Terralaboris asbl

Lésions apparues après une reprise du travail et présomption de causalité

Commentaire de C. trav. Liège, 28 juillet 2009, R.G. 35.242/07

Mis en ligne le vendredi 2 octobre 2009


Cour du travail de Liège, 28 juillet 2009, R.G. n° 35.242/07

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 28 juillet 2009 la Cour du travail de Liège rappelle la portée de la présomption de causalité, qui s’applique non seulement aux lésions immédiates mais également à celles apparues ultérieurement. Par ailleurs, elle écarte un rapport d’expertise vu les a priori dont l’expert fait preuve.

Les faits

Une ouvrière est victime d’un accident du travail, qui consiste dans un mouvement et un effort accompli lorsqu’elle s’est baissée pour ramasser avec une petite brosse la sciure de bois répandue sur le sol de l’atelier où elle était occupée. Elle a souffert de lombalgies aiguà« s aussitôt.

Après une période d’incapacité de travail, elle reprend ses activités professionnelles et retombe en incapacité quelques mois plus tard (quatre mois). Elle restera en incapacité de travail pendant longtemps.

Une procédure est introduite par l’entreprise d’assurances afin d’entendre dire son offre satisfactoire (avec refus de la seconde période d’incapacité).

Après divers avatars de procédure (dus d’abord à la remise en cause de l’accident du travail par l’expert, qui fut alors suivi par le tribunal du travail, décision toutefois réformée par la Cour du travail, ensuite à la cassation de cet arrêt de la Cour de Liège pour violation des droits de défense, renvoi à la Cour du travail de Bruxelles et enfin renvoi par cette cour au tribunal du travail de Liège aux fins de nouvelle expertise par le même médecin avec une mission différente), l’expert doit donc se prononcer sur le point de savoir si avec un haut degré de vraisemblance médicale tout lien causal entre les lésions constatées et l’événement soudain peut être exclu et si ces lésions sont totalement imputables à un état antérieur non modifié par l’événement soudain.

L’expert va persister, dans ce second rapport, à manifester ses réticences quant à la qualification d’accident du travail et exposer que le nouvel épisode lombalgique est sans lien avec les faits. Il ne s’agit, pour lui, pas d’une rechute.

La travailleuse conteste ce second rapport, estimant ne pas y trouver des éléments suffisants permettant de renverser la présomption légale. Elle demande, dès lors, la prise en charge de la période d’incapacité temporaire rejetée.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Liège constate que la présomption légale n’est pas renversée. Quant aux lésions, le tribunal retient que, sur le plan strictement probatoire, aucun élément médical n’était soumis, de nature à établir l’existence d’une prédisposition pathologique antérieure à l’accident, et ce même si l’intéressée avait déclaré « quoique de façon non constante » souffrir épisodiquement de lombalgies.

Pour le tribunal, le rapport d’expertise ne permet pas d’exclure tout lien causal entre les lésions et l’événement soudain.

La position de la Cour

La Cour est saisie de l’appel de l’entreprise d’assurances.

Pour la Cour, l’on peut retenir que l’état antérieur de la victime et les lombalgies éventuelles n’ont pas été médicalement objectivés avant l’accident.

L’imputation des lésions, pour l’essentiel, à un état pathologique préexistant peut difficilement se justifier, dès lors que celui-ci était mal connu puisque non médicalement objectivé par des examens. Il est, de même, curieux de retenir une incidence à peu près nulle de l’accident alors que c’est celui-ci qui a entraîné une interruption des activités professionnelles pour problèmes lombaires, pour une courte période d’abord et pour une période beaucoup plus longue ensuite. Elle souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que la présomption de l’article 9 concerne non seulement les lésions apparues immédiatement au moment de l’accident mais également celles observées ultérieurement, et ce quelles que soient les circonstances intervenues entretemps, pour autant que le lien causal reste plausible (voir notamment Cass., 28 juin 2004, J.TT., 2004, p. 642). Cette présomption vaut même s’il n’y a pas eu continuité ou évolution depuis l’accident. Pour la Cour, l’on ne peut nier que cette jurisprudence de la Cour de cassation trouve à s’appliquer dans l’hypothèse d’une rechute.

La Cour relève également les réticences de l’expert, tout au long des deux misions qui lui ont été confiées, quant à la reconnaissance des faits en cause comme accident du travail. L’expert doit, certes, admettre, dans son second rapport qu’il s’agit d’un accident du travail, puisque la Cour du travail de Bruxelles l’a retenu dans un arrêt précédent. Il s’obstine cependant à placer des guillemets autour des mots « accident » ou « événement soudain » et persiste à considérer que l’événement soudain « est bien difficile à définir ». Pour la Cour, il est malaisé de faire pleinement confiance à l’expert, qui, alors qu’il est chargé de mesurer les effets d’un accident judiciairement reconnu comme accident du travail, persiste à remettre celui-ci en cause.

Pour la Cour, c’est la conviction personnelle de l’expert, qui nie la réalité de l’accident, qui l’a amené à considérer que les incapacités de travail sont dues à un état pathologique arthrosique. La Cour se déclare dès lors perplexe quant aux conclusions. A la considération selon laquelle la « nouvelle décompensation » survenue ultérieurement « aurait certainement pu survenir indépendamment » de l’accident, la Cour relève qu’il y a là un mariage sémantique de l’eau et du feu, en somme à l’image de l’ambigà¼ité qui affecte les travaux d’expertise.

Vu les contradictions et partis pris de l’expert, la Cour dit ne pas trouver dans aucun des deux rapports les éléments permettant de renverser la présomption légale.

Dans la mesure où il subsiste un doute, que la Cour qualifie de réel, sur l’inexistence de tout lien causal même partiel et indirect entre l’accident et les lésions, celui-ci doit profiter à l’intéressée.

Intérêt de la décision

La Cour du travail rappelle ici clairement que la mission de l’expert est de mesurer les effets de l’accident du travail et de donner un avis sur l’indemnisation de la victime et non de s’immiscer dans la qualification des faits et de porter une appréciation sur ceux-ci. En l’espèce, le parti pris de l’expert, dès le départ, qui ne voulait pas admettre la réalité de l’accident, a abouti à un rapport plein de contradictions et d’incohérences. La Cour s’en s’écarte, dès lors, à juste titre. Dans la mesure où il ne contient pas les constatations médicales qui viendraient renverser la présomption de causalité, le doute, s’il subsiste, doit profiter à la victime.


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