Terralaboris asbl

Critères d’évaluation de la capacité de gain

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 26 novembre 2008, R.G. 5.370/06

Mis en ligne le lundi 15 juin 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 26 novembre 2008, R.G. n° 5.370/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 26 novembre 2008, le tribunal du travail de Bruxelles rappelle les critères d’évaluation de la capacité de gain en matière d’allocation de remplacement de revenus, critères qui convergent, pour le tribunal, avec ceux retenus en matière d’assurance maladie et invalidité.

Les faits

Monsieur F. sollicite une allocation de remplacement de revenus, une allocation d’intégration ainsi que des avantages sociaux et fiscaux.

L’expert judiciaire désigné par un jugement précédent aboutit à la reconnaissance de 4 points sur 18, en ce qui concerne la réduction du degré d’autonomie et conclut également à l’absence de réduction de capacité de gain à un tiers ou moins de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner en exerçant une profession sur le marché général du travail.

L’intéressé conteste le rapport d’expertise.

La position du tribunal

Le tribunal va écarter les conclusions de l’expert et faire droit à la demande de l’intéressé.

En ce qui concerne la capacité de gain, il rappelle l’article 2 de la loi du 27 février 1997 relative aux allocations aux personnes handicapées, qui fixe les critères médico-légaux fondant l’octroi de l’allocation de remplacement de revenus comme suit : l’allocation est accordée à la personne handicapée, âgée d’au moins 21 ans et qui, au moment de introduction de la demande, a moins de 65 ans et présente un état physique ou psychique tel que sa capacité de gain est réduite à un tiers ou moins de ce qu’une personne valide est en mesure de gagner en exerçant une profession sur le marché général du travail. Pour le tribunal, il en découle que la capacité de gain est évaluée en tenant compte de trois critères :
(i) l’état de santé (physique et psychique) du demandeur,
(ii) par rapport à celui d’une personne valide et
(iii) de la possibilité pour celle-ci de gagner sa vie par l’exercice d’une quelconque activité professionnelle licite (c’est la notion de « marché général du travail »).

Le demandeur fait valoir qu’il est reconnu dans le secteur assurance maladie (travailleurs indépendants) comme étant invalide, et ce depuis une date pas très éloignée de celle de l’introduction de la demande soumise au tribunal. Il est donc admis dans ce secteur comme étant incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle au vu de ses lésions ou troubles fonctionnels.

Le tribunal examine dès lors les critères des deux règlementations. Il constate que la « capacité de gain » en matière d’allocations aux personnes handicapées rejoint ce qui est appelé « capacité de travail » au sens de la législation en assurance maladie invalidité. Le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 1992 (Chron. Dr. soc. 1993, p. 53), qui précise que les indemnités de maladie couvrent la perte ou la réduction de la capacité d’acquérir par le travail des revenus permettant d’assurer l’existence du demandeur. Citant ensuite Paul Palsterman (in « L’incapacité de travail des travailleurs salariés dans le droit belge de la sécurité sociale : approche transversale », Chron. Dr. soc. 1994, p. 312), il retient que la notion « état psychique ou physique » n’est pas distincte de la notion « lésions ou troubles fonctionnels », ceux-ci concernant en réalité l’état de santé global de l’assuré social.

En ce qui concerne les règles d’évaluation de la réduction de capacité de gain, le secteur assurance maladie invalidité vise, comme critère de référence, l’activité professionnelle dont le demandeur pourrait être chargé équitablement tenant compte notamment de sa condition, de son état de santé et de sa formation professionnelle (A.R. du 20 juillet 1971, art. 21, pour les travailleurs indépendants) alors que la loi du 27 février 1997 relative aux allocations aux personnes handicapées se réfère au « marché général du travail ». Pour le tribunal ces notions peuvent converger dans les faits. Il faut en effet prendre en considération un marché général de l’emploi tout à fait théorique (c’est-à-dire qui envisagerait toutes les activités professionnelles existantes) pour l’évaluation des possibilités pour une personne handicapée de retrouver un emploi passant par l’examen des possibilités réelles d’y arriver, et ce tenant compte de son handicap (notamment de la gravité de celui-ci) mais également de la formation professionnelle et des emplois éventuellement exercés précédemment.

Examinant les données de fait, le tribunal va conclure que l’avis de l’expert n’est pas suffisamment motivé, l’expert n’ayant notamment pas pris en compte une pathologie dépressive, de telle sorte qu’il ne peut refléter de manière significative la capacité de gain de l’intéressé.

Par ailleurs, la motivation du jugement est également intéressante en ce qui concerne la réduction de l’autonomie, pour laquelle l’expert n’a retenu que 4 points sur 18 (alors qu’un minimum de 7 points est requis). Suivant le conseil du demandeur, qui avait contesté point par point les constatations contenues dans le rapport tant sur les possibilités de déplacement que pour l’hygiène et les contacts sociaux, le tribunal retient également des difficultés plus importantes que celles retenues par l’expert judiciaire.

L’intéressé ne pouvant rester longtemps debout vu les difficultés au genou droit et devant s’allonger et se reposer après une demi-heure de mobilisation, le tribunal considère que de telles difficultés peuvent entraîner une cotation de deux points sur trois, celle-ci entraînant, vu l’absence de bonne stabilité et les problèmes au genou, une réduction d’autonomie (l’expert n’en ayant reconnu aucun). Par ailleurs, la dépression dont souffre le demandeur (et qui n’a pas pu être soignée médicalement faute de moyens financiers) implique également la reconnaissance d’un point.

De ce qui précède découle l’octroi des avantages sociaux et fiscaux demandés.

Intérêt de la décision

Le jugement commenté appelle à la cohérence dans les critères d’évaluation, étant en l’espèce le secteur des travailleurs indépendants (secteur maladie invalidité) et celui des allocations pour personnes handicapées. Sur la réduction d’autonomie est exigée une appréciation in concreto des difficultés rencontrées par la personne handicapée eu égard aux critères retenus relatifs à l’évaluation de la perte d’autonomie. Le tribunal fait en outre ici une application très circonstanciée de l’influence de difficultés existant dans un item sur d’autres difficultés inévitablement rencontrées dans un autre.

Le jugement rappelle ainsi que c’est dans chacun de ceux-ci que doit s’apprécier la perte d’autonomie et que un handicap peut avoir des répercussions dans plusieurs d’entre eux. L’expert n’ayant pas fait une application circonstanciée de ces principes, son rapport est écarté.


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