Terralaboris asbl

Existence d’un lien de subordination : preneur de son pour la réalisation d’émissions audiovisuelles

Commentaire de C. trav. Liège, 4 novembre 2008, R.G. 035.601/08

Mis en ligne le vendredi 20 février 2009


Cour du travail de Liège, 4 novembre 2008, R.G. n° 035.601/08

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 4 novembre 2008, la Cour du travail de Liège est saisie de la question de l’existence d’un contrat de travail pour les prestations effectuées par un preneur de son, affecté à la réalisation d’émissions audio-visuelles pour une chaîne de télévision. Examinant les éléments invoqués par le travailleur, la Cour retient que seule la preuve d’instructions et d’ordres sur la manière d’effectuer la mission par le biais des moyens mis à disposition pourrait constituer un indice permettant de renverser la qualification donnée par les parties à la collaboration (indépendante).

Les faits

Monsieur B. est ingénieur du son et a presté pour le compte d’une télévision, tout d’abord dans le cadre de plusieurs contrats de travail à durée déterminée. A partir de novembre 2000, les missions qui lui furent confiées le furent dans le cadre d’une collaboration en qualité d’indépendant (l’intéressé remettant des factures portant un n° de TVA pour les prestations effectuées). Il est ensuite écarté, par une note interne du 4 mai 2006, qui précise que, vu la fréquence et la continuité de ses prestations, il ne peut plus être fait appel à ses services, sauf cas exceptionnel où il serait impossible de trouver une personne prête à effectuer le travail.

Monsieur B. estimant que le statut de travailleur indépendant qui lui été imposé à partir de novembre 2000 ne correspond pas à la réalité, introduit, par citation du 1er septembre 2006, une procédure devant le tribunal du travail, sollicitant une régularisation des cotisations ONSS pour la période prestée sous statut d’indépendant, de même qu’une indemnité compensatoire de préavis (la note du 4 mai 2006 étant analysée comme un licenciement sans préavis) et une indemnité pour licenciement abusif. A titre subsidiaire, il sollicite une indemnité en raison de la rupture brutale de la convention de collaboration.

La décision du tribunal

Le tribunal estime que l’intéressé ne peut être considéré comme un travailleur salarié, de sorte que toutes les demandes qui y étaient liées sont rejetées. Il renvoie, par ailleurs, concernant la rupture brutale de la convention de collaboration, l’affaire devant le tribunal de commerce.

La position des parties en appel

Monsieur B. interjette appel de la décision rendue par le tribunal. Il fait valoir que les horaires et les lieux de travail pour l’exécution de ses missions lui étaient imposés de même que son statut et qu’il ne lui était pas possible de refuser le travail. Par ailleurs, il souligne qu’il avait l’obligation de remettre un rapport de prestations et que le travail était effectué de manière tout à fait similaire à celui fourni par les travailleurs salariés de l’entreprise. Enfin, il signale qu’il était être soumis aux ordres et aux instructions précises des directeurs techniques pour l’exécution de la tâche confiée.

L’employeur, quant à lui, fait valoir que l’intéressé avait choisi son statut, l’intention de conclure une convention d’indépendant étant libre. Quant au fait que l’horaire, le lieu de travail et les instructions étaient imposés à l’intéressé, l’employeur estime que cela ne prouve pas l’existence d’un lien de subordination, de même que l’existence de prestations de salarié antérieures. Il souligne, par ailleurs, que l’intéressé pouvait refuser les missions et qu’il avait d’autres clients.

La position de la Cour

Sur le plan des principes, la Cour précise que l’intéressé doit établir l’existence du contrat de travail en se fondant sur des éléments de fait permettant de déterminer l’existence des éléments constitutifs du contrat de travail, à savoir la rémunération, le lien de subordination et le travail. Elle précise également que le lien de subordination existe dès lors qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre personne et que, en ce qui concerne le lien de subordination, il y a lieu de se référer à l’intention commune des parties, le juge ne pouvant substituer une qualification au contrat différente de celle choisie par les parties que si les éléments soumis à son appréciation permettent d’exclure la qualification donnée. Enfin, la relation de travail ayant pris fin avant le 1er janvier 2007, l’examen du dossier ne peut se faire par référence aux articles 331 et suivants de la loi du 27 décembre 2006.

