Terralaboris asbl

Incidence de l’ignorance par la caisse de l’activité indépendante du travailleur (non)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 juillet 2008, R.G. 49.207

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 11 juillet 2008, R.G. n° 49.207

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt particulièrement fouillé du 11 juillet 2008, la Cour du travail de Bruxelles examine l’incidence de l’ignorance, par la caisse, de l’activité exercée par l’indépendant sur la prescription des cotisations de sécurité sociale et l’argument avancé par la caisse pour s’opposer à l’exception de prescription : la prescription court à partir de l’exigibilité et non de la reconnaissance de la dette.

Les faits

Mme D. est l’épouse d’un travailleur salarié exploitant un café en qualité d’indépendant.

Au cours des années 1982, 1983 et 1984, Mme D. a déclaré, sur le plan fiscal, des rémunérations comme « aidante », ce que l’INASTI a pu constater après une enquête réalisée en juin 1986 auprès de l’administration fiscale.

A la suite de cette enquête, elle s’affilie à une caisse pour une activité d’aidante de travailleur indépendant, signalant un exercice du 1er janvier 1981 au 31 décembre 1983. Ultérieurement, en octobre et en novembre 1987, elle complète une déclaration de cessation d’activité faisant état de l’absence d’exercice d’activité d’indépendante ou d’aidante depuis novembre 1984.

Par lettre recommandée du 1er décembre 1987, la caisse la met en demeure de payer les cotisations relatives aux années 1982 à 1986, ce que l’intéressée conteste, communiquant outre la déclaration de sa cessation d’activité - la déclaration de son époux confirmant une occupation en qualité d’aidante du 1er janvier 1981 au 1er juin 1984. La caisse finit par introduire une procédure en justice aux fins d’obtenir la condamnation de Mme D. au paiement des cotisations. Dans le cadre de cette procédure, Mme D. conteste avoir obtenu une rémunération pour l’activité d’aidante. Dans ce cadre, la Caisse a réinterrogé l’INASTI (qui avait confirmé en 1986 l’existence de déclarations fiscales), lequel ne put cependant donner des informations complémentaires, l’administration fiscale ayant détruit les données jusqu’en 1984. L’INASTI confirma qu’à partir de 1985 les déclarations concernent exclusivement des rémunérations de travailleur salarié.

Suite à cette enquête, la période d’assujettissement concerne la période du premier trimestre 1982 au 30 juin 1984.

Le tribunal fit droit à la demande mue par la caisse et condamna l’intéressée aux cotisations, de même qu’aux intérêts légaux, moyennant une interruption entre le 18 janvier 1991 et le 8 août 2005.

Position de la Cour

La Cour considère que l’on peut retenir l’existence d’une activité d’aidante d’un travailleur indépendant pendant la période et qu’il y a eu perception de revenus au vu des données de l’enquête de l’INASTI réalisée en 1986. Elle retient dès lors que les cotisations sont dues.

Reste à savoir s’il y a ou non prescription. Les cotisations afférentes à l’année 1982 le sont, dès lors que le délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 16 de l’arrêté royal n° 38 a pris cours le 1er janvier 1983 et que ce délai de prescription n’a été interrompu que par la citation signifiée en 1988.

Les lettres de mise en demeure antérieures à la citation ne sont pas considérées comme interruptives vu l’absence de signature (la Cour se réfère à Cass., 22 septembre 2003, J.T.T., 2004, p.7).

La Cour examine ensuite l’argument opposé par la caisse, étant que celle-ci n’aurait découvert l’activité de l’intéressée qu’en 1986 ou 1987. La Cour considère que la découverte, postérieure à la prise de cours du délai de prescription, n’a pas reporté celle-ci. La prescription court en effet à partir de l’exigibilité de la dette sauf si le législateur a pris l’initiative de reporter la prise de cours après l’exigibilité comme c’est le cas pour les cotisations sociales de travailleurs indépendants (prise de cours le 1er janvier de l’année suivant celle pour laquelle les cotisations sont dues). Elle souligne qu’en vertu de l’article 2257 du Code civil, la prescription prend cours à la réalisation de la condition. La connaissance de la dette dans le chef du créancier ne constitue pas une condition de sorte qu’il s’agit d’une circonstance qui n’affecte pas l’exigibilité de la dette.

En l’espèce, il y a eu un choix du législateur, choix fondé sur la sécurité juridique et la problématique de la déperdition des preuves et en vertu duquel celui-ci n’a pas voulu prendre en considération l’ignorance de la créance et, afin de viser les cas de fraude, il a préféré allonger le délai de prescription plutôt que de reporter sa date de prise de cours.

Par ailleurs, en ce qui concerne les intérêts de retard, la Cour est amenée à se prononcer sur la suspension du cours des intérêts pendant la procédure du fait de la longueur de celle-ci. Elle considère que, lorsque le demandeur ne fait pas progresser la procédure sans pouvoir faire valoir un motif légitime, il manque à son obligation de limiter le dommage et que, par ailleurs, le défendeur n’a pas d’obligation de faire progresser la procédure.

Elle conclut de ces deux principes que le demandeur ne peut revendiquer des intérêts de retard pendant la période au cours de laquelle il n’a pas agi en vue de faire avancer la procédure. Elle applique ensuite concrètement ces principes à la cause et réduit la période de suspension de la prise de cours des intérêts fixés par le jugement.

Intérêt de la décision

Cette décision contient un très intéressant développement quant au rôle que peut jouer l’ignorance de la créance sur la prise de cours des délais de prescription et la notion d’exigibilité, laquelle constitue en règle générale le point de départ des délais de prescription. Il faut souligner le caractère particulièrement fouillé de l’arrêt sur ces questions.

En conclusion, en ce qui concerne les cotisations de sécurité sociale des travailleurs indépendants, l’ignorance par les caisses ou l’INASTI de l’activité, et donc de la créance qu’ils possèdent à l’égard de l’indépendant, n’a pas d’effet sur la prise de cours ou l’écoulement du délai de prescription.


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