Terralaboris asbl

Assujettissement d’étudiants-enquêteurs (sondages) : renversement de la présomption d’existence d’un contrat de travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2008, R.G. 49.925

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 4 septembre 2008, R.G. n° 49.925

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 4 septembre 2008, la Cour du travail de Bruxelles est amenée à se prononcer sur l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés d’étudiants engagés comme enquêteurs. La Cour retient l’application de la présomption de l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978 mais estime celle-ci renversée du fait qu’il résulte des modalités d’exécution du contrat (convention d’entreprise) que la société n’était pas en mesure d’exercer une autorité sur l’étudiant vu notamment l’absence de tout contrôle quant aux modes et manières dont les prestations sont exécutées.

Les faits

La société F., active dans le secteur d’activités du marketing et de la publicité, a engagé dans le courant des années 1995 à 1997 des étudiants en qualité d’enquêteurs afin de réaliser des sondages d’opinion, sondages réalisés soit sur le terrain (rencontres individuelles) ou par le biais de l’installation téléphonique de la société.

Les étudiants se sont vu soumettre un contrat d’entreprise, détaillant les différentes droits et obligations des parties. En vertu de celui-ci, l’étudiant peut refuser le travail qui lui est proposé. Il doit effectuer la tâche convenue dans un délai déterminé, soit à l’aide du matériel de l’entreprise (en cas de sondages par voie téléphonique) ou par ses propres moyens, sans cependant qu’il ait à justifier du temps qu’il utilise. Lorsqu’il reçoit la commande, il remet alors une facture, laquelle est honorée une fois le travail accepté. Il est également prévu qu’il doit exécuter personnellement sa mission et que chacune des parties peut mettre fin au contrat entre le moment de l’acceptation du travail par l’étudiant et l’accomplissement de celui-ci. Dans ce cas de figure, les travaux seront payés. L’étudiant doit respecter un « cahier des charges », déterminé pour chaque commande, fixant le nombre d’interviews, la date limite pour réaliser le travail, le prix de l’enquête ainsi que les modalités de paiement et de remboursement des frais.

L’ONSS réalise une enquête quant à l’occupation de ces étudiants et, se fondant sur la présomption prévue par la l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978 (présomption de contrat de travail dans le cas de l’occupation d’étudiants), il considère qu’il y a matière à assujettir les étudiants occupés par la société entre 1995 et 1997. Il estime par ailleurs que les éléments factuels tels qu’il résulte des auditions et des éléments de l’enquête, sont incompatibles avec l’existence d’une convention de collaboration indépendante.

La société n’ayant pas donné suite aux avis de paiement adressés par l’ONSS, celui-ci fait procéder à la signification de trois citations.

Position du tribunal

Le tribunal du travail refuse de faire droit à la demande de l’ONSS.

Position de parties en appel

L’ONSS interjette appel de la décision du tribunal invoquant la présomption prévue par l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi que les éléments de fait, résultant de l’enquête.

Se fondant sur le mode de recrutement, la méconnaissance du statut, l’existence d’une surveillance du travail, un contrôle a posteriori, le remboursement des frais et le délai déterminé pour accomplir la tâche, l’ONSS estime qu’il s’agit d’éléments incompatibles avec la qualification donnée par les parties à leur collaboration professionnelle. Il soutient par ailleurs que la société aurait abusé des étudiants, qui seraient restés dans la méconnaissance de leur statut.

La société de son côté soulève tout d’abord un argument de prescription. Elle conteste ensuite la position de l’ONSS, estimant que les différents éléments du dossier n’infirment pas l’existence d’une convention d’indépendant. Elle souligne la liberté dans l’organisation du travail, l’absence d’obligation pour la société de fournir le travail, l’absence d’horaire, l’absence de contrôle de l’emploi du temps de l’étudiant, l’existence d’un système de facturation, l’existence d’une obligation de résultat ainsi que le mode de rémunération (celle-ci étant fixée en fonction de la prestation accomplie).

Position de la Cour

La Cour se prononce tout d’abord sur la charge de la preuve. Relevant le prescrit de l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978, elle rappelle que la relation de travail entre un étudiant et un employeur est présumée constituer un contrat de travail, et ce quelle que soit la qualification donnée audit contrat. Elle rappelle que cette présomption vaut jusqu’à preuve du contraire, c’est-à-dire qu’il est loisible d’établir que le contrat n’est pas un contrat de travail.

L’ONSS peut revendiquer l’application de cette présomption afin d’établir l’obligation pour l’entreprise d’assujettir des étudiants à la sécurité sociale des travailleurs salariés. Aussi, il n’appartient pas à l’ONSS de prouver l’existence du contrat de travail mais à la société de renverser la présomption, ce qui signifie qu’elle supporte le risque de la preuve quant à la qualification exacte de la collaboration professionnelle.

Quant au renversement de cette présomption, la Cour rappelle que l’intention commune des parties de conclure une collaboration indépendante ne permet pas d’apporter la preuve exigée. Elle rappelle au contraire que la preuve porte sur les circonstances de l’exécution effective du contrat, lesquelles doivent démontrer l’absence de lien de subordination. La nature du travail (réalisation d’enquêtes-sondages) est indifférente pour l’appréciation de la question qui lui est soumise.

En ce qui concerne les modalités d’exécution du contrat de travail, elle considère que l’absence d’obligation de procurer du travail et l’absence d’obligation d’accepter celui-ci ne constituent pas un élément suffisant pour exclure l’existence d’un lien de subordination

Vu, cependant, l’absence de contrôle effectif et de possibilité de contrôle sur les prestations accomplies, la Cour estime qu’il s’agit là d’un élément incompatible avec l’existence d’un lien de subordination.

Les instructions contenues au « cahier des charges » (heures auxquelles les personnes à contacter peuvent l’être, fixation du barème, remboursement des frais, mode de recrutement) ne constituent pas des éléments permettant d’infirmer une collaboration indépendante. Il en va de même de la méconnaissance par les étudiants de leur statut, d’autant que les auditions de ceux-ci n’ont pas mis en lumière une différence entre l’organisation des prestations telles que prévues au contrat d’entreprise avec la réalité.

Enfin, concernant le fait que certaines enquêtes pourraient ne pas être rémunérées dès lors qu’elles ne répondent pas aux critères prédéfinis par le cahier des charges, la Cour estime qu’il ne s’agit pas d’un élément incompatible avec l’existence d’une collaboration indépendante, s’agissant d’un contrôle sur le service livré.

La Cour considère dès lors que les modalités d’exécution de la collaboration professionnelle sont incompatibles avec l’existence d’un lien de subordination de sorte que la société doit être considérée ayant renversé la présomption prévue par l’article 121 de la loi du 3 juillet 1978.

Intérêt de la décision

Cette décision présente un intérêt quant au rappel des principes sur l’application de la présomption de l’existence d’un contrat de travail pour l’occupation des étudiants.

L’on pourra par ailleurs relever, sur le plan du renversement de cette présomption, que la Cour se fonde sur les éléments d’exécution des prestations reprises dans la convention de collaboration qu’elle confronte aux autres éléments du dossier afin de vérifier si l’exécution réelle de la collaboration correspondait ou non aux éléments repris dans la convention elle-même.


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