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Aggravation des séquelles après le délai de revision : droit à des indemnités d’aggravation, prise en charge des frais médicaux et prescription

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Neufchâteau, 12 novembre 2008, R.G. 4.026/2008

Mis en ligne le vendredi 20 février 2009


Cour du travail de Liège, sect. Neufchâteau, 12 novembre 2008, R.G. 4.026/2008

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 12 novembre 2008, la Cour du travail de Liège, section Neufchâteau, précise les règles de prescription applicables en cas d’aggravation des séquelles d’un accident du travail (secteur public) survenue après l’expiration du délai de revision. Elle se prononce également sur le droit à des indemnités pour aggravation temporaire (oui) et permanente (non).

Les faits

Monsieur M., agent de police communal, est victime d’un accident du travail en date du 11 septembre 1977, consolidé à 6 % du fait de séquelles de fracture au pied et au péroné gauche.

En février 1995, il subit une intervention au niveau de la cheville gauche et subit une ITT (février à août 1995). Il demande par ailleurs le remboursement des frais liés à cet aléa, demande laissée sans suite par son employeur. Il subit une nouvelle opération en novembre 1996, suite à laquelle il est remis en incapacité de travail. Vu l’absence de reprise, il est mis en disponibilité (novembre 1997) puis en pension anticipée (avril 1999).

En 1999, il adresse à son employeur diverses demandes d’indemnisation (frais médicaux, frais de déplacement, indemnisation du fait de la perte de rémunération, …), demandes à nouveau laissées sans suite.

Il introduit alors une action devant le Tribunal du travail, le 15 novembre 1999, demandant le remboursement des frais médicaux et des frais de déplacement en relation avec l’aggravation de son état et des indemnités au titre de l’aggravation temporaire et permanente de son incapacité de travail.

La décision du tribunal

Le Tribunal déboute l’intéressé de sa demande. Sur la prescription, il estime prescrite la demande en aggravation permanente, au contraire des demandes en remboursement des frais médicaux et en indemnisation des rechutes, admises pour la période à dater du 16 novembre 1996, c’est-à-dire dans les trois années de la citation. Sur le fond, il estime que le lien entre les lésions de 1995 et 1996 avec l’accident n’est pas établi.

La position des parties

Monsieur M. interjeta appel, invoquant sa demande d’expertise pour rapporter la preuve du lien causal. Il demanda par ailleurs, dans le cadre de l’appel, l’indemnisation du manque à gagner du fait de sa mise en pension anticipée.
L’employeur interjeta également appel, estimant que l’intégralité de la demande était prescrite, et non uniquement la période antérieure au 16 novembre 1996.

La décision de la Cour

La Cour tranche les trois questions selon un examen séparé.

Les frais médicaux :

La Cour examine tout d’abord la prescription. Elle précise que le délai de prescription visé à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 prend cours, dans le cas où l’employeur n’a pas pris de décision quant au remboursement, à dater des décaissements. Elle s’appuie sur les arrêts de la Cour de cassation des 18 juin 2001 (Chron. D.S., 2002, p. 103) et 4 juin 2007 (J.T.T., 2007, p. 311). Elle estime par ailleurs que c’est la version actuelle de l’article 20 (tel que modifié par la loi du 20 mai 1997) qui doit être appliquée, le texte n’exigeant pas que l’action en justice soit introduite avant que la prescription soit acquise selon le régime de l’ancien texte (l’arrêt cite Cass., 18 juin 2001, R.G. S.99.0176.F, Chron. D.S., 2002, p. 102).
En l’espèce, relevant que le premier décaissement date du 30 avril 1995 tandis que le premier acte interruptif de prescription est la citation du 15 novembre 1999, elle confirme le jugement en ce qu’il n’a retenu la prescription que pour les frais décaissés avant 16 novembre 1996.

