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Travailleuse enceinte prestant en MRS : exigence de la mesure d’écartement vu l’existence d’un risque accru, et ce indépendamment de l’activité de la travailleuse

Commentaire de C. trav. Liège, 25 juin 2009, R.G. 33.578/05

Mis en ligne le vendredi 31 juillet 2009


Cour du travail de Liège, 25 juin 2009, R.G. n° 33.578/2005

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 juin 2009, la Cour du travail de Liège a conclu à l’illégalité des critères du Fonds des maladies professionnelles en ce qu’ils opèrent une distinction entre les travailleuses prestant dans le secteur de soins de santé, et ce en fonction du type d’activité exercée par l’employeur.

Les faits

Une infirmière en MRS (secteur public) est écartée de son activité professionnelle, le médecin du travail estimant dans son avis qu’elle ne peut travailler dans les locaux où existe un risque de « maladies infectieuses ». Le Fonds des maladies professionnelles retient, par contre, qu’il y a en l’espèce immunisation contre le virus de l’hépatite B et contre celui de la varicelle (IGG 760) et refuse dès lors la reconnaissance du risque. En conséquence, l’employeur (Intercommunale) notifie une décision conforme, concluant à l’absence de raisons médicales suffisantes pour justifier un arrêt temporaire de la fonction.

La procédure

La travailleuse introduit un recours contre son employeur, qui appelle le FMP à la cause.

Le tribunal va désigner un expert, qui relève que l’exercice des activités professionnelles n’avait pas pour effet d’exposer la travailleuse au risque de contracter une maladie reprise à la liste des maladies indemnisables pouvant se déclencher dans le cadre de la grossesse, et ce tenant compte de son bilan immunologique (les risques spécifiques visés étant considérés comme nuls vu qu’elle possédait des anticorps et que son travail n’entraînait pas de risque accru contre les autres agents infectieux).

Le tribunal du travail ne suivit pas ces conclusions, considérant d’une part que dans le secteur public il n’est pas légalement requis que l’exposition à l’influence nocive soit nettement plus grande que celle subie par la population en général (comme dans le secteur privé) et que d’autre part le système de la double liste, utilisé dans l’arrêté royal du 28 novembre 1969 notamment pour le personnel des institutions de soins n’a pas opéré une distinction entre le type de personnel selon les institutions dans lesquelles il travaille (à savoir qu’un bilan immunologique devrait être exigé pour les uns et pas pour les autres, ceci étant un critère interne décidé par le Fonds).

Le tribunal relève également que l’expert n’a pas rencontré les hypothèses liées à certaines maladies (hépatite A, tuberculose et autres maladies infectieuses), que l’infirmière n’était pas protégée contre d’autres (hépatite C, cytomégalovirus) et qu’elle était exposée à un risque accru de contracter d’autres maladies encore (tuberculose, toxoplasmose et CMV).

La position des parties en appel

Le Fonds interjette appel, faisant valoir que certaines affections (CMV, toxoplasmose) ne peuvent se contracter dans des maisons de repos et que, pour lui, l’immunisation doit être intervenir dans la décision d’écartement. En l’espèce, les activités professionnelles de l’infirmière n’entraînaient pas une exposition spécifique au risque de contracter une maladie reprise dans la liste.

La position de la Cour du travail dans son arrêt du 28 juin 2006

La Cour décida, par un premier arrêt du 28 juin 2006, de s’écarter du rapport d’expert et d’ordonner une nouvelle expertise.

La position de la Cour du travail dans son arrêt du 25 juin 2009

La Cour rappelle les principes en la matière, s’agissant d’un cas du secteur public.

L’article 2, alinéa 4, de la loi du 3 juillet 1967 renvoie, à cet égard, aux lois coordonnées le 3 juillet 1970, en vigueur dans le secteur privé.

Par ailleurs, les dispositions de la loi du 16 mars 1971 (article 41, 41bis et 42) doivent également être prises en compte. Ces articles disposent que, pour toute activité susceptible de présenter un risque spécifique d’exposition aux agents, procédés ou conditions de travail, la nature, le degré et la durée de cette exposition sont évalués par l’employeur afin d’apprécier tout risque pour la sécurité ou pour la santé ainsi que toute répercussion sur la grossesse ou l’allaitement de la travailleuse ou la santé de l’enfant et afin de déterminer les mesures générales à prendre (article 41, alinéa 1er). Pour les risques auxquels toute exposition doit être interdite et dont la liste est fixée par le Roi, il y a lieu à écartement, de même lorsque la travailleuse invoque une maladie ou un danger en rapport avec son état, susceptible d’être attribué à son travail, si le médecin du travail à qui elle s’adresse constate l’existence d’un risque (article 42).

