Terralaboris asbl

Arriérés d’aide sociale : date de départ

Commentaire de Cass., 9 février 2009, R.G. S.08.0090.F

Mis en ligne le lundi 3 août 2009


Cour de cassation, 9 février 2009, R.G. n° S.08.0090.F/1

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 9 février 2009, la Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour du travail de Bruxelles du 6 mars 2008, qui n’avait accordé le droit à l’aide sociale qu’à partir de la décision judiciaire, au motif qu’il n’était pas constaté un besoin spécifique non rencontré par celle-ci.

Les faits

Un étranger d’origine algérienne, sans titre de séjour en Belgique vu l’échec d’une procédure d’une demande d’asile, souffre d’une maladie chronique et évolutive, dont il apparait qu’elle ne pourrait être soignée dans son pays d’origine.

Le CPAS lui refuse l’aide sociale sauf l’aide médicale urgente et ce au motif de l’illégalité du séjour. Cette décision intervient le 20 septembre 2006, moment auquel l’intéressé n’est en possession d’aucune pièce médicale.

La position du tribunal

Le tribunal du travail va accorder des arriérés d’aide sociale à partir du 1er décembre 2006 au motif qu’il s’agit là de la date à partir de laquelle il a démontré l’impossibilité absolue de retour au pays, en plus de son incontestable état de besoin.

La position de la Cour

La cour du travail considère dans son arrêt du 6 mars 2008 que si ni l’état de santé, ni l’état de besoin n’étaient contestés, le demandeur devait en outre établir son admissibilité à une aide sociale autre que l’aide médicale urgente. Dans son cas, celle-ci est conditionnée par la preuve de l’impossibilité pour lui d’obtenir les soins nécessaires dans son pays d’origine, ce qui justifierait l’impossibilité absolue de retour.

La cour va relever de l’évolution de la procédure que suite à l’audience d’introduction de la cause devant le tribunal en date du 30 novembre 2006 (date à laquelle le tribunal a décidé d’une remise afin de permettre au demander d’apporter les preuves requises), la cause n’a en fin de compte été prise que plus de neuf mois plus tard, en date du 3 septembre 2007. La cour du travail relève l’absence d’attitude dilatoire du CPAS dans la mise en état du dossier, celui-ci ne pouvant par ailleurs se voir reprocher le défaut de pièces médicales probantes avant la date de plaidoiries. La cour conclut dès lors qu’en refusant dans l’intervalle toute aide financière, le CPAS n’a fait que respecter la loi, étant l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976, qui interdit en principe l’octroi de cette aide. Dans l’intervalle, relevant cependant que l’intéressé a dû vivre « à droite et à gauche », sans abri, hébergé par le CASU ou d’autres foyers - ce que la cour retient comme étant une vie non-conforme à la dignité humaine d’autant plus que l’intéressé souffrait d’un état de santé pénible -, elle conclut que l’aide financière doit effectivement être octroyée mais depuis la date du jugement du tribunal. Pour la cour, ni à ce moment, ni au moment où elle-même a pris la cause en délibéré, il n’est constaté un besoin spécifique qui n’aurait pas été rencontré par l’octroi de l’aide accordée, fixée au montant du revenu d’intégration au taux isolé. La cour relève en particulier que le fait d’avoir vécu une vie très précaire dans l’intervalle ne constitue pas en soi un besoin à rencontrer désormais.

Les moyens du pourvoi

La première branche du moyen vise une contradiction dans la motivation de l’arrêt et la Cour ne répondra qu’à la deuxième et troisième branche. La deuxième branche rappelle le droit de toute personne à l’aide sociale, aide qui a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit existe indépendamment des erreurs, de l’ignorance, de la négligence ou de la faute du demandeur d’aide sociale et le demandeur en cassation rappelle ici l’arrêt de la Cour suprême du 10 janvier 2000 (Pas., 2000, I, 17). Il relève que, lorsqu’une personne remplit les conditions pour obtenir l’aide sociale, le droit aux arriérés ne dépend pas de la date à laquelle il produit les pièces justificatives à ce propos. Même si le retard peut lui être imputable, ceci ne dispense pas le CPAS de l’obligation de payer les arriérés depuis la date à laquelle les conditions d’octroi ont été réunies.

Quant à la troisième branche, elle relève que le droit à l’aide sociale s’étend au droit aux arriérés depuis la date d’introduction de la demande si les conditions d’octroi sont réunies. Il n’y a aucune disposition dans la loi du 8 juillet 1976 relative à une prescription et il n’existe pas davantage de normes limitant la possibilité pour le demandeur d’obtenir les arriérés. Le pourvoi rappelle la doctrine à cet égard (S. Saroléa, « Aide sociale et droit au arriérés », J.T., 2000, 709).

Position de la Cour de cassation

Sur la deuxième branche, la Cour de cassation rappelle les principes contenus dans le pourvoi étant le but de l’aide sociale, le fait que le droit à celle-ci existe indépendamment des erreurs, de l’ignorance, de la négligence ou de la faute du demandeur ainsi que le fait que le droit à cette aide ne dépend pas de la date à laquelle le demandeur produit la preuve qu’il réunit les conditions pour en bénéficier. L’arrêt considère, en conséquence, le moyen fondé, en cette branche, puisque la cour du travail a admis que l’intéressé était depuis le 1er décembre 2006 dans l’impossibilité absolue de rentrer dans son pays d’origine mais qu’elle lui a refusé l’aide sociale à partir de cette date au motif que cette impossibilité n’a été établie que plus tard et que le CPAS n’avait aucune responsabilité dans ce retard.

Sur la troisième branche, la Cour de cassation rappelle qu’aucune disposition légale ne prévoit que l’aide sociale ne peut pas être accordée rétroactivement à la personne qui y a droit. Le droit à celle-ci peut dès lors être réclamé pour la période entre la demande et la décision judiciaire. Le moyen, en cette branche, est considéré par la Cour suprême comme également fondé puisque la cour du travail n’a pas dénié que l’intéressé était dans un état de santé ne lui permettant pas de vivre une vie conforme à la dignité humaine et qu’il était sans abri mais que, par contre, elle lui a refusé le droit au paiement d’arriérés au motif que rien ne permettait de constater que l’aide accordée à partir de la décision judiciaire ne couvrait pas l’ensemble des besoins.

Intérêt de la décision

L’importance de cet arrêt de la Cour de cassation n’échappera pas, puisqu’il rappelle que, en cas de procédure judiciaire, le droit aux arriérés d’aide sociale existe à partir de la demande si l’intéressé est dans les conditions pour en bénéficier. Peu importe si ce n’est que plus tard qu’il apporte des éléments de preuve à cet égard.

L’on peut également rappeler que, dans un arrêt du 18 décembre 2007 (S.070017F), la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur le droit aux arriérés d’aide sociale, considérant qu’aucune disposition légale ne prévoit que le demandeur ne peut y avoir droit pour la période écoulée entre sa demande et la décision judiciaire faisant droit à celle-ci.


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