Terralaboris asbl

Travail à la chaîne et événement soudain

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 17 août 2009, R.G. 10.944/08

Mis en ligne le mercredi 14 octobre 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 17 août 2009, R.G. n° 10.944/08

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un jugement du 17 août 2009, le tribunal du travail de Bruxelles a rappelé que, même dans l’exécution d’un travail à la chaîne, dès lors que la victime épingle un événement soudain susceptible d’avoir engendré une lésion, il y a accident du travail.

Les faits

Un ouvrier à la chaîne dans une usine de conditionnement de volaille est, dans le cadre de sa tâche quotidienne normale, affecté à un poste où il doit retirer des volailles, conditionnées et défilant sur une structure coulissante afin de les placer dans des cartons. Le 31 août 2005, alors qu’il était occupé à mettre de tels sachets en boite, il ressentit de vives douleurs à la main droite. Son collègue direct contacta immédiatement le chef de production. Après une tentative d’affecter provisoirement l’intéressé à une autre occupation plus légère, il fut constaté que ce dernier ne pouvait plus effectuer les gestes de travail habituels. Il arrêta le travail et se présenta le même jour à la consultation médicale aux urgences. Il dut, dans le décours immédiat, passer divers examens. Un plâtre fut placé provisoirement et, ultérieurement, une orthèse statique.

Suite au refus de reconnaissance par l’entreprise d’assurances (refus confirmé du fait de diverses erreurs dans la retranscription de la date de l’accident), le collègue direct détaille, par attestation ultérieure, les circonstances de l’accident, étant qu’en effectuant l’un des mouvements de la tâche habituelle (éliminer les cuisses de poulet de la chaîne), l’avant-bras droit de la victime s’était mis à gonfler, qu’il fut changé de poste pour un travail plus léger mais ne put même effectuer celui-ci.

Vu le refus de l’entreprise d’assurances, le Fonds des accidents du travail fut amené à mener une enquête et malgré celle-ci le refus fut maintenu.

L’intéressé fut dès lors contraint d’introduire une procédure devant le tribunal du travail.

Position des parties

S’agissant de gestes habituels, l’entreprise d’assurances considérait que l’on était en présence d’une lésion de surcharge, étant une lésion qui survient après l’exécution pendant une durée de temps déterminée de gestes répétitifs similaires et que le moment où la tolérance physique est dépassée ne peut plus être considérée comme un événement soudain.

Le travailleur fait quant lui état de la jurisprudence récente dont il ressort que le dernier de toute une série de gestes qui auraient été faits pendant plusieurs jours peut être considéré comme l’événement soudain, dans la mesure où celui-ci entraîne une surcharge qui peut avoir causé la lésion.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle les règles habituelles, en ce qui concerne les éléments constitutifs de l’accident du travail et reprend les deux présomptions contenues dans l’article 7, 2e § et 9 de la loi du 10 avril 1971. Pour le tribunal, il suffit que l’intéressé apporte la preuve d’un événement soudain et de lésions qui peuvent avoir été causées par celui-ci, et qu’il établisse que l’accident s’est produit pendant l’exécution du contrat de travail.

Il reprend la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (Cass., 20 janv. 1997, Chron. Dr. Soc., 1998, p. 460) selon laquelle l’exécution normale de la tâche journalière peut constituer l’événement soudain à la condition que dans celui-ci un élément puise être épinglé qui a pu causer la lésion, sans qu’il soit exigé que cet élément se distingue de cette exécution.

Il faut cependant en effet distinguer l’événement soudain et le dérèglement physique qui, même s’il survient soudainement, peut être la conséquence d’une évolution d’une dégradation lente de l’état de santé. Pour que des efforts déterminés puissent être considérés comme événement soudain, leur origine, ainsi que la date de la survenance de cet événement doivent être établis avec certitude, ainsi que leur durée, qui doit couvrir un laps de temps qualifié par le tribunal de « relativement court ».

En ce qui concerne la tendinite, celle-ci ne peut être considérée comme accident du travail si, née de l’exécution des mêmes mouvements professionnels, elle n’a pas été causée par un événement soudain. Il est sans importance que les symptômes douloureux soient apparus à partir d’un moment déterminé. Le tribunal rappelle que ne sont pas dues à un accident du travail les lésions causées par la répétition d’un même mouvement (plusieurs centaines de fois par exemple – Trib. trav. Liège, 20 févr. 1989, Bull. ass., 1989, p.645, note L.V.G.), par une situation professionnelle globale (travail effectué depuis un an – voir C. trav. Liège, 19 juin 1986, R.G.A.R., 1988, n° 11.348) ou encore qui découlent d’une maladie évolutive (ainsi la maladie de De Quervain issue de la répétition de nombreux mouvements liés à la manipulation d’une agrafeuse pneumatique – Trib. trav. Gand, 8 mars 1982, R.W. , 1982 – 1983, p. 522), dès lors que n’est pas établie dans ces cas l’existence d’un événement déterminé dans le temps et dans l’espace.

Le tribunal rappelle par ailleurs que l’accident du travail peut être prouvé par toutes voies de droit, en ce compris par témoin et par des présomptions graves et précises et concordantes. Il en découle que les déclarations de la victime ne peuvent être prises en compte que lorsqu’elles sont confirmées par de telles présomptions et tel est le cas lorsqu’elle ne disposait pas de témoin des faits.

En l’espèce, le tribunal reprend les divers éléments du dossier, recueillis tant au niveau du témoignage du collègue direct que de l’enquête du Fonds des accidents du travail, de même que diverses constatations médicales du dossier.

Il en découle que même si le témoin n’a pas assisté aux circonstances précises de l’accident (c’est-à-dire au geste litigieux) et qu’il n’a pu constater que la survenance de la lésion, l’ensemble des autres éléments constituent le faisceau de présomptions requis. Pour le tribunal, l’événement soudain est constitué par le fait d’avoir heurté la chaîne.

Reste encore à déterminer si la tendinite a été causée par ce mouvement, la nature de la lésion n’empêchant pas qu’il puisse s’agir d’un accident du travail. Ce sera à l’expert judiciaire de déterminer si la preuve contraire du lien causal peut exister. Cette preuve contraire implique, au sens des présomptions contenues dans les articles 7 et 9 de la loi, que la cause de la lésion soit tout à fait étrangère à l’événement soudain pointé.

Intérêt de la décision

Outre un rappel général et précis des règles en la matière, la décision en cause procède à une distinction claire : une lésion susceptible d’être causée par un événement déterminé, peu importe qu’il s’agisse d’un geste qui est régulièrement et normalement posé par la victime, constitue un événement soudain si celui-ci est prouvé à suffisance de droit. Le reste du débat fait partie du renversement de la présomption de l’article 7 : si cette lésion est tout à fait étrangère à l’événement soudain, il n’y aura pas d’indemnisation. Si elle ne l’est pas, il y a accident du travail indemnisable.


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