Terralaboris asbl

Critères d’évaluation de la perte d’autonomie en matière d’allocation pour l’aide aux personnes âgées

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 9 janvier 2009, R.G. 3.802/07

Mis en ligne le mardi 16 juin 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 9 janvier 2009, R.G. n° 3.802/07

TERRA LABORIS Asbl – Virginie DODION

Dans un jugement du 9 janvier 2009, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle que l’évaluation de la perte d’autonomie en matière d’allocation pour l’aide aux personnes âgées ne peut se faire en comparant purement et simplement le demandeur avec une personne du même âge et présentant également des limitations.

Exposé du litige

Un assuré social de plus de 65 ans sollicite une allocation pour l’aide aux personnes âgées ainsi que certains avantages sociaux et fiscaux.

Par jugement du 5 octobre 2007, le tribunal du travail désigne un expert, qui dépose ses conclusions le 23 mai 2008.

Dans son rapport, il évalue la perte d’autonomie à 6 points et considère par ailleurs que le demandeur présente une perte de capacité de gain de plus des deux tiers. Sur la base d’une reconnaissance en invalidité par l’INAMI, il retient que cette perte de capacité était atteinte avant l’âge de 65 ans.

Positon des parties

Le demandeur sollicite l’entérinement du rapport sur la perte de capacité de gain mais conteste les conclusions relatives à la perte d’autonomie, évaluée à 6 points. Il demande de retenir 10 points, au motif qu’il a été victime d’un accident de roulage en 1982 et qu’il est invalide depuis. Par ailleurs, il souffre d’autres pathologies (malformation des vertèbres, arthrose et diabète). En ce qui concerne les éléments de comparaison retenus par l’expert, il estime que l’appréciation devrait se faire par comparaison avec une personne entièrement valide et non avec une autre personne de son âge et présentant des problèmes similaires. Il devrait, selon cette méthode, en résulter des cotations plus élevées.

En ce qui concerne l’Etat belge, il sollicite l’entérinement du rapport d’expertise, au motif qu’il est très détaillé et nuancé. En ce qui concerne l’appréciation de la perte d’autonomie, l’Etat belge est d’avis que celle-ci doit se faire en ayant égard aux répercussions du handicap dans la vie quotidienne et non par référence à des difficultés théoriques ou abstraites. Pour lui, le critère d’appréciation de la personne entièrement valide n’exclut nullement qu’il soit tenu compte de l’âge de l’intéressé. C’est par référence à une personne valide du même âge et non de plusieurs dizaines d’années de moins que la comparaison doit se faire.

Position de l’auditeur du travail

L’auditeur du travail retient, d’abord, que l’annexe à l’arrêté ministériel fixant les critères à prendre en compte pour l’appréciation de la perte d’autonomie indique de manière expresse que l’âge de la personne concernée doit être pris en compte. Les montants accordés en matière d’allocation pour l’aide aux personnes âgées sont cependant plus faibles qu’en allocation d’intégration en raison du fait que le handicap est en quelque sorte « présumé » dans le chef des personnes âgées, pour qui les limitations d’autonomie sont beaucoup plus fréquentes. Pour le Ministère public, il serait dès lors discriminatoire de tenir compte, en sus, de l’âge pour limiter les cotations par rapport aux bénéficiaires d’une allocation d’intégration. Il renvoie également à la doctrine qui considère que le critère de l’âge ne doit pas être pris en compte pour l’appréciation de la perte d’autonomie. En conséquence, il est d’avis que les cotations de l’expert peuvent être revues à la hausse, et ce sur la base des constatations qu’il a faites lui-même. Ceci aboutit, pour lui, à une cotation de 9 points (catégorie 2).

Positon du tribunal

Le tribunal reprend le texte légal, étant l’article 2, § 3 de la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées, en vertu duquel l’allocation pour aide aux personnes âgées peut être accordée à la personne handicapée de plus de 65 ans qui présente une réduction d’autonomie et qui ne bénéficie pas d’une allocation de remplacement de revenus ou d’une allocation d’intégration. La loi prévoit diverses catégories applicables en fonction de l’ampleur de la réduction d’autonomie constatée, catégories auxquelles correspondent des montants d’allocation différents.

Le manque d’autonomie est, selon la loi, à régler par le Roi, qui peut faire une distinction entre l’allocation d’intégration et l’allocation pour l’aide aux personnes âgées.

