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Exécution de travaux à domicile : assujettissement à l’ONSS ?

Commentaire de C. trav. Liège, 14 juillet 2009, R.G. 34.066/06

Mis en ligne le jeudi 31 décembre 2009


Cour du travail de Liège, 14 juillet 2009, R.G. n° 34.066/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 14 juillet 2009, la Cour du travail de Liège considère que des travaux effectués à domicile ne sont pas nécessairement exécutés dans le cadre d’un contrat de travail à domicile et que si l’ONSS échoue à rapporter la preuve de modalités similaires à celle d’un contrat de travail, il n’y a pas assujettissement.

Les faits

Outre ses activités développées à son siège social (confection et commercialisation d’articles de fête et de décoration), une société développe une autre activité, plus saisonnière, étant l’assemblage de fleurs artificielles, et ce pour les fêtes de fin d’année, …

Ces travaux sont confiés à des personnes qui les exécutent à leur domicile. La relation de travail convenue est un contrat d’entreprise et est exécutée conformément à ce cadre (registre de commerce, paiement avec facturation – le prix étant cependant fixé par la société).

L’ONSS considère cependant qu’il y a obligation d’assujettissement et lance citation.

La position du tribunal du travail

Le tribunal du travail de Verviers rend un jugement en date du 13 mars 2006, dans lequel il conclut au fondement de la demande, sauf pour trois personnes qui étaient elles-mêmes dépendantes d’une autre personne morale avec qui la société avait contracté.

Le tribunal rouvre les débats en ce qui concerne les montants exacts de la condamnation.

La position des parties en appel

La société interjette appel du jugement, considérant qu’il n’a pas été fait une bonne application de l’article 3, 4° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 et de l’article 2, § 1er de la loi du 27 juin 1969.

L’ONSS interjette appel incident, sur la base de l’article 1er, § 1, alinéa 1 de la loi du 27 juin 1969, étant qu’il considère qu’il y a contrat de travail.

La position de la Cour

La Cour du travail rappelle qu’en vertu de l’article 1315, alinéa 1er du Code civil et 870 du Code judiciaire, c’est l’ONSS qui a la charge de la preuve de l’existence du contrat de travail. Il doit établir, pour chacun des travailleurs à domicile, l’existence d’un tel contrat. Vu l’époque des faits, la Cour considère qu’il y a lieu de se référer à la jurisprudence avant le 1er janvier 2007 (étant qu’il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de la loi programme du 27 décembre 2006 – article 331 à 333 et 340 du Titre XIII, traitant de la nature juridique de la relation de travail).

Pour la Cour du travail, il faut se référer aux conditions d’existence du contrat : le travail, la rémunération et le pouvoir d’autorité. Dans l’hypothèse d’un contrat de travail à domicile, sont absents la surveillance et le contrôle direct de l’employeur, le pouvoir d’autorité reste cependant présent. Il consiste à pouvoir donner des ordres, des instructions, des directives en vue de la détermination du contenu de la prestation de travail et ce pouvoir a comme corollaire la subordination juridique du travailleur.

Par contre, dans l’hypothèse du contrat d’entreprise l’on est en présence d’une relation entre deux parties, l’une d’entre elles s’engageant à faire quelque chose moyennant un prix convenu. Il y a indépendance du fournisseur de travail par rapport au maitre de l’ouvrage.

La Cour poursuit en rappelant la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de qualification, étant que, si les éléments soumis à l’appréciation du juge permettent d’exclure la qualification donnée par les parties à leur convention, le juge peut y substituer une qualification différente. Ainsi, si l’on peut exclure la qualification de contrat d’entreprise, le juge peut décider qu’il y a contrat de travail. Dans la l’appréciation des éléments considérés comme inconciliables avec un travail non salarié (éléments qui doivent être précis et certains) il n’y a pas lieu de retenir la dépendance économique, qui ne doit pas être confondue avec la subordination juridique. Il faut pouvoir déceler l’exercice d’un pouvoir patronal d’autorité incompatible avec les instructions générales ou le simple contrôle existant dans un contrat d’entreprise. Pour la Cour il faut également établir comment les instructions qui sont données au travailleur sont incompatibles avec l’exécution d’un tel contrat.

En outre, pour permettre de conclure à l’existence d’une subordination juridique, ces éléments doivent être examinés séparément ou conjointement. La Cour retient à cet égard les contraintes relatives à l’organisation des conditions de travail, la détermination des heures de prestation ainsi que les absences et les vacances.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour examine les éléments invoqués par l’ONSS, et ce en deux temps : la réalité des éléments invoqués d’abord et leur incompatibilité avec la qualification de contrat d’entreprise ensuite.

