Terralaboris asbl

Lésion réputée de nature congénitale et existence de l’événement soudain

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 juin 2009, R.G. 49.545

Mis en ligne le vendredi 2 octobre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 15 juin 2009, R.G. n° 49.545

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 15 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles est saisie d’une contestation relative à l’existence d’un accident du travail et au lien de causalité. Elle rappelle les principes en la matière.

Les faits

Un chauffeur-livreur signale à son employeur qu’il a été victime d’un accident du travail. Il décrit dans la déclaration d’accident les circonstances comme étant la manipulation de colis et palettes. Il déclare avoir eu des douleurs dans le bas-ventre. Le médecin consulté rédige un certificat médical de premier constat dans lequel il fait état d’une hernie inguinale droite.

L’entreprise d’assurances conteste qu’il puisse y avoir accident du travail, au motif que les faits portés à sa connaissance ne répondent pas à la définition légale, les lésions constatées ne pouvant pas être causées par les événements décrits.

Le médecin inspecteur de la compagnie précise en effet qu’une hernie inguinale est une anomalie congénitale existant depuis la naissance et qui ne peut être ni causée ni aggravée par les circonstances décrites.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Nivelles rejette la demande par jugement du 21 décembre 2006.

La position des parties en appel

La compagnie d’assurances développe une argumentation en deux points étant, d’abord, que la preuve de l’événement soudain n’est pas rapportée à suffisance de droit (absence de témoin, avertissement de l’employeur après le week-end uniquement, rédaction de la déclaration d’accident par le travailleur lui-même, rédaction incomplète, …) et par ailleurs le fait que la lésion visée serait une anomalie congénitale. Sur ce second volet, elle fait valoir que pour qu’une hernie puisse être le résultat d’un accident du travail il faut qu’elle soit due à un effort anormal déployé dans l’exécution du contrat. Ceci n’est pas le cas en l’espèce, l’intéressé ayant poursuivi le travail, de telle sorte que la compagnie conclut à l’existence soit d’une hernie d’origine congénitale ou d’une hernie de faiblesse et non d’une hernie de force. Cette hernie de force peut d’autant moins exister que l’intéressé, qui a rempli la déclaration, n’a pas fait état d’un effort qui serait établi. Ce n’est que bien plus tard dans le cours de la procédure, que ceci a été évoqué.

Quant au travailleur, il rappelle que la preuve de l’événement soudain peut découler de sa propre déclaration, pour autant que celle-ci soit plausible et cohérente et à la condition qu’elle soit corroborée par d’autres éléments du dossier et non contredite par certains de ceux-ci.

La position de la Cour

La Cour rappelle longuement les principes applicables : (i) il n’est pas exigé que l’élément épinglé par la victime se distingue de l’exécution du contrat de travail ; (ii) la déclaration de la victime ne constitue pas à elle-seule une preuve suffisante mais la preuve de l’accident peut résulter de celle-ci à la condition que la version donnée ne soit pas contredite par d’autres élément du dossier, la pertinence, la relevance, la force probante et la provenance des présomptions relevant de l’appréciation souveraine du juge du fond.

Sur le premier point, la Cour constate que le motif de refus de l’entreprise d’assurances est qu’il n’existe pas des circonstances se distinguant de l’exécution du travail et ayant pu causer la lésion. Cette position est contraire à la jurisprudence constante de la Cour de cassation : l’événement soudain ne doit pas nécessairement avoir une cause extérieure à l’organisme de la victime. Elle rappelle notamment l’arrêt de la Cour de cassation qui a considéré que manipuler de lourdes poubelles constituait un tel événement soudain. En l’occurrence, le travailleur manipulait des colis et palettes et cette manipulation peut constituer l’événement soudain. La Cour retient, à partir d’éléments de fait, une concordance dans les déclarations et éléments du dossier et conclut que le travailleur ne peut subir aucun préjudice du fait qu’il n’a pas cessé le travail ou n’a pas averti l’employeur immédiatement après la survenance des faits.

Quant à la lésion, la Cour la considère comme établie.

Enfin, sur le lien de causalité, celui-ci est exclu par le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances, au motif d’une anomalie congénitale, mais par ailleurs l’existence de prédispositions pathologiques est admise par le médecin-conseil du travailleur. Celui-ci conteste cependant l’existence d’une telle anomalie de naissance. Constatant qu’il y a une contestation d’ordre médical, la Cour recourt à une expertise pour déterminer si la lésion ou son aggravation éventuelle est imputable à l’accident.

Intérêt de la décision

La décision commentée rappelle, une fois de plus, qu’il ne peut être exigé, au titre d’événement soudain, d’épingler un élément distinct de l’exécution normale de la tâche journalière.

Par ailleurs, elle se livre à un bref examen du lien de causalité, étant de juger si la lésion est susceptible d’avoir été entraînée par l’événement soudain. Le lien causal est un élément de la définition de l’accident du travail, celui-ci étant défini comme l’événement soudain survenu par le fait de l’exécution du contrat et qui cause (ou qui peut causer) une lésion. Cet examen n’entame en rien la présomption de l’article 9, le contrôle du juge étant, à ce stade, de vérifier si la lésion invoquée est susceptible d’avoir été produite par l’événement soudain. En répondant par l’affirmative, la Cour conclut ici à l’existence d’un accident du travail. Il pourra, alors, être recouru à la possibilité de renversement de la présomption légale.

Rappelons que le contrôle du juge, sur l’existence de l’accident du travail, contient un examen prima facie du lien de causalité. Dans un arrêt du 23 avril 2001 (C. trav. Bruxelles, 23 avril 2001, R.G. n° 38.563), la Cour du travail de Bruxelles avait considéré qu’il n’appartient pas à la victime d’établir que la lésion a été causée par l’événement soudain. Le juge doit cependant vérifier si cet événement qu’elle désigne n’exclut manifestement pas la lésion ou, ainsi que l’avait illustré de manière caricaturale le Procureur général LENAERTS : la victime ne pourrait invoquer par exemple le fait de s’être cogné le pied pour expliquer une lésion au bras (voir à ce sujet S. REMOUCHAMPS « L’accident (sur le chemin) du travail : aperçu de la jurisprudence récente » – site internet www.terralaboris.be – texte à paraître dans Chron. Dr. Soc. Septembre 2009.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be