Terralaboris asbl

Exercice conjoint de l’autorité parentale : date de prise d’effet de la qualité d’allocataire

Commentaire de C. trav. Liège, section Namur, 29 juin 2009, R.G. 8.656/2008

Mis en ligne le vendredi 24 juillet 2009


Cour du travail de Liège, Section de Namur, 29 juin 2009, R.G. n° 8.656/2008

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 29 juin 2009, la Cour du travail de Liège (sect. Namur) rappelle l’évolution des textes, dans l’hypothèse de l’exercice conjoint de l’autorité parentale par des parents séparés, de même que l’incidence de la reconnaissance de la qualité d’allocataire sur le rang des allocations.

Les faits

Un couple se sépare et une ordonnance de référé rendue en octobre 1997 confie au père la garde d’un enfant mineur, la mère en assurance l’hébergement secondaire. Quinze jours plus tard, la mère informe l’O.N.A.F.T.S. des dispositions de l’ordonnance, signalant que les deux enfants du couple sont domiciliés et entretenus par leur père. Dans un premier temps, les allocations de l’enfant ainé sont versées au père mais non celles du cadet. Une régularisation intervient cependant, hormis le taux. En janvier 1998, l’O.N.A.F.T.S. signale au père que les allocations dues pour le fils cadet doivent être versées à la mère, et ce au motif que les parents séparés exercent conjointement l’autorité parentale. Le père est informé de la procédure à suivre. En septembre de la même année, l’O.N.A.F.T.S. reprend l’initiative d’une information, étant que les allocations du fils cadet sont dues à la mère, et ce tant que l’autorité parentale est exercée par les parents conjointement. L’Office précise que le calcul des allocations ne peut se faire qu’en tenant compte de cette situation : le fils est supposé être élevé dans le ménage de la mère et le regroupement des allocations en deux rangs est impossible. Pour bénéficier des allocations en son nom, le père devrait, selon l’Office, introduire une demande en vue de se faire désigner comme allocataire.

La procédure

Le père forme, en conséquence de cette information, recours contre la décision et sollicite d’être désigné comme allocataire. L’Office admet que, dans une telle hypothèse, les allocations peuvent être regroupées et lui être versées avec effet à l’introduction de la demande.

La position du tribunal

Le tribunal dit pour droit que le père doit avoir la qualité d’allocataire, et ce vu l’ordonnance de référé. Le point de départ est le 1er novembre 1998.

La position des parties en appel

L’O.N.A.F.T.S. interjette appel principal, et ce au motif que la modification ne peut sortir ses effets qu’à partir du 1er du mois qui suit la notification du jugement lui adressé.

Le père interjette appel incident, aux fins de pouvoir bénéficier des allocations pour ses deux enfants de manière rétroactive, à savoir dès le mois de novembre 1997, étant le mois qui suit l’ordonnance.

La position de la Cour

La Cour du travail se livre d’abord à un rappel des textes applicables, étant essentiellement l’article 69, § 1er, des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés du 19 décembre 1939. Elle rappelle l’évolution de ce texte, étant qu’à l’époque des faits, il prévoyait, en cas d’absence de cohabitation des parents, que lorsque ceux-ci exercent conjointement l’autorité parentale et que l’enfant n’est pas élevé exclusivement ou principalement par un autre allocataire (à savoir toute autre personne que le père – Cass., 25 février 2008, J.T.T. 2008, p. 185), les allocations sont payées intégralement à la mère et que, à la demande des deux parents, le versement peut être effectué sur un compte auquel ils ont l’un et l’autre accès.

La loi du 25 janvier 1999 a modifié ces dispositions en prévoyant la possibilité de payer les allocations familiales intégralement au père, à sa demande, si l’enfant et lui-même ont la même résidence principale. En outre, la loi a précisé que lorsque les parents ne s’accordent pas sur l’attribution des allocations familiales, ils peuvent demander au tribunal du travail de désigner l’allocataire.

Mais cette disposition a été modifiée par la loi du 22 décembre 2008, dans la mesure où a été supprimée la possibilité pour les deux parents de demander que le versement des allocations soit effectué sur un compte auquel ils ont l’un et l’autre accès et où l’article en cause a été complété d’une disposition selon laquelle lorsque l’un des parents conteste l’opportunité du paiement des allocations familiales réalisé en vertu du mécanisme exposé ci-dessus, il peut demander au tribunal du travail de le désigner comme allocataire et ce dans l’intérêt de l’enfant. Une telle désignation produit ses effets le 1er jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision du tribunal est notifiée à l’organisme d’allocations familiales.

