Terralaboris asbl

Que faut-il entendre par enfant abandonné au sens des lois coordonnées sur les allocations familiales pour travailleurs salariés ?

Commentaire de C. trav. Mons, 4 février 2009, R.G. 21.300

Mis en ligne le vendredi 24 juillet 2009


Cour du travail de Mons, 4 février 2009, R.G. n° 21.300

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 4 février 2009, la Cour du travail de Mons rappelle les conditions permettant à un enfant de bénéficier des allocations familiales majorées pour orphelins, dans le cadre des lois coordonnées du 19 décembre 1939 dans l’hypothèse où un de ses auteurs survivant s’est remis en ménage.

Les faits

L’ONAFTS demande un remboursement d’allocations familiales de l’ordre de 2.300€ correspondant à la différence pour l’année 1997 entre les allocations familiales majorées et les allocations familiales ordinaires. L’intéressé a en effet encore sa mère en vie. Celle-ci s’est remise en ménage depuis plusieurs années et il a bénéficié d’allocations majorées, au motif d’abandon.

Dans une déclaration, l’intéressé a cependant informé l’ONAFTS que pendant cette période (1997) il aurait rendu à nouveau visite à sa mère une fois par semaine.

La position du tribunal

Le tribunal du travail de Mons décida par jugement du 9 juillet 2008 que la demande n’était pas fondée, au motif de l’absence de cohabitation, la mère ayant versé une pension alimentaire (modique) pendant cette période. Par ailleurs les contacts étaient limités à une seule visite par semaine. Le tribunal avait conclu qu’il y avait en l’espèce abandon, puisque l’intéressé ne faisait plus partie du ménage de sa mère, qui ne prenait plus en charge son éducation.

La position des parties en appel

L’ONAFTS interjeta appel, faisant grief au tribunal d’avoir considéré que la situation était assimilable à un abandon, du fait que le jeune ne faisait plus partie du ménage de sa mère laquelle ne prenait plus en charge son éducation.

L’ONAFTS faisait particulièrement valoir, sur la base d’éléments de fait, que l’intéressé ne pouvait être considéré comme exclu de la cellule familiale.

Sur le plan des principes, l’ONAFTS considérait qu’il y avait application erronée de l’article 50bis, § 1er, alinéa 4 des lois coordonnées ainsi que de la circulaire ministérielle n° 393 du 9 novembre 1981. Dans celle-ci, l’enfant est considéré comme abandonné à deux conditions, étant que l’auteur survivant n’entretienne plus de relations avec lui et qu’il n’intervienne plus pécuniairement dans ses frais d’entretien. Les deux conditions étant cumulatives, elles ne s’avèrent pas réunies en l’espèce, vu le versement d’une part contributive par la mère et le maintien de relations, étant une visite hebdomadaire.

Pour l’ONAFTS, il y avait de véritables rapports humaines entretenus entre la mère et le fils et nullement des « rapports protocolaires ou de pure convenance » visés par la circulaire.

La position de la Cour

La Cour va, dans un premier temps, rappeler les dispositions applicables. Il s’agit de l’article 56bis, § 1er et 2. En vertu de ce dernier, si l’auteur survivant est engagé dans les liens d’un mariage ou établi en ménage, le taux majoré ne s’applique pas. Cependant, ceci ne vaut pas lorsque l’orphelin est abandonné. Dans cette hypothèse il acquiert la qualité d’attributaire pour lui-même et bénéficie du taux majoré.

Il faut dès lors, dans un tel cas, régler deux questions étant de savoir d’une part si l’auteur survivant a constitué un nouveau ménage de fait pendant la période litigieuse, puisque cette situation est susceptible d’entraîner la suppression du taux majoré et, ensuite, de déterminer s’il y a abandon de l’enfant.

En l’espèce, la Cour rappelle, avec l’Avocat général, un arrêt de la même Cour du 27 mars 2007 (R.G. 18.650) selon lequel, malgré l’absence de domiciliation avec son compagnon, il y a lieu de considérer que la mère cohabitait avec lui, situation de nature à entraîner en principe la récupération de la différence entre le taux majoré et le taux ordinaire. L’absence de domiciliation n’est dès lors pas déterminante.

Par ailleurs – et c’est là l’intérêt principal de l’arrêt – la Cour se penche sur la notion d’abandon. Elle constate que les contours de cette notion ne se trouvent définis que dans la circulaire n° 393, étant que celle-ci précise « qu’on peut considérer l’enfant comme abandonné à la double condition que l’auteur survivant n’entretienne plus de relations avec lui et n’intervienne plus pécuniairement dans ses frais d’entretien ».

Si cette notion ne connaît pas d’autre définition, la Cour renvoie cependant à un autre arrêt, du 3 mars 1995 (C. trav. Mons, 3 mars 1995, Chron. Dr. soc., 1995, p. 21) qui a abordé la question, considérant qu’à défaut de définition légale, il n’y a pas lieu d’exiger que soient réunis les éléments constitutifs de l’infraction d’abandon d’enfant dans le besoin, au sens du Code pénal. En matière d’allocations familiales, il faut apprécier cette notion d’une part sous l’angle financier et d’autre part sous l’angle moral ou éducatif et affectif. Dans l’arrêt précité, la Cour avait relevé que, dès lors que l’enfant peut être tenu comme abandonné matériellement et moralement par sa mère survivante, dans la mesure où celle-ci ne l’a pratiquement jamais élevé, qu’elle ne s’est pas vue confier l’administration de la personne et des biens de celui-ci, qu’elle a témoigné d’un désintérêt évident pratiquement depuis l’enfance, il faut conclure que des visites régulières du jeune, les dimanches (sauf périodes de vacances) ne paraissent pas suffire à faire perdre à celui-ci la qualité d’enfant abandonné. La Cour se réfère également à un autre arrêt, de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, 7 septembre 1998, R.G. 6.035/98) qui a considéré que pour qu’il y ait abandon, tous les rapports entre l’orphelin et l’auteur survivant doivent avoir cessé, c’est-à-dire que l’auteur survivant ne doit satisfaire à aucune de ses obligations légales et morales à l’égard de son enfant, laissant ce soin aux autres.

Appliquant ces principes à l’espèce, la Cour constate que le seul élément factuel qui a amené l’ONAFTS à revoir sa décision est la déclaration de l’enfant, selon laquelle il entretenait des contacts avec sa mère une fois par semaine. La Cour constate qu’il a d’ailleurs précisé ultérieurement avoir renoué avec celle-ci plus tard (et non pendant la période concernée). Il y a, dès lors, incertitude quant à l’existence d’une reprise de contact pour la période en cause et la Cour en veut pour preuve que l’ONAFTS lui-même a estimé utile de devoir réinterroger l’intéressé, celui-ci déclarant alors que la reprise était intervenue pour la période ultérieure.

La Cour en conclut que l’ONAFTS échoue dans la charge de la preuve, étant qu’il n’établit pas que le jeune ne devrait plus être considéré comme orphelin pendant l’année en cause. Au contraire, il est établi qu’il est resté exclu de la cellule familiale pendant celle-ci et s’est vu priver de toute assistance morale, éducative ou affective.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

C’est essentiellement sur le rappel de la notion d’enfant abandonné que l’arrêt et important, puisqu’il retient qu’il faut entendre par là le fait pour l’enfant d’être privé de toute assistance morale, éducative ou affective de la part de son auteur survivant.


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