En exécution de cette disposition, l’arrêté royal du 5 mars 1990 relatif à l’allocation pour l’aide aux personnes âgées a prévu en son article 3 la manière de mesurer l’autonomie, étant par le recours à l’aide du guide pour l’évaluation du degré d’autonomie (annexé à l’arrêté ministériel du 30 juillet 1987 fixant les catégories et le guide pour l’évaluation du degré d’autonomie en vue de l’examen du droit à l’allocation d’intégration). Le Roi n’a dès lors pas fait usage de la possibilité d’opérer une distinction entre l’allocation d’intégration et l’allocation pour l’aide aux personnes âgées. Le tribunal relève que ce ne sont pas, en vertu du guide, les lésions elles-mêmes qui sont mesurées mais bien leurs répercussions sur les différentes fonctions envisagées et la référence doit être faite à une personne moyenne de la même catégorie d’âge.

Reprenant la position de l’auditeur du travail ainsi que la doctrine qu’il a citée, le tribunal juge que l’évaluation de la perte d’autonomie ne peut ici se faire en comparant purement et simplement la situation de la personne âgée avec celle d’une personne du même âge et présentant également des limitations, façon de voir qui aurait pour conséquence tout à fait paradoxale de faire diminuer la cotation en fonction de l’âge, alors cependant que le manque d’autonomie lui-même croît ou reste inchangé. Il relève que si ce raisonnement était poussé à l’extrême, il pourrait avoir pour conséquence de fixer une limite d’âge à l’octroi de l’allocation pour l’aide aux personnes âgées. Une telle conclusion serait sans aucun doute contraire à l’intention du législateur.

En outre, la plus grande fréquence du manque d’autonomie chez les personnes âgées est déjà prise en compte par la circonstance que les montants de l’APA sont moins importants que ceux fixés pour l’allocation d’intégration. Il relève encore que, pour les personnes dont le manque d’autonomie est né avant l’âge de 65 ans, l’allocation d’intégration reste maintenue, ce qui confirme déjà là un traitement différencié selon que le manque d’autonomie procède de la vieillesse elle-même ou d’une situation antérieure à l’âge. La protection légale serait vidée de tout contenu s’il fallait en outre conclure que le manque d’autonomie imputable à l’âge exclusivement ne doit pas être pris en compte. En conséquence, il aboutit à la conclusion que le manque d’autonomie doit s’apprécier par référence à une personne en bonne santé, qui est apte à accomplir tous les gestes de la vie courante, tel que détaillé dans les six rubriques de la grille d’évaluation.

Il va, dès lors, examiner, en fait, si les cotations de l’expert correspondent à la perte d’autonomie réelle subie par le demandeur. Celui-ci ayant des difficultés sérieuses à la marche et ne pouvant prendre les transports en commun, il s’avère capable d’encore conduire une voiture. Le tribunal retient, cependant, la jurisprudence selon laquelle, lorsque les transports en commun ne sont pas accessibles et que la marche est limitée, la voiture est un équipement rendu nécessaire par le handicap pour conserver une capacité de déplacement (C. trav. Liège, 12 mai 1998, R.G. 26.110). Sur le poste relatif aux difficultés éprouvées en ce qui concerne l’achat des aliments (impossibilité de porter des poids) et les problèmes rencontrés pour la préparation des repas (station debout impossible), le tribunal retient que, dès lors que l’intéressé est cependant à même de préparer un repas simple ainsi que de boire et manger seul, il y a difficulté importante (C. trav. Liège, 10 février 1997, R.G. 24.813). Sur le plan de l’hygiène, le fait de devoir recourir à une tierce personne (assistante familiale venant deux fois par semaine) justifie également une cotation de 3 points. Enfin, sur les difficultés vues ci-dessus en ce qui concerne les limitations des déplacements, celles-ci sont nécessairement de nature à avoir une influence sur les contacts sociaux, toute activité sociale extérieure étant en effet entravée.

Il majore dès lors la cotation de l’expert et aboutit à un chiffre permettant le paiement de l’allocation en catégorie 2.

Intérêt de la décision

Le jugement annoté présente un intérêt sur le plan juridique, dans une problématique qui n’est pas fréquemment rencontrée, étant celle relative aux critères d’appréciation de la perte d’autonomie d’une personne âgée de plus de 65 ans. Par ailleurs, dans son appréciation des éléments de fait, il renvoie à diverses décisions de jurisprudence qui ont, à juste titre, examiné séparément les difficultés dues à la limitation de l’autonomie, ainsi que leur incidence sur les autres rubriques à prendre en compte.


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