Pour fixer les droits des parties en la cause, la Cour rappelle également le prescrit de l’article 70bis de la même loi, qui prévoit la date à laquelle le changement d’allocataire peut intervenir, étant le 1er jour du mois qui suit celui au cours duquel ce changement a eu lieu.

Enfin, la Cour rappelle les règles relatives au calcul des rangs des enfants (avant la modification de l’article 42, §1er au 1er juillet 2001), étant qu’il est tenu compte de la chronologie des naissances des enfants bénéficiaires et que les allocations familiales sont accordées compte tenu du nombre de ceux-ci lorsqu’elles sont payées à un seul allocataire.

De ces dispositions, la Cour du travail donne l’application suivante :

  • Avant le 6 février 1999, le père devait nécessairement obtenir une décision judiciaire le désignant allocataire.
  • A partir de cette date, les allocations sont payables à lui lorsqu’il en fait la demande à la condition de l’inscription à la même résidence que l’enfant. La demande doit être introduite à la caisse et ce n’est qu’en cas de désaccord des parents sur celui qui doit être retenu comme étant allocataire qu’il y a lieu d’entamer une action devant le tribunal. Dans cette hypothèse, lorsque le père réside avec l’enfant et introduit la demande (les deux parents étant d’accord), une demande en justice n’est dès lors nullement requise et l’action doit être considérée non pas comme une action en vue de se voir désigner comme allocataire mais comme une action en paiement des allocations : le père dispose en effet d’office de la qualité d’allocataire que la caisse aurait dû lui reconnaître. C’est donc, à dater du 1er du mois qui suit le changement que la modification doit opérer. Si le même allocataire peut prétendre aux allocations pour deux enfants, ceux-ci peuvent obtenir un premier et un deuxième rang. Le père qui demande les allocations parce que l’enfant est inscrit à la même résidence que lui devient allocataire dès la demande introduite, et ce à dater de l’entrée en vigueur de la loi du 25 janvier 1999, étant le 6 février 1999.

En conséquence, la Cour va dès lors distinguer le droit avant le 6 février 1999 et le droit après cette date. Pour la première période, le père doit faire reconnaître son droit en justice et pour la seconde, il suffit qu’il réside avec l’enfant.

En l’espèce, la demande de désignation du père en qualité d’allocataire pour la période avant le 6 février 1999 est, selon la Cour, légitime et non contestée mais la question se pose de la date de prise de cours. Le premier juge a opté pour le 1er novembre 1998, étant le premier jour du mois suivant l’introduction de la demande en justice. La Cour confirme cette date, préférant, comme solution juridique, la naissance du droit à la date de la demande et non à celle de la notification du jugement qui admet ce changement. Pour la Cour aucune autre interprétation n’est autorisée de l’article 70bis des lois coordonnées.

Par ailleurs, pour la période à partir du 6 février 1999, la Cour relève que la modification légale intervenue suite à la loi du 25 janvier 1999, qui prend en compte la résidence commune de l’enfant et du père, doit emporter une solution évidente, étant la désignation de droit du père comme allocataire à dater du 1er mars.

Enfin, en ce qui concerne le rang, les conclusions ci-dessus ont un intérêt non négligeable étant que le père a droit aux allocations familiales pour ses enfants au premier et au deuxième rangs à dater du 1er novembre 1998.

Intérêt de la décision

Cette décision rappelle l’évolution des textes en cas d’exercice conjoint de l’autorité parentale de deux parents qui ne cohabitent pas. Elle est également l’occasion de rappeler la modification intervenue dans l’article 69 des lois coordonnées, étant qu’est désormais supprimée la possibilité pour les deux parents de demander que le versement des allocations familiales soit effectué sur un compte auquel ils ont l’un et l’autre accès et l’introduction d’une nouvelle possibilité, étant l’opportunité pour le parent qui ne se verrait pas attribuer la qualité d’allocataire en vertu des règles légales, d’introduire une demande devant le tribunal du travail, aux fins d’obtenir cette qualité, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Dans cette hypothèse, la date de prise d’effet est le 1er jour du mois qui suit celui au cours duquel la décision du tribunal est notifiée à l’organisme d’allocations familiales compétent.


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