La Cour va conclure que l’on ne peut retenir l’existence d’une autorité, à partir des éléments produits.

Le prix, d’abord, même s’il est fixé unilatéralement par la société et sans possibilité de négociation n’est pas une circonstance exclusive du contrat d’entreprise.

En outre, si l’ONSS affirme qu’il y a des directives suffisamment particulières et précises pour priver les travailleurs d’une capacité décisionnelle autonome, la Cour constate que ces directives ne sont nullement explicitées. Elle constate par contre que le travail est simple, puisqu’un modèle de piquet floral est remis au travailleur et que le seul contrôle se borne à la vérification de la qualité et de la quantité de travail accompli. Donner des instructions lors de la commande et contrôler l’achèvement de celle-ci n’est pas davantage incompatible avec un contrat d’entreprise.

Quant au délai fixé par la société pour exécuter chaque commande, il s’agit d’un délai d’exécution qui existe également dans une relation de travail indépendante et la Cour relève en l’occurrence qu’il était généralement large et souple.

Plus délicat est l’argument de l’ONSS selon lequel cette activité (accessoire à l’activité principale) est intégrée dans une organisation collective du travail entièrement conçue par la société et pour elle. A cet égard, la Cour relève que, étant à leur domicile, les travailleurs sont en dehors de la structure de la société et donc en marge de cette organisation collective.

Enfin, la livraison de matière première nécessaire à la réalisation des commandes, l’absence d’investissement dans le chef des travailleurs sont également rejetées, au motif qu’elles n’induisent pas en elles-mêmes un pouvoir d’autorité patronale.

Il n’y a dès lors pas de contrat de travail, en l’occurrence de contrat d’occupation de travailleurs à domicile.

Reste, à côté de l’examen de cet appel incident de l’ONSS, celui-ci de l’appel principal de la société, fondé sur l’article 2, § 1er de la loi et son arrêté royal d’exécution, en son article 3, 4°. Ces dispositions permettent d’étendre le champ d’application de la loi aux personnes qui, en tout lieu choisi par elles et selon des modalités similaires à celles d’un contrat de travail œuvrent à façon des matières premières ou des produits partiellement achevés qu’un ou plusieurs commerçants leur ont confiés et qui travaillent seules ou occupent habituellement quatre aides au maximum, ainsi qu’à ces commerçants (art. 3, 4°). Ici également la Cour rappelle que la charge de la preuve incombe à l’ONSS, qui doit établir que l’activité a été exercée selon des modalités similaires à celles d’un contrat de travail.

L’extension du champ d’application de la loi peut viser des personnes qui sans être liées par un contrat de travail et précisément parce qu’elles ne se trouvent pas – comme en l’espèce ainsi que le relève la Cour – dans un état de subordination juridique, mais exercent une activité selon des modalités similaires à un tel contrat. La Cour va préciser ce qu’il faut entendre par « modalités », étant qu’au sens de la réglementation, il s’agit de toutes les conditions et circonstances, autres que le pouvoir d’autorité, dans lesquelles l’activité est exercée. Elle rappelle également ici la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 8 janv. 1996, J.T.T., 1996, p. 426) qui a précisé que l’on ne peut tenir compte d’éléments étrangers aux conditions et circonstances dans lesquelles le travail est effectué. Par « similaire », il faut par ailleurs entendre « semblable ».

La Cour va, sur cette question, réformer le jugement, au motif qu’il n’y a pas de modalités similaires : il pouvait s’agir d’une activité occasionnelle ou intermittente, le prestataire étant toujours libre de refuser une commande et la société n’ayant pas l’obligation de renouveler celle-ci, il y avait absence d’exclusivité, les longs délais d’exécution, prise en charge par le prestataire de tous ses frais professionnels et utilisation des instruments nécessaires à l’exécution des tâches.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Liège statue à la fois dans le cadre de l’article 1er, § 1er, alinéa 1er et l’article 2 § 1er, 1° de la loi du 27 juin 1969. La requalification en contrat de travail implique que l’ONSS réussisse à prouver que les conditions d’exécution de la tâche sont incompatibles avec un contrat d’entreprise. Par ailleurs, la Cour examine également la question sous l’angle de l’exécution de prestations selon des modalités similaires à celles d’un contrat de travail, étant une relation de travail développée en dehors de l’autorité patronale. Aucune de ces deux hypothèses n’est ici rencontrée.


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