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Le chômeur qui partage le loyer et les frais de location avec d’autres personnes (maison commune) doit se ménager la preuve de ce qu’il règle individuellement les principales charges ménagères

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 juin 2008, R.G. 49.407

Mis en ligne le mardi 6 janvier 2009


Cour du travail de Bruxelles, 11 juin 2008, R.G. n° 49.407

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 11 juin 2008, la Cour du travail de Bruxelles confirme que le chômeur qui vit sous le même toit que d’autres personnes doit établir qu’il ne règle pas en commun les principales questions ménagères. Il s’agit d’un cas où le chômeur louait, avec deux autres personnes, une maison, les loyers et les charges locatives étant partagés en trois. La Cour confirme que c’est au chômeur d’apporter la preuve à sa charge et qu’il n’appartient pas à l’ONEm d’établir une enquête afin de faciliter cette preuve.

Les faits

Madame B. habite dans une maison qu’elle loue avec deux autres personnes. Chacun des colocataires dispose d’une chambre propre et ils se partagent le reste de la maison. Le loyer unique est divisé entre les trois occupants de même que les charges locatives (eau, électricité, chauffage).

Sur le formulaire C1 (déclaration de la situation personnelle), complété le 30 septembre 2003, l’intéressée précise habiter dans une maison ’communautaire’. Elle perçoit les allocations au taux ’isolé’.

Cependant, à la suite des mentions reprises sur le formulaire C1, elle est convoquée par le bureau de chômage pour donner des explications et une enquête est menée, aboutissant à une décision prise le 31 mars 2004.

Par cette décision, l’ONEm décide d’exclure l’intéressée du taux ’isolé’ et de l’indemniser au taux ’travailleur cohabitant’. La récupération de la différence entre les deux montants est ordonnée et une sanction d’exclusion de quatre semaines est également prise par l’ONEm. La décision est motivée par le fait que l’intéressée aurait fait une déclaration inexacte en affirmant habiter seule.

Madame B. introduit un recours à l’encontre de cette décision.

La décision du tribunal

Le tribunal accueille le recours de l’intéressée et reforme la décision administrative. Retenant les mentions du formulaire C1 ainsi que les explications fournies lors de l’audition, le tribunal estime qu’il n’y a pas de fausse déclaration dans le chef de Madame B. Il note par ailleurs qu’à la suite des mentions du formulaire, le statut d’isolé aurait pu être remis en cause pour autant que l’ONEm mette en œuvre ses pouvoirs d’investigation de manière à trancher entre les différentes interprétations susceptibles de s’appliquer.

Faute d’enquête menée avec la rigueur voulue, le tribunal décide d’annuler purement et simplement la décision.

La position des parties en appel

L’ONEm interjette appel de la décision estimant que, même si l’enquête administrative est incomplète, il n’en demeure pas moins qu’au vu du caractère d’ordre public de la réglementation, il appartient au juge d’examiner les droits de l’intéressée en fonction de la réglementation applicable. Or, en l’espèce, dès lors que la vie sous le même toit n’est pas contestée, il appartient à l’intéressée de prouver qu’elle règle individuellement les principales charges ménagères. L’ONEm conteste que pareille preuve soit rapportée dès lors qu’il est établi que les locataires se partagent le coût du bail et des différents frais locatifs. Pour l’ONEm cette circonstance suffit à établir la qualité de ’cohabitant’ dans le chef de l’intéressée.

Quant au caractère inexact de déclaration de l’intéressée, l’ONEm soutient que, même si celle-ci a précisé vivre dans une maison communautaire, elle a néanmoins précisé habiter seule et n’a pas donné l’identité des autres occupants de sorte qu’il y a matière à retenir des déclarations inexactes.

Quant à la sanction, l’ONEm reconnaît qu’un avertissement aurait pu suffire.

La position de la Cour

La Cour du travail commence par rappeler les règles en matière de charge et de répartition de la preuve : dès lors qu’il est établi que le chômeur vit sous le même toit d’une ou plusieurs autres personnes, c’est à lui qu’il appartient d’établir qu’il ne règle pas en commun les principales questions ménagères.

Sur le fond, la Cour estime que l’intéressée ne peut se limiter à invoquer le caractère incomplet de l’enquête de l’ONEm, enquête qui lui aurait éventuellement permis d’établir qu’elle ne réglait pas avec ses colocataires les principales questions ménagères. La Cour rappelle en effet que c’est elle qui supporte la charge et l’administration de la preuve à cet égard. Le seul élément à charge de l’ONEm est l’établissement de la preuve de la vie sous le même toit, ses obligations s’arrêtant là.

En l’espèce, la Cour constate que l’intéressée ne dépose aucun élément permettant d’apprécier cette question, ni d’ailleurs un descriptif des modalités de vie de chacun des colocataires, voire même des attestations de ceux-ci.

Par contre, la Cour relève qu’il est établi par les éléments du dossier qu’il y partage du loyer et des différents frais locatifs (eau, électricité, chauffage, entretien). Elle en conclut que les colocataires réglaient bien principalement en commun ’une grande partie’ des questions ménagères.

Sur ces bases, la Cour estime qu’il y a lieu de maintenir la décision administrative en ce qu’elle considère l’intéressée comme cohabitante et non comme isolée.

Quant à la sanction, la Cour du travail considère qu’il n’y a pas lieu de la limiter à un avertissement dès lors qu’il n’y a pas de déclaration inexacte dans le chef de l’intéressée. La Cour retient que celle-ci a signalé vivre dans une maison communautaire et qu’en conséquence l’ONEm aurait dû octroyer le taux cohabitant immédiatement, et non le taux isolé, pour le récupérer quelques mois plus tard. La Cour annule dès lors purement et simplement la sanction mise à charge de l’intéressée, confirmant la décision pour le surplus.

Intérêt de la décision

Par cette décision, la Cour du travail confirme essentiellement les règles en matière de charge de la preuve et les applique au cas d’espèce.

S’il relève que la mise en commun du loyer et des charges locatives constitue une grande partie des questions ménagères, l’arrêt laisse cependant la porte ouverte à l’établissement, par le chômeur, de la preuve de ce qu’il s’assume seul ces charges.

Il apparaît en effet, vu les conditions du marché locatif bruxellois, injuste de ne pas permettre à un chômeur qui vit effectivement seul de ne pas partager son habitat avec d’autres. Sous cet angle, le loyer et les charges locatives n’apparaissent que comme un poste des charges ménagères, de sorte qu’il appartiendrait au chômeur d’établir de manière précise qu’il assume seul sa nourriture, son habillement et toutes les dépenses qui sont liées aux questions ménagères au sens large.

Idéalement le chômeur devrait ainsi conserver les justificatifs des différents frais qu’il expose seul, de même que les frais que les autres colocataires exposent également seuls. A défaut, il risque de se voir opposer la mise en commun du loyer et des charges locatives et donc de se voir refuser le statut d’isolé.

Il est également intéressant de constater que dès lors que le chômeur a indiqué vivre dans une maison communautaire, il ne s’expose pas à une sanction pour déclaration inexacte, l’ONEm étant avisé de ce qu’il y a vie sous le même toit.


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