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Quel taux pour le conjoint d’un indépendant : ménage ou cohabitant ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 23 juin 2008, R.G. 8.511/2007

Mis en ligne le mardi 18 novembre 2008


Cour du travail de Liège, section Namur, 23 juin 2008, R.G. 8.511/2007

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 23 juin 2008, la Cour du travail de Liège, section Namur, estime qu’une chômeuse dont le conjoint exerce une activité indépendante ne peut revendiquer le taux « chef de ménage », et ce même si l’activité du conjoint ne génère aucun revenu déclaré en Belgique. La Cour se prononce par ailleurs sur l’étendue de la récupération (appréciation de l’existence d’une fraude en vue de l’application du délai de prescription quinquennal).

Les faits

Mme R. émarge au chômage depuis le 1er mars 1996. Elle se marie puis obtient le taux « chef de ménage » suite à la déclaration selon laquelle son mari n’exerce aucune activité et ne dispose d’aucun revenu.

Dans le cadre d’une enquête menée par le Procureur du Roi (et transmise à l’Auditorat), il apparaît que l’époux exerce une activité depuis 1986, portant sur le commerce de signes, uniformes, emblèmes, … nazis, commerce qui s’effectue essentiellement à l’étranger (où l’intéressé dispose de comptes bancaires) et qui rapporterait de l’ordre de 5.000 €/an.

Lors de son audition par le bureau de chômage, Mme R. explique ses déclarations par l’absence de statut social du mari et le caractère peu explicite du formulaire.

L’ONEm prend alors, en date du 26 mars 2002, une décision d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage au taux « ménage » et ordonne la récupération de la différence entre le taux « ménage » et le taux « cohabitant ». Par ailleurs, il l’exclut pour trois jours en mai 2000 (correspondant à un travail effectué pour l’époux, étant la mise en page du catalogue de la collection), avec récupération et une sanction d’exclusion d’une semaine pour ne pas avoir déclaré l’aide apporté à l’époux.

La décision du tribunal

En première instance, la décision d’exclusion pour 3 jours n’est pas contestée. Le Tribunal confirme pour le surplus la décision administrative, dès lors qu’il est établi que l’époux a exercé une activité commerciale lucrative.

La position des parties

Mme R. interjette appel de la décision, faisant valoir que l’époux n’a tiré aucun revenu de son activité, à telle enseigne que la caisse d’assurances sociales (statut social des travailleurs indépendants) a chiffré les cotisations à payer à 0. Sur ces bases, elle estime pouvoir revendiquer le statut de « chef de ménage ».

L’ONEm demande quant à lui à la Cour de porter la prescription à 5 ans, arguant de la mauvaise foi de l’intéressée. Il estime en outre que l’appel est téméraire et vexatoire, de sorte que les dépens doivent être mis à charge de Mme R.

La décision de la Cour

Quant au taux des allocations, la Cour rappelle que le chômeur qui cohabite avec un conjoint ne peut prétendre au taux « chef de famille » que si le conjoint ne dispose pas de revenus, qu’ils soient professionnels ou de remplacement. Elle relève qu’une exception existe, cependant strictement encadrée : elle vise le conjoint qui exerce une activité salariée générant des revenus ne dépassant pas un certain montant. Le bénéfice de cette exception suppose cependant une déclaration préalable de l’activité par le chômeur. La Cour relève que l’exception ne concerne que l’activité salariée et non indépendante.

Pour la Cour du travail, il résulte des dispositions applicables que le chômeur qui cohabite avec un conjoint exerçant une activité professionnelle indépendante, quels que soient les revenus générés, ne peut bénéficier du taux ménage.

Vu l’exercice d’une activité (non salariée) par l’époux, