Terralaboris asbl

Demande de paiement d’heures supplémentaires et règles de prescription

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 9 février 2009, R.G. 2.624/07

Mis en ligne le mardi 16 juin 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 9 février 2009, R.G. n° 2.624/07

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un jugement du 9 février 2009, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle que la prescription quinquennale est applicable en cas de demande de paiement d’heures supplémentaires, s’agissant d’un délit continué.

Les faits

Un ouvrier est engagé à partir du 20 juillet 2000 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il preste de nombreuses heures supplémentaires, ce qui justifie l’intervention de son organisation syndicale. Celle-ci remet à l’employeur, avec une mise en demeure, le détail des heures prestées. Ce détail sera corrigé ultérieurement. Malgré la chose, l’employeur ne régularise pas, de telle sorte qu’une action est introduite devant le tribunal du travail en date du 18 janvier 2007. Se pose un problème de prescription pour les heures prestées en début de contrat.

Position des parties

Le demandeur soutient qu’en vertu de l’article 42 de la loi du 12 avril 1965, le non paiement de la rémunération est une infraction pénale. Il y a dès lors lieu à application de la prescription quinquennale et, s’agissant d’une infraction continuée, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle la dernière infraction a été commise. Il conclut à la non prescription de sa demande.

Il conclut également sur la durée du travail telle que fixée dans les conventions collectives de travail applicables au secteur (nettoyage). En vertu de celles-ci, la durée du travail a été réduite en-dessous du minimum légal, à savoir à 37 heures par semaine. Les dépassements peuvent intervenir à la condition que la durée hebdomadaire, calculée sur la base d’un trimestre, ne dépasse pas en moyenne la durée de travail fixée par la loi ou la convention collective de travail. Il s’agit, dans ce secteur, d’autoriser la répartition de l’horaire de travail en 481 heures sur 13 semaines consécutives, ceci, toutefois, sans préjudice des suppléments de salaire pour les heures dépassant la durée hebdomadaire normale de 37 heures et la durée trimestrielle normale de 481 heures. Quant au paiement, le travailleur relève que les conventions collectives applicables imposent de payer le sursalaire de 50% lors de la paie correspondant à la période de prestation.

La société plaide que les arriérés sont prescrits pour la période antérieure aux cinq années précédant l’introduction de la demande et conteste, quant aux heures supplémentaires elles-mêmes, que la preuve de celles-ci soit dûment rapportée.

Position du tribunal

Le tribunal rappelle les principes en matière de prescription, étant que, si l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978 prévoit une règle pour les actions naissant du contrat, la combinaison de l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale et de l’article 2262bis du Code civil fait que l’action civile naissant d’un délit se prescrit par cinq années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise, sans qu’elle puisse l’être avant l’action publique. Toute condamnation sur des faits révélant une infraction doit dès lors appliquer la prescription quinquennale, et ce même, ainsi que le relève le tribunal, lorsque ces faits constituent également un manquement aux obligations contractuelles et que la chose demandée consiste en l’exécution de ces obligations (le tribunal rappelle les arrêts de la Cour de cassation du 22 janvier 2007 ainsi que du 23 octobre 2006).

Il reprend ensuite le texte des articles 42 et 46 de la loi du 12 avril 1965, et plus particulièrement celui de l’article 9bis, qui impose que le paiement de sursalaires intervienne en même temps et soit fixé de la même manière que la rémunération due pour la période de paie au cours de laquelle le repos compensatoire est octroyé. En vertu des articles 9, 9bis et 72 de la loi, le salaire non correctement calculé (soit qu’il ne tienne pas compte des heures supplémentaires, soit qu’il intervienne tardivement) constitue un délit et est passible de sanctions pénales. Pour celui-ci l’action publique se prescrit par cinq ans à compter du fait qui a donné naissance à l’action. Dès lors que les faits délictueux successifs constituent un délit continué (vu l’unité d’intention), la prescription de l’action publique ne prendra cours qu’à partir du dernier fait délictueux, et ce pour autant que chacun d’entre eux ne soit pas séparé par une période plus longue que la prescription (le tribunal rappelant ici un arrêt de la Cour de cassation du 2 mai 2006, RG n° P060125N).

Il résulte de l’examen des données de l’espèce que la prescription de cinq ans est applicable et que c’est de façon systématique, au cours de plusieurs années et ce sans interruption que l’employeur n’a pas versé le sursalaire. Il s’agit donc d’un délit continué (et le tribunal attire l’attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un délai continu).

En ce qui concerne le fond, le tribunal retient qu’en vertu de l’article 28 de la loi du 16 mars 1971, les limites maxima de la durée du travail (8 heures par jour et 40 heures par semaine) peuvent être réduites par une convention collective rendue obligatoire.

La même loi définit en son article 29 ce qu’il faut entendre par heure supplémentaire qui doit être rémunérée à 50% de la rémunération ordinaire : c’est celle effectuée au-delà des limites fixées, en l’occurrence, s’agissant d’une limite inférieure à la durée légale, par la CCT sectorielle conformément à l’article 28 de la loi. En l’espèce, vu la réduction de la durée du travail et l’organisation de différentes modalités de récupération ainsi que de paiement des heures supplémentaires, l’on peut retenir que le système est le suivant :

  • réduction de la durée hebdomadaire à 37 heures / semaine ;
  • possibilité de dépassement à la condition que la durée hebdomadaire, calculée sur la base d’un trimestre, ne dépasse pas en moyenne celle fixée par la loi ou la CCT ;
  • existence d’heures supplémentaires en cas de dépassement de la durée hebdomadaire normale de 37 heures et de la durée trimestrielle normale de 481 heures ;
  • sursalaire pour les heures qui dépassent la 37e heure / semaine et pour celles qui dépassent la 481e heure sur 13 semaines consécutives ;
  • obligation de payer les sursalaires lors de la paie correspondant à la période de prestation ;
  • possibilité de remplacer le sursalaire par un repos compensatoire complémentaire, au choix du travailleur, celui-ci devant être fait au préalable et constaté dans un écrit.

En l’espèce, la conclusion du tribunal est qu’il y a lieu de payer les sursalaires conformément au décompte établi par le travailleur.

Intérêt de la décision

L’intérêt du jugement annoté est de statuer, en matière de temps de travail, dans un secteur qui a adopté des dispositions portant la durée hebdomadaire du travail en-deçà de la durée légale. La période de référence étant, en l’occurrence, trimestrielle, le tribunal fixe la méthode de calcul des heures prestées en sus, ainsi que les modalités de leur paiement.

En outre, le jugement rappelle que depuis les arrêts de la Cour de cassation de 2006 et 2007 qu’il cite, la prescription quinquennale peut être appliquée, même si l’objet de la demande et l’exécution d’obligations contractuelles.


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