbl

Du danger de contracter avec un entrepreneur non enregistré

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 mars 2006, R.G. 43.528

Mis en ligne le vendredi 28 décembre 2007


Cour du travail de Bruxelles, 08 mars 06, R.G. 43528

Terra Laboris asbl – Mireille Jourdan

Le seul fait de faire appel à un entrepreneur non enregistré entraîne la responsabilité solidaire pour les dettes sociales et fiscales du cocontractant et l’obligation de procéder aux retenues imposées. La décision de la cour rappelle également les principes en cas de radiation de l’enregistrement en cours de contrat.

Les faits

Une entreprise du secteur de la construction, qui avait fait appel à un entrepreneur non enregistré, avait omis lors de chaque paiement effectué à ce dernier de retenir et de verser à l’O.N.S.S. les 15 % dont elle était redevable, se voit réclamer, suite à la faillite du sous-traitant, à la fois 50 % du prix total des travaux concédés à ce dernier, et ce vu la responsabilité solidaire érigée par la loi en ce qui concerne les dettes sociales du sous-traitant ainsi que les retenues auxquelles elle était tenue de procéder, celles-ci étant en outre affectées de la majoration légale.

La société oppose la prescription de la demande ainsi que le fait qu’elle avait, peu avant la faillite du sous-traitant, obtenu du tribunal de commerce la résolution de la convention liant les parties ainsi que la condamnation de celui-ci au remboursement de sommes.

La décision du tribunal

Sur la prescription, le premier juge a rappelé qu’il faut distinguer, à l’article 30 bis de la loi du 27 juin 1969, la responsabilité solidaire – la prescription pouvant ici être interrompue conformément aux règles de l’article 1206 du Code civil (dont en l’occurrence par une déclaration de créance à la faillite du sous-traitant) - et l’obligation de retenir une partie du prix des travaux en faveur de l’O.N.S.S. qui est une obligation spécifique imposée au cocontractant de l’entrepreneur non enregistré. En l’espèce, la seconde est acquise, au contraire de la première.

Sur le fond, le premier juge calcule le prix total des travaux à prendre en compte et condamne la société à concurrence de 50 % de celui-ci, vu la responsabilité solidaire.

La position des parties en appel

Pour la société, qui s’appuie sur la doctrine récente (notamment FLAMME M.A. et alii, Le contrat d’entreprise, Larcier, 2001, n° 241), il faut distinguer les obligations de celui qui fait appel à un entrepreneur dont l’enregistrement a été radié, qui est concerné par les seules retenues, et celui qui fait appel d’emblée à un entrepreneur non enregistré et qui est visé, en outre, par la responsabilité solidaire. Elle ne s’estime dès lors tenue à aucune solidarité.

Pour l’O.N.S.S., les déclarations de créance déposées ont suspendu la prescription vis-à-vis du débiteur principal et donc des débiteurs solidaires. Par ailleurs, le législateur ne fait pas de distinction entre l’entrepreneur non enregistré et celui dont l’enregistrement a été radié avant la conclusion du contrat. Quant à l’action commerciale en résolution de la convention, celle-ci n’a aucune incidence sur l’application de l’article 30 bis de la loi : le seul fait de contracter avec un entrepreneur non enregistré implique la solidarité et il se réfère à un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 17 juin 1998 (réf. non citées), qui a estimé que la question de la validité d’une convention ayant pour but un contrat d’entreprise n’avait aucune incidence sur une obligation légale d’ordre public, telle que celle de l’article 30 bis, celle-ci ne pouvant s’éteindre que par paiement ou prescription.

La décision de la cour

Sur la prescription, la cour confirme la position du tribunal, étant que les actes interruptifs accomplis à l’encontre de l’entrepreneur non enregistré n’ont pas d’effet dans le cadre de l’action dirigée contre le cocontractant.

La cour rappelle les dispositions légales applicables, depuis l’instauration, par la loi de réorientation économique du 4 août 1978, de cette garantie nouvelle en matière de paiement des cotisations de sécurité sociale. Elle relève les obligations spécifiques mises par le législateur actuel à charge du commettant ou maître de l’ouvrage qui fait appel à un entrepreneur non enregistré au moment de la conclusion de la convention, étant (1) une responsabilité solidaire pour les dettes sociales et fiscales de son cocontractant, avec une limitation à 50 % du prix total des travaux (HTVA) en matière sociale et à 35 % en matière fiscale et (2) obligation de retenir lors de chaque paiement à l’entrepreneur 30 % du montant, réparti pour moitié entre les deux administrations.

C’est le seul fait de faire appel pour l’exécution des activités en cause à un entrepreneur qui n’est pas enregistré au moment de la conclusion de la convention qui entraîne la responsabilité solidaire, celle-ci étant une garantie non négligeable contre l’insolvabilité de l’entrepreneur non enregistré. Les règles de droit commun de la responsabilité solidaire jouent donc, en ce compris celle qui permet au créancier de poursuivre chacun des débiteurs sur la totalité de la dette, et la cour de rappeler que ce recours peut être exercé contre le curateur ou contre l’entrepreneur non enregistré tombé entre-temps en faillite.

Si l’entrepreneur, enregistré lors de la conclusion du contrat, perd cet enregistrement en cours de celui-ci, la cour rappelle l’avis de l’Avocat Général, selon lequel la perte de l’enregistrement en cours d’exécution du contrat d’entreprise n’a pas pour effet de rendre automatiquement le commettant solidairement responsable des dettes sociales et fiscales de son cocontractant.

La cour confirme dès lors le jugement entrepris.

Intérêt de la décision

L’intérêt de la décision est double :

  • d’une part, de clarifier les règles en la matière : le commettant qui fait appel à un entrepreneur non enregistré au moment de la conclusion du contrat devient dès cet instant débiteur solidaire des dettes sociales de son cocontractant, responsabilité limitée à 50 % du prix total des travaux (HTVA). Cette responsabilité existe en dehors de toute fraude ou même de négligence ;
  • d’autre part, de préciser les règles au cas où le sous-traitant perd son enregistrement en cours de contrat : c’est, ici, la situation du sous-traitant lors du paiement de la facture qui doit être examinée. S’il n’est pas enregistré à ce moment, il faut procéder aux retenues, peu importe qu’il ait été enregistré lors de la conclusion du contrat. L’obligation existe dès que la radiation de l’enregistrement est opposable aux tiers, c’est-à-dire le 10e jour du 1er mois qui suit la publication de la radiation au Moniteur Belge. Cette règle reste applicable en cas de faillite ou de tout autre concours de créanciers. Quant à la responsabilité solidaire, dans cette hypothèse, la cour ne tranche pas (puisqu’il ne s’agit pas du cas d’espèce), mais indique que celle-ci ne doit pas être retenue.

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