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Assujettissement d’un administrateur de société au statut social des travailleurs indépendants vu l’absence de qualification claire de la relation contractuelle

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 juin 2009, R.G. 44.145

Mis en ligne le jeudi 3 septembre 2009


Cour du travail de Bruxelles, 12 juin 2009, R.G. n° 44.145

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 12 juin 2009, la Cour du travail de Bruxelles a conclu à l’assujettissement au statut des travailleurs indépendants d’un des administrateurs-délégués d’une société anonyme vu l’absence d’indices d’autorité exercée sur son activité.

Les faits

Lors de la constitution d’une société immobilière, Monsieur L. est désigné administrateur, le conseil d’administration comptant cinq personnes. Deux membres (dont lui-même) sont administrateurs-délégués pour une partie de l’activité et trois autres (dont une seule en Belgique) sont nommés à cette même fonction pour une autre branche.

Monsieur L. est déclaré comme employé coordinateur avec une rémunération équivalente à 7,5€ / heure. Un contrat de travail sera signé l’année après l’entrée en service et l’intéressé sera encore en mesure de produire devant les juridictions du travail d’autres documents (fiche de renseignements, certificat de travail, certificat de chômage C4). Il sera admis aux allocations de chômage complet après un un an et demi de travail. La société est alors mise en liquidation et il est désigné comme liquidateur avec deux anciens administrateurs. Il est président du collège des liquidateurs.

L’ONSS informera ultérieurement l’INASTI que l’assujettissement au régime des travailleurs salariés n’est pas fondé et qu’en conséquence il annule les prestations et rémunérations déclarées depuis l’entrée en fonction. Les motifs de sa décision sont que Monsieur L. était administrateur-délégué et actionnaire de la société, qu’il occupait une fonction importante et qu’enfin il n’y a pas de preuve de paiement de la rémunération.

L’INASTI prend donc le relais et entame une enquête.

Un an plus tard la société est déclarée en faillite.

Ultérieurement, l’INASTI met Monsieur L. de demeure de s’affilier à une caisse d’assurances sociales.

La position du tribunal

Suite au recours introduit par l’intéressé, le tribunal du travail rend un jugement le 18 mars 2003, le condamnant à payer les cotisations sociales pendant la période correspondante, plus majorations et intérêts judiciaires.

La position de la Cour

Suite à l’appel de l’intéressé, qui demande de débouter l’INASTI de sa demande originaire et de le condamner à lui payer 1.250€ pour procédure téméraire er vexatoire, la Cour du travail est saisie de la question essentielle de la qualité en laquelle l’activité en cause a été déployée pendant la période considérée. La Cour constate qu’il s’agit d’une activité de coordonateur à concurrence de journées complètes puis de trois heures par jour. Cette activité a été rémunérée. La qualification fiscale est pour la Cour sans intérêt. Les cotisations de travailleur indépendant sont en effet calculées à partir des revenus professionnels tels qu’ils sont déterminés par la législation fiscale et les revenus tirés d’une activité de travailleur indépendant figurent parmi ceux-ci. La qualification de rémunération de travailleur salarié n’est dès lors pas opposable à l’INASTI. Celui-ci peut, si le dossier – et notamment une décision de l’ONS – révèle qu’il s’agit de revenus professionnels de travailleur indépendant, réexaminer la situation. La Cour précise en outre que le rôle du juge est de statuer sur les demandes qui lui sont soumises en tenant compte des faits prouvés ainsi que des règles de droit pertinentes. Ainsi, la qualification fiscale ne doit pas être retenue si elles s’avèrent erronées sur la base des faits qui sont révélés par le dossier et par les règles de droit applicable. Il s’agit pour la Cour de règles relatives à la fonction juridictionnelle et notamment à l’article 159 de la Constitution.

Il y a dès lors lieu de rechercher l’existence d’un lien de subordination, dans le cas d’espèce, étant des manifestations d’autorité, la Cour rappelant la doctrine de Mme Jamoulle (M. Jamoulle, « seize leçons sur le droit du travail », 1994, p. 113) selon laquelle le lien de subordination suppose le pouvoir de l’employeur de déterminer la prestation de travail dans son contenu et celui d’organiser l’exécution même de cette prestation.

Constatant qu’il n’y a pas de qualification précise de la relation contractuelle entre l’intéressé et la société dont il était administrateur-délégué (le contrat de travail signé par le comptable étant postérieur à la date d’entrée en service et le rôle du comptable étant peu défini), la situation n’est pas claire et la Cour retient que l’intéressé n’a pas protesté lorsque l’ONSS a pris sa décision de ne pas le considérer comme salarié.

La qualité d’administrateur-délégué, en l’espèce, impliquait que l’intéressé était délégué par un conseil composé de lui-même, d’un membre de sa famille qui n’a pas pu exercer sur lui l’autorité de l’employeur, ainsi que de trois associés vivant à l’étranger, dont il ne ressort pas qu’ils aient exercé d’une manière quelconque l’autorité sur Monsieur L., non plus que la dernière associée étrangère domiciliée en Belgique.

En ce qui concerne la signature des documents sociaux, étant celle d’un comptable extérieur à la société, la Cour retient encore qu’il n’est pas produit de procuration qui aurait été donnée à celui-ci par un organe de la société. Elle en retire une présomption d’absence de représentation réelle de la société pouvant exercer une autorité sur Monsieur L. Enfin, outre la désignation de celui-ci à la fonction la plus importante lors de la liquidation, étant celle de président du collège des liquidateurs, le fait qu’il disposait des connaissances techniques nécessaires pour réaliser l’objet social dont il était chargé - compétences que n’avait aucun des autres administrateurs - entraîne pour la Cour une autre présomption d’absence d’autorité de l’employeur sur lui.

Elle en conclut que l’absence de tout élément déposé par l’intéressé prouve qu’en réalité personne n’a exercé sur lui l’autorité de l’employeur. Il y aura, dès lors, assujettissement au statut social.

La Cour confirme dès lors le jugement du tribunal.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail confirme l’étendue du contrôle judiciaire, dans les conditions de prestation d’une activité, étant la manière dont celle-ci s’est exercée effectivement. En l’absence d’indice d’autorité, l’on ne peut revendiquer la qualité de salarié même si certains documents formels s’y réfèrent. La Cour rappelle sa mission, de manière générale, dans le cadre de la fonction juridictionnelle : statuer sur la demande qui lui est soumise en tenant compte des faits prouvés et des règles de droit pertinentes, examen dans lequel elle apprécie les preuves et détermine ces règles de droit à appliquer.


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