De même, l’arrêté royal du 28 mars 1969 a dressé la liste des maladies professionnelles donnant lieu à réparation et a notamment relevé (code 1.403.01 et suivants) la liste des maladies susceptibles d’intervenir, dans ce cadre.

La Cour relève ensuite que le Fonds a établi des règles particulières selon lesquelles il faut opérer une distinction entre les travailleuses, et ce en fonction de leur milieu de travail. D’une part, il existerait une présomption de risque accru permanent pour certaines d’entre elles (celles travaillant en milieu hospitalier, en cabinet médical ou dentaire ou prodiguant des soins à domicile) de telle sorte qu’un bilan immunologique ne serait pas exigé et d’autre part, ce bilan serait indispensable pour certains risques (étant les risques HBV, Herpes virus, varicelle, zona) pour d’autres catégories, notamment pour les travailleuses prestant en maison de repos et de soins.

La Cour entreprend, à partir de ces éléments, de déterminer les conditions d’écartement préventif admises en jurisprudence. Elle rappelle que, dans un premier temps, l’écartement était limité aux seules maladies figurant dans la liste, à l’exclusion des maladies visées à l’article 30bis des lois coordonnées le 3 juillet 1970. Cette situation a évolué, aucun argument ne permettant en effet d’opérer cette distinction.

La Cour rappelle que sur le plan médical la jurisprudence n’opère pas davantage de distinction selon l’activité de l’entreprise ou selon l’activité de la travailleuse, pour autant qu’il existe un risque de contact avec une personne elle-même atteinte d’une maladie infectieuse. Il en découle que non seulement les infirmières sont concernées mais également les aides- soignantes, les aides familiales ou encore les techniciennes de surface. Les travailleuses ne sont pas uniquement celles prestant en service hospitalier ou chargées de soins à domicile mais également celles occupées en maison de repos et de soins et il ne se justifie nullement d’opérer de distinction entre elles et notamment d’établir une présomption couvrant certaines catégories.

La Cour en conclut qu’il ne faut pas opérer de distinction selon l’activité de l’employeur ni selon l’activité de la travailleuse. Le critère est dès lors unique : c’est le risque accru de contact avec une personne atteinte d’une maladie infectieuse, susceptible de mettre en danger le fœtus.

Sur le plan de la preuve, la Cour relève encore qu’il ne peut être question d’imposer à la travailleuse d’apporter la preuve que sa sérologie est négative par rapport au risque infectieux. Ceci reviendrait à introduire une discrimination entre les femmes enceintes selon le milieu dans lequel elles travaillent. Dès lors que le risque accru existe, ce risque ne peut être pris et la Cour de conclure que dans les MRS (tout comme dans les hôpitaux) le personnel soignant fait de par son acticité courir un risque accru au fœtus. Rappelant un avis d’expert dans un autre cas, la Cour retient que la femme enceinte présente une immunité diminuée et que ceci la rendra plus sensible aux différentes infections bactériennes ou virales. De par l’augmentation de température et d’hypoxie, l’infection de la mère représente un risque pour l’enfant. De même le traitement appliqué à la mère peut avoir des répercussions sur la survie du fœtus voire sur le développement futur de l’enfant.

En conclusion, malgré un nouvel avis d’expert (qui avait conclu que le risque était faible) la Cour conclut que le risque ne peut être encouru, et ce même s’il n’est accru que faiblement.

Intérêt de la décision

L’arrêt se prononce dans l’hypothèse du secteur public. Il renvoie à l’ensemble des règles du secteur privé et infirme la position du Fonds des maladies professionnelles qui a procédé à une distinction entre les travailleuses selon les lieux où elles prestent. Pour la Cour, ce faisant le Fonds ajoute à la loi.

La Cour rappelle également que le principe est qu’aucun risque ne peut être encouru. Le fait que celui-ci soit faible n’empêche qu’il peut survenir.


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