Sur le fond, elle précise que les frais médicaux remboursables sont tous les frais présentant un lien avec l’accident et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils résultent d’une aggravation de l’état de santé. Quant à l’existence de ce lien, la Cour juge utile de désigner un expert, vu la contestation d’ordre médical.

L’indemnisation de l’aggravation (temporaire et définitive) :

S’agissant d’une aggravation survenant après la fin du délai de revision, la Cour examine tout d’abord à quel type d’indemnité l’intéressé peut prétendre.

La Cour relève que, contrairement au secteur privé, le législateur n’a prévu un droit à une allocation pour aggravation de l’incapacité permanente que par la loi du 17 mai 2007, entrée en vigueur le 1er juillet 2007, loi dont ne peut se prévaloir l’intéressé, l’aggravation dont question portant sur une période antérieure au 1er juillet 2007. La Cour relève par ailleurs que, s’agissant d’une lacune du législateur, le pouvoir judiciaire ne peut rétablir une inégalité entre secteur public et secteur privé. Vu, par ailleurs, l’écoulement du délai de revision, il ne peut être fait droit à la demande d’indemnisation du fait de l’aggravation permanente de l’incapacité.

Quant à l’aggravation temporaire, la Cour relève que le droit existe dans le secteur public depuis la loi du 19 octobre 1998, en vigueur à partir du 25 novembre 1998 (introduction de l’article 6, § 3). Elle rappelle les arrêts de la Cour constitutionnelle des 8 mai 2001 (n° 64/2001) et 20 février 2002 (n° 40/2002), qui imposent d’allouer, pour la période antérieure, le bénéfice de cette disposition. Elle ajoute par ailleurs que la seule condition requise est que l’agent, remis au travail, ne puisse plus exercer son nouvel emploi, sans exigence que l’incapacité permanente dépasse un seuil quelconque.

Quant à la prise de cours du délai de prescription, la Cour considère qu’il faut retenir, non la date de l’aggravation, mais la notification de l’acte juridique contesté. En l’absence de pareille décision, la Cour estime que le délai ne peut courir au plus tôt qu’à partir du moment où l’intéressé a été incapable d’exercer l’activité dans laquelle il a été réaffecté, cette incapacité ouvrant le droit.

Sur le fond, elle désigne un expert, aux fins de déterminer si, à la date du 16 novembre 1996, l’incapacité permanente s’est aggravée au point de rendre temporairement impossible la poursuite du travail, et ce sous l’effet, même partiel, de l’accident ou de ses suites.

Enfin, sur la demande visant l’indemnisation du manque à gagner du fait de la mise en pension anticipée, la Cour se déclare incompétente, seul le Conseil d’état étant compétent pour connaître des effets de l’incapacité due à l’accident sur la position administrative d’un agent des services publics (l’arrêt cite Cass., 13 déc. 2004, J.T.T., 2004, p. 24 et Cass., 8 mai 2006, J.T.T., 2007, p. 570).

Intérêt de la décision

Ainsi que l’on peut le constater, la décision commentée contient de nombreuses précisions juridiques, notamment sur le régime de l’aggravation après le délai de revision dans le secteur public, sur la prescription et sur le remboursement des frais médicaux.

Relevons que l’article 20 fait courir la prescription à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté et que cette règle s’applique pour tous les accidents non réglés par une décision définitive au jour de son entrée en vigueur, même si l’action était prescrite selon les règles en vigueur antérieurement.

En l’espèce, il n’y a eu aucune décision prise sur les demandes d’indemnisation de l’intéressé que ce soit par l’employeur ou une autre autorité administrative, tel le service médical (dont la décision peut, suivant l’arrêt du 4 juin 2007 cité de la Cour de cassation, constituer le point de départ de la prescription). La logique voudrait que le délai de prescription n’ait pas pris court, permettant à Monsieur M. de réclamer les frais et indemnités pour l’ensemble de la période. La Cour retient cependant la date des décaissements pour les frais médicaux et la date de l’incapacité (après reprise) pour les indemnités journalières, ce qui paraît contraire au texte.


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