En l’espèce, la Cour constate que, quoiqu’il n’y ait pas de convention écrite, l’intention commune des parties était la conclusion, à partir de novembre 2000, d’une convention de collaboration indépendante. Elle se fonde à cet égard sur la remise par l’intéressé, à partir de cette date, de factures portant un numéro de TVA.

Elle examine dès lors les modalités d’exécution du contrat afin de vérifier si celles-ci sont conformes ou incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leur collaboration.

Dans ce cadre, elle relève que le fait que le travail devait être exécuté aux temps et aux lieux fixés par l’entreprise n’est pas un indice révélateur de l’existence d’un lien de subordination, et ce eu égard à la nature du travail à effectuer (prise de son lors d’enregistrement d’émissions). Il en va de même du fait que l’intéressé ne pouvait choisir le travail à accomplir, et ce dès lors que le contrat d’entreprise peut viser la réalisation d’un travail déterminé en un endroit et à un moment convenus contre une rémunération convenue. Toujours se référant à la nature de la mission confiée, la Cour estime que le fait d’être soumis aux ordres et à l’autorité des chefs techniciens et de la direction technique dans le cadre de l’exécution de la mission n’est pas un indice de subordination. Elle retient que la mission doit s’effectuer en coordination avec les autres intervenants, ce qui permet de retenir que les instructions portant sur la manière de réaliser le travail convenu ne sont pas significatives.

Elle rejette par ailleurs le fait que, pour un travail effectué dans les mêmes conditions, des personnes sont occupées dans le cadre d’un lien de subordination (contrat de travail) et que l’intéressé a lui-même été occupé pour le même travail dans le cadre de contrats de travail.

In fine, relevant que l’intéressé précise qu’étaient déterminés par l’employeur tant le contenu du travail à effectuer que la manière de l’exécuter et les moyens pour l’exécution, elle estime qu’il s’agit là d’un indice de subordination important. Elle autorise en conséquence l’intéressé à prouver que, pour l’exécution de son travail, il devait obéir à des ordres précis quant à l’utilisation d’un matériel déterminé ou de techniques particulières de même que pour le choix et l’installation dudit matériel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt illustre d’une manière particulièrement frappante l’absence de frontière claire entre contrat de travail et collaboration indépendante. Elle admet en effet qu’un travail effectué peut l’être sans lien de subordination quoique le commettant détermine lui-même le temps, le lieu et les conditions dans lesquelles le travail doit être exécuté et qu’il puisse donner des instructions sur la manière dont la prestation doit être effectuée. Il faut rappeler qu’il s’agit là de prérogatives essentielles de l’employeur (et corrélativement les deux obligations essentielles du travailleur, telles que visées par l’article 17 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail). Selon la Cour du travail de Liège, il n’y aurait de subordination que si l’employeur donne des ordres sur la manière d’utiliser le matériel et sur le type de matériel à utiliser.

Il faut rappeler qu’en 1981, la Cour de cassation avait défini la subordination comme l’autorité juridique de l’employeur, qui a le droit de donner au travailleur des ordres pour l’organisation et l’exécution du travail convenu (Cass., 18 mai 1981, Arr. Cass., 1980-1981, p. 1080). Dès lors que l’employeur détermine et organise la prestation de travail, il devrait en principe y avoir subordination, et donc contrat de travail. Par ailleurs, il y avait ici une surveillance de la manière dont le travail était concrètement effectué. Pour ce type de fonction, l’on peut dès lors se poser la question du caractère naturellement subordonné, vu le cadre très hiérarchique dans lequel elle s’inscrit et l’absence totale de marge de manœuvre du travailleur pour ce qui est l’exécution concrète du travail faisant l’objet de la convention.


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