Terralaboris asbl

Critère d’exclusion d’un contrat de travail : possibilité pour le travailleur de choisir son remplaçant

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 juin 2009, R.G. 48.393W

Mis en ligne le mardi 8 septembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 10 juin 2009, R.G. n° 48.393W

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 10 juin 2009, devant statuer sur l’existence d’un contrat de travail dans le chef d’un chargé de cours, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé que la faculté pour celui qui fournit un travail de se faire remplacer par un prestataire de son choix n’est pas compatible avec un contrat de travail.

Les faits

La Ville d’Esch-sur-Alzette (Grand Duché de Luxembourg) a engagé pour trois années scolaires un professeur de diction française pour son conservatoire de musique. Une déclaration est faite aux autorités luxembourgeoises de l’engagement d’un salarié à concurrence d’un mi-temps. Le conseil communal va confirmer cet engagement. Dans le procès-verbal de sa délibération, l’on peut lire qu’il s’oblige « à se conformer aux instructions de ses chefs hiérarchiques », qu’il devra également participer aux activités normales du conservatoire et qu’un contrat d’engagement sera conclu.

Aucun contrat ne sera cependant signé. Quelques semaines plus tard, l’institution de sécurité sociale luxembourgeoise informe à la fois la Ville et l’ONSS de ce que l’intéressé est travailleur salarié sur le territoire de plusieurs Etats membres de la Communauté européenne (celui-ci étant également professeur au conservatoire de Bruxelles). Il doit, dès lors, pour l’institution luxembourgeoise, être assujetti à la sécurité sociale belge. Suite à ce refus dans le chef de sécurité sociale luxembourgeoise d’affilier l’intéressé, au motif exposé ci-dessus et vu l’absence de résidence au Luxembourg (ainsi que l’exercice sur le territoire de cet état d’une activité accessoire), la Ville décide alors de résilier rétroactivement le contrat d’engagement. Entretemps, le professeur s’est fait, pour plusieurs cours, remplacer par une collaboratrice (qui sera rémunérée, mais bien plus tard). Pour l’année académique suivante, la Ville signe avec une Asbl, représentée par ledit professeur, une convention selon laquelle elle fournit à la Ville pour l’année en cause des prestations artistiques. Il s’agira de dix leçons hebdomadaires de diction française et une facture devra être remise.

Un échange de correspondance s’ensuivra, dans lequel le professeur fait essentiellement état de difficultés à assurer lui-même l’enseignement en cause. Il y propose notamment d’être remplacé par un assistant.

Dans le même temps, l’institution de sécurité sociale luxembourgeoise écrit à l’ONSS que l’activité d’enseignement est à considérer comme une activité salariée dans le chef du professeur.

Vu l’absence de signature d’une convention pour la nouvelle année académique, le professeur adresse alors certaines doléances à la Ville, exposant les difficultés à qualifier ses prestations. Il confirme préférer opter pour la reconduction d’une convention avec son Asbl, du fait de certaines difficultés liées au cumul de prestations vu les fonctions exercées en Belgique. Il soulève également qu’il ne pourrait, en cas de contrat de travail, plus se faire remplacer par son assistant.

La collaboration ne sera pas poursuivie au-delà de cette dernière année académique, la Ville ayant, selon son conseil, « licencié le professeur pour faute grave », et ce vu qu’il ne s’était pas présenté.

Position du tribunal du travail

Le tribunal du travail de Bruxelles va condamner la Ville à payer à l’ONSS les cotisations de sécurité sociale de travailleur salarié, jugement suite auquel la Ville interjette appel.

Position de la Cour du travail

La Cour du travail rappelle qu’en vertu des articles 5, 9, 22 et 40 de la loi du 27 juin 1969 concernant la sécurité sociale des travailleurs, l’ONSS peut décider d’office de l’existence ou de l’inexistence d’un contrat de travail.

Après avoir repris les éléments constitutifs du contrat de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978 (travail, rémunération et autorité) elle relève que l’autorité de l’employeur est l’élément distinctif du contrat de travail et propre à celui-ci et que c’est ce critère qui le différencie d’un contrat d’entreprise ou d’une collaboration indépendante.

La qualification, lorsqu’elle existe, s’impose en règle générale tant aux parties qu’à l’ONSS (et aux autres tiers). Le juge peut cependant écarter celle-ci notamment lorsque les dispositions du contrat ou la volonté des parties sont incompatibles avec elle.

Analysant les éléments de l’espèce, les documents signés – dont aucun ne confirme expressément qu’il s’agit d’une relation de travail salarié – et l’exécution constante de la convention, la Cour conclut que l’existence d’un contrat de travail doit être exclue. L’élément essentiel retenu est que le professeur s’est fait remplacer à plusieurs reprises par un assistant qu’il a choisi, remplacements qui se sont poursuivis pendant plusieurs années scolaires. A chaque reprise, le professeur a été garant de la qualité de son remplaçant et il ne ressort pas du dossier que la Ville ait marqué accord sur la personne de celui-ci ou sur la date à laquelle il effectuerait la prestation en cause. La Cour retient encore que cette question de remplacement est une modalité très importante pour les parties et que c’est notamment en raison des difficultés issues de ces remplacements qu’une nouvelle convention avait été signée au cours des relations contractuelles.

La Cour en conclut que la faculté pour celui qui fournit le travail de se faire remplacer par un prestataire de son choix n’est pas compatible avec un contrat de travail, d’autant qu’en l’espèce celle-ci a été effectivement mise en œuvre à plusieurs reprises, confirmant ainsi la volonté des parties à cet égard.

Vient conforter cette conclusion le fait qu’une convention a été conclue avec une personne morale, étant l’Asbl, et que les services fournis l’ont été par un mandataire de celle-ci mais également par d’autres tiers désignés par lui, le fait encore que les services en cause ont été payés à la personne morale et que c’est celle-ci qui a rétribué le prestataire remplaçant. Il ne peut, pour la Cour, être question de contrat de travail dans de telles circonstances et les affirmations contenues dans une délibération du conseil communal de la Ville ne sont pas opposables au professeur.

Intérêt de la décision

Outre qu’elle concerne un cas d’application de la législation en matière de sécurité sociale dans deux pays de l’Union (le Luxembourg et la Belgique) et qu’elle est l’occasion de rappeler les échanges d’informations entre institutions de sécurité sociale, la Cour du travail retient, ici, comme indice de l’existence de l’existence d’un contrat de travail non les indications communiquées à cet égard par l’institution de sécurité sociale luxembourgeoise à l’ONSS mais les critères habituels en la matière, étant qu’il y a lieu de rechercher dans la réalité si les éléments constitutifs du contrat de travail ont existé. A cet égard, l’arrêt présente l’intérêt supplémentaire de ne retenir qu’un critère, déterminant, pour conclure à l’absence de contrat de travail, étant la possibilité pour le prestataire de services de se faire remplacer et de choisir ce remplaçant lui-même.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be