Terralaboris asbl

Motivation formelle des décisions de l’ONEm : conséquences de l’indication de motifs erronés

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 19 janvier 2009, R.G. 69.381/98

Mis en ligne le lundi 15 juin 2009


Tribunal du travail de Bruxelles, 19 janvier 2009, R.G. 69.381/98

TERRA LABORIS ASBL – Pascal Hubain

Dans un jugement du 19 janvier 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles est amené à se prononcer sur le fait se savoir si une décision qui se fonde sur des motifs erronés est motivée formellement au sens de la loi du 29 juillet 1991 et sur les conséquences concrètes de cette motivation.

Les faits

Monsieur S. crée une société exploitant un night-shop. Il est nommé gérant et s’affilie dans ce cadre à une caisse sociale. Il démissionne ensuite (début 1992) de son mandat et cède ses parts, à l’exception d’une seule.

Quelques semaines plus tard, il est engagé par la même société sous contrat de travail à temps partiel. Vu le régime de travail, il sollicite l’octroi d’allocations de garantie de revenus qu’il obtient en 1992 et 1994.

Suite à une demande de l’ONAFTS, l’ONSS procède à un contrôle de la réalité de l’occupation salariée. A la suite de cette enquête, l’ONSS prend une décision de non assujettissement concernant les prestations de travail effectuées depuis 1992, et ce au motif de l’absence d’élément de preuve suffisant pour retenir l’existence d’un contrat de travail.

La décision de l’ONSS est transmise à l’INASTI, qui enjoint à l’ancienne caisse sociale de réclamer les cotisations pour la période de désassujettissement. L’INASTI informe par ailleurs l’ONEm qu’il y a eu, en 1992 et 1994, perception de revenus d’indépendant. Etrangement, les montants pointés par l’INASTI correspondent aux allocations de garantie de revenus perçues par l’intéressé.

A la suite de cette information, l’ONEm convoque l’intéressé, en raison de l’absence de déclaration d’une activité d’indépendant. Lors de son audition, Monsieur S. conteste avoir exercé la moindre activité d’indépendant, rappelant la démission de son mandat de gérant, les prestations dans le cadre du contrat de travail ainsi que son statut d’associé non actif (détention d’une part sociale).

L’ONEm prend, en date du 31 décembre 1997, une décision d’exclusion du droit aux allocations de chômage, en raison de l’exercice d’une activité de gérant (dont les revenus ont été signalés par l’INASTI), activité n’ayant pas fait l’objet de la déclaration préalable imposée par l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La récupération des allocations de chômage est ordonnée et une sanction pour absence de déclaration imposée.

Monsieur S. conteste cette décision devant le Tribunal du travail.

La position des parties

Monsieur S. demande, à titre principal, l’annulation de la décision, au motif de l’absence de motivation formelle de celle-ci. Il soutient qu’en raison de la nullité de la décision, il n’y a pas interruption de la prescription, de sorte que les allocations perçues ne peuvent être récupérées. Il conteste par ailleurs la moindre activité d’indépendant, les prestations ayant été fournies dans le cadre d’un contrat de travail, alors que l’ONEm reste en défaut de prouver l’existence d’éléments incompatibles avec cette qualification. A titre plus subsidiaire, il demande l’application du délai de prescription triennal, contestant toute fraude.

L’ONEm soutient pour sa part que la décision est formellement motivée. Il estime que les éléments de l’enquête de l’ONSS et de l’INASTI prouvent que les prestations n’ont pas eu lieu dans le cadre d’un lien de subordination. Enfin, il invoque une volonté frauduleuse, portant le délai de prescription à 5 ans.

La décision du tribunal

Le Tribunal estime que la décision administrative querellée n’a pas été motivée formellement. Il réserve de longs développements théoriques à l’obligation de motivation formelle des actes administratifs issue de la loi du 29 juillet 1991. Il note plus particulièrement que

  1. la décision doit contenir la base en vertu de laquelle l’administration agit (il s’agit des considérations de droit visées par la loi) ainsi que les principaux éléments qui se dégagent du dossier et qui justifient l’acte (considérations de fait) ;
  2. la motivation doit être adéquate, c’est-à-dire qu’elle doit être pertinente (en rapport avec la décision) et sérieuse (les raisons invoquées devant justifier la décision d’une manière suffisante).

Le Tribunal examine ensuite le contenu de la motivation de la décision. Quant aux considérations de fait, il relève qu’elles n’ont pas été correctement énoncées, puisqu’elles se réfèrent à un prétendu mandat de gérant (qui n’existait plus au moment de la demande d’allocations de chômage). Il note qu’il s’agit d’une motivation par référence à la décision de l’INASTI, laquelle était erronée puisqu’elle qualifiait les allocations de chômage perçues de revenus d’indépendant. Aussi, le Tribunal considère que la décision, rendue par référence à une décision administrative contenant une confusion très importante, ne peut être considérée comme adéquatement motivée.

Le Tribunal note encore que la confusion dans les faits a entraîné une erreur dans la norme invoquée. Vu la situation (prestations sous contrat requalifiées ultérieurement par l’ONSS en prestations en dehors d’un lien de subordination), il n’y avait pas matière à exiger une déclaration préalable d’une activité indépendante (la décision se fondait sur l’article 48 de l’arrêté royal, qui impose la déclaration préalable de toute activité accessoire exercée pendant le chômage).

C’est sur la base de ces erreurs et confusions que le Tribunal estime que la décision n’est pas formellement motivée. Pour le Tribunal, il est indifférent que Monsieur S. ait été, au moment de la notification de la décision, au courant de la décision de non-assujettissement de l’ONSS, celui-ci rappelant que la connaissance par l’intéressé des motifs de la décision ne dispense pas l’autorité de l’obligation de motiver formellement celle-ci.

En ce qui concerne les conséquences de l’absence de motivation formelle, le Tribunal considère qu’il y a lieu de prononcer la nullité de la décision, sanction prévue par la loi elle-même, d’interprétation stricte. La nullité de la décision n’empêche pas le contrôle de pleine juridiction du Tribunal mais prive cependant la décision annulée de tout effet interruptif.

Le Tribunal relève encore qu’aucun acte postérieur de l’ONEm n’est venu interrompre la prescription de l’action en remboursement des allocations avant l’issue du délai, même à retenir celui de 5 ans allégué par l’ONEm.

Enfin, il note qu’il y a nullité de la sanction, sans que le Juge ne puisse se substituer à l’ONEm pour en infliger une autre. L’intéressé doit donc être rétabli dans ses droits pendant la période d’exclusion de 7 semaines infligée.

Le Tribunal annule donc la décision dans son intégralité.

Intérêt de la décision

La décision rappelle la question de la motivation formelle des décisions de l’ONEm, réservant des développements juridiques importants à cette question. En l’espèce, l’ONEm étant passé à côté du problème, la motivation de la décision est considérée comme non adéquate et celle-ci est dénuée de motivation formelle.

Le Tribunal examine aussi l’incidence de l’annulation de la décision sur la possibilité d’ordonner la récupération des allocations de chômage. Dès lors qu’aucun acte interruptif postérieur à la décision annulée n’a été pris dans le délai de prescription, la récupération ne peut être ordonnée.

Sur la sanction, le Tribunal confirme que, si elle est annulée, il ne peut en imposer une autre.


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