Terralaboris asbl

Disposition au travail et études universitaires poursuivies à l’étranger

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 juin 2009, R.G. 48.783

Mis en ligne le vendredi 2 octobre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 10 juin 2009, R.G n° 48.783

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 10 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles a examiné, au regard de la condition de disponibilité en matière de revenu d’intégration sociale, le cas d’un étudiant de famille étrangère régularisée en Belgique, qui poursuit des études universitaires en Allemagne.

Les faits

Une famille originaire de l’ex-Yougoslavie vient en Belgique en 1995 et obtient la régularisation de son séjour. Elle devient, ensuite, belge par naturalisation.

Un des deux fils a poursuivi ses études primaires et, ensuite secondaires en langue allemande (Ecole européenne). À l’âge de 18 ans, il a bénéficié du revenu d’intégration sociale au taux cohabitant. Après la fin de ses études secondaires il a été admis à la faculté de médecine dans une université de Munich. Il fait part au CPAS de son projet d’études de médecine dans cette université, dans la mesure où il a fait toutes ses études en allemand et que sa connaissance du français est restée moyenne. Il s’agit d’études d’une durée de sept ans, qu’il a déjà entamées.

Il demandera sans succès une bourse d’études à la Communauté flamande, le motif du refus étant la poursuite d’études à l’étranger, l’absence de domicile en région flamande ainsi que le fait qu’il n’a pas achevé ses études secondaires dans une école flamande. Il échoue également à obtenir une bourse d’études allemande.

Enfin, le CPAS lui refuse le revenu d’intégration sociale vu que les études supérieures sont suivies en Allemagne et qu’il y réside.

L’intéressé introduit un recours devant le tribunal du travail, qui lui donne gain de cause, lui accordant, avec exécution provisoire, les arriérés de revenu d’intégration sociale au taux isolé.

Suite à ce jugement le CPAS va autoriser l’intéressé à poursuivre sa deuxième année de bachelier en médecine et lui accorde une aide sociale remboursable pour moitié, aux fins de permettre la prise en charge des frais scolaires. Le CPAS considère en effet que le parcours de l’étudiant dans l’enseignement secondaire a été remarquable et que l’allemand est la langue de la scolarité, ce qui implique de poursuivre les études universitaires dans cette langue.

Ultérieurement, le CPAS va cependant considérer qu’il est insuffisamment informé quant à la situation réelle de l’étudiant, qu’il disposerait de revenus en Allemagne, qu’il n’est pas clair qu’il ait un job d’étudiant ou non et qu’en fin de compte il ne se présente pas régulièrement au service social, à tel point qu’il n’a pas été possible de lui faire signer un projet individualisé d’intégration.

Une deuxième décision est prise, supprimant le revenu d’intégration vu l’absence de preuve de poursuite des études, l’absence de preuve de paiement du minerval, …, tous éléments faisant que le CPAS ne le considère plus comme étudiant.

La position du tribunal

Le tribunal rend deux jugements les 8 août et 18 décembre 2008, considérant, vu l’ensemble des éléments apportés par l’étudiant, qu’il remplit les conditions d’octroi du revenu, notamment la condition de résidence en Belgique. Il y a cependant eu absence de collaboration à l’enquête sociale, qui n’a pas permis de constater ceci avant le 15 mars 2008. Le tribunal rétablit donc l’intéressé dans ses droits à partir de cette date.

Les parties vont dès lors régulariser la situation à partir de cette période et un projet individualisé va être signé.

La position de la Cour

La Cour constate qu’elle est saisie, en conséquence, d’une période antérieure (1er octobre 2005 – fin septembre ou octobre 2007), la période commençant le 1er novembre 2007 ayant fait l’objet des deux jugements du tribunal du travail ci-dessus, et le tribunal ayant – en statuant sur le droit à partir du 1er novembre 2007 – accordé le revenu d’intégration à partir du 15 mars 2008.

Après avoir rappelé l’ensemble des éléments de fait permettant de vérifier la réalité de la poursuite des études, la Cour se prononce sur le projet d’études formé par l’étudiant, vu les circonstances de l’espèce.

Elle rappelle que les articles 4, 5° et 10 de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale imposent, parmi les conditions d’octroi du revenu d’intégration, la disposition au travail, à laquelle il peut être dérogé pour des motifs d’équité. En l’occurrence, les études primaires et secondaires ont été suivies en langue allemande, qui est une des langues nationales. La Cour relève que les études de médecine ne sont pas organisées en Belgique dans cette langue et qu’en conséquence le projet de poursuivre des études dans cette langue implique de le faire dans un pays germanophone, cette situation pouvant être rapprochée de celle des étudiants belges germanophones auxquels le CPAS d’Eupen ne voit pas d’objection à payer le revenu d’intégration sociale pendant leurs études supérieures en Allemagne. La Cour se réfère à cet égard à des informations que lui donne l’auditorat du travail.

Un autre rapprochement peut être fait avec la situation des allocations familiales, puisque les enfants qui suivent un enseignement hors du royaume de Belgique peuvent en bénéficier lorsque le programme est reconnu par l’autorité étrangère ou correspond à un programme reconnu par celle-ci (lois coordonnées du 19 décembre 1939, article 62, § 3 et arrêté royal du 10 août 2005 fixant les conditions auxquelles les allocations familiales sont accordées en faveur de l’enfant qui suit des cours ou poursuit sa formation). Par ailleurs, un projet d’études dans un établissement d’enseignement qui n’est pas agréé, organisé ou subventionné par une communauté, peut également faire l’objet d’un programme individualisé d’intégration sociale. La Cour en veut pour preuve que le revenu d’intégration a été accordé au jeune en question dans le cours de ses études secondaires à l’Ecole européenne, école qui n’est ni agréée, ni organisée, ni subventionnée.

C’est dans cet ordre d’idées que le CPAS d’Eupen alloue le revenu d’intégration à des jeunes belges germanophones résidant en Belgique et poursuivant l’enseignement supérieur (particulièrement l’enseignement universitaire) en Allemagne.

L’article 11, § 2 a) de la loi du 26 mai 2002 (selon lequel le projet individualisé d’intégration sociale est obligatoire lorsque le Centre accepte sur la base de motifs d’équité que la personne concernée entame (reprenne ou continue) ses études de plein exercice dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné par les communautés, et ce en vue d’une augmentation de ses possibilités d’insertion professionnelle) doit être interprété comme règle dans les projets d’études dans un établissement d’enseignement agréé, organisé ou subventionné mais sans exclure d’autres projets. En l’espèce le projet d’études en cause justifie l’octroi du revenu d’intégration, non seulement pour les motifs repris ci-dessus (langue nationale, absence d’enseignement universitaire en cette langue) mais aussi parce que ces études n’empêchent pas dans le cas d’espèce le revenu d’intégration sociale de remplir sa fonction, non plus que le CPAS d’accomplir sa mission légale.

Intérêt de la décision

C’est très logiquement, dans la décision annotée, que la Cour du travail autorise, après avoir dûment vérifié les circonstances de fait de l’espèce, que des études sérieusement poursuivies dans un pays limitrophe et n’étant pas organisées sur le territoire belge peuvent entrer dans les conditions de l’article 11, § 2 a) de la loi du 26 mai 2002.


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