Terralaboris asbl

Non motivation d’une décision de renonciation à la récupération d’indu : annulation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 mars 2009, R.G. 50.531

Mis en ligne le mercredi 26 août 2009


Cour du travail de Bruxelles, 30 mars 2009, R.G. n° 50.531

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un arrêt du 30 mars 2009, la Cour du travail de Bruxelles, statuant dans le cadre d’un litige relatif à une allocation d’intégration pour personne handicapée, a rappelé l’exigence de motivation formelle des décisions de renonciation à la répétition de l’indu : en l’absence de motivation suffisante, une telle décision doit être annulée.

Les faits

Monsieur L. perçoit une allocation d’intégration, tout en travaillant, situation déclarée dès le départ. Ses revenus augmentent de 20%, pour l’année 1999 et des revisions interviennent, en conséquence, en 2002. Un indu de l’ordre de 13.500€ est réclamé. Il est renoncé à celui-ci à concurrence de 1.200€, par décision administrative. Dans le cadre de la procédure judiciaire, l’Etat Belge postule, dès lors, le remboursement d’un montant de l’ordre de 12.300€.

La position du tribunal

Le premier juge annule la décision de renonciation à la récupération d’indu (récupération partielle) et ordonne à l’Etat Belge de reprendre l’instruction du dossier en ce qui concerne la demande de renonciation.

Il sursoit à statuer sur la demande de remboursement dans l’attente de la nouvelle décision administrative.

La position des parties en appel

L’intéressé interjette appel, faisant valoir l’existence d’une faute dans le chef de l’Etat Belge, qui n’aurait pas tenu compte immédiatement des informations dont il avait ou devait avoir connaissance, et ce de par les déclarations faites au registre national et à l’administration fiscale, l’Etat ayant tardé avant de réagir. En outre, il demande d’application de l’article 17 de la Charte, en ce qui concerne la prise d’effet des décisions de revision (absence de rétroactivité).

L’Etat Belge sollicite la confirmation du jugement hors pour ce qui touche à l’obligation de saisir à nouveau la Commission d’aide sociale.

La position de la Cour

La Cour commence par retenir que les décisions de revision sont légalement justifiées, vu les revenus perçus.

Elle relève ensuite l’absence de faute – faisant d’ailleurs le constat que l’intéressé n’avait en tout état de cause plus droit aux allocations d’intégration de telle sorte que, à les supposer établies, les fautes alléguées ne pourraient entraîner au titre de réparation la suppression de l’indu demandée.

Par ailleurs, sur l’article 17, qui vise l’erreur de l’institution de sécurité sociale, la Cour relève qu’il ne trouve pas à s’appliquer, vu l’absence d’erreur du SPF Sécurité sociale dans l’instruction du dossier. Elle constate que si les décisions de revision sont intervenues en septembre 2002, elles résultent du fait que l’intéressé n’a pas communiqué l’augmentation des revenus intervenue en 1999, alors qu’il avait pourtant l’obligation de ce faire. Le texte applicable à l’époque (article 8, § 2 de la loi du 27 février 1987 avant sa modification par la loi-programme du 24 décembre 2002) faisait obligation à la personne handicapée de déclarer sans délai les éléments nouveaux susceptibles d’entraîner une réduction du montant de son allocation. Sur l’obligation de signaler également une modification de son état civil (l’intéressé s’étant marié pendant la période concernée) la Cour relève qu’à l’époque la personne handicapée était dispensée en vertu de l’article 15, alinéa 2 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 (texte abrogé par l’arrêté royal du 22 mai 2003) de communiquer les modifications intervenues dans son état civil et sa composition de ménage. Le SPF ne commet cependant pas d’erreur au sens de l’article 17 de la Charte du seul fait qu’il n’a pas constaté immédiatement les modifications intervenues et qu’il n’a initié la procédure de revision que quelques mois plus tard.

En conséquence, les décisions intervenues doivent avoir un effet rétroactif.

Mais c’est également à l’examen de la décision de renonciation partielle à la récupération d’indu que la Cour s’attache, dans une analyse judicieuse.

Rappelant que l’arrêt 26/2006 de la Cour Constitutionnelle du 15 février 2006 a confirmé la compétence des juridictions du travail pour exercer un contrôle de légalité interne et externe sur les décisions de refus de renonciation (du moins lorsque le demandeur estime être un cas digne d’intérêt), la Cour rappelle l’obligation de motivation contenue à la fois dans la loi du 11 avril 1995 et dans celle du 29 juillet 1991, cette dernière précisant qu’elle doit être adéquate et qu’elle ne comporte que quatre hypothèses de dérogation : (i) compromettre la sécurité extérieure de l’Etat, (ii) porter atteinte à l’ordre public, (iii) violer le droit au respect de la vie privée, (iv) constituer une violation de dispositions en matière de secret professionnel.

Le SPF n’a pas expliqué la décision prise, sauf par de vagues considérations non autrement étayées, (obligation pour l’autorité de faire état de situations personnelles parfois « gênantes »).

La Cour répond que l’examen d’un cas digne d’intérêt ne passe pas nécessairement par l’obligation de dévoiler des situations gênantes. La demande de remboursement doit être faite en tenant compte notamment des possibilités financières de l’intéressé, ce qui ne touche nullement au respect de la vie privée et ne fait pas obstacle à une motivation formelle adéquate.

En conséquence, la Cour confirme le jugement du tribunal du travail et annule la décision pour violation de l’obligation de motivation formelle.

Une dernière question est encore abordée par la Cour, étant de savoir si, en cas d’annulation, il appartient aux juridictions du travail de se prononcer sur l’existence d’un cas digne d’intérêt. La Cour relève que tel est le point de vue du Ministère Public mais elle conclut en adoptant la thèse selon laquelle la compétence de renoncer à la récupération d’indu est une compétence discrétionnaire de telle sorte que la juridiction du travail ne peut se prononcer sur l’existence d’un cas digne d’intérêt sans violer le principe de la séparation des pouvoirs. Elle rappelle un arrêt de la Cour Constitutionnelle en matière de pension (arrêt n° 82/2007 du 7 juin 2007) et un autre en matière de prestations familiales garanties (arrêt n° 207/2004 du 21 décembre 2004). Elle conclut que le contrôle de légalité doit se faire sans possibilité de substitution.

Intérêt de la décision

Essentiellement axée sur la Charte de l’assuré social, cette décision rappelle encore une fois les exigences de motivation des décisions administratives et, en cas d’annulation, la suite à réserver à la demande : réexamen par l’autorité compétente en vue d’une nouvelle décision, motivée cette fois. Le contrôle judiciaire s’exercera, ultérieurement, sur celle-ci toujours eu égard aux exigences de la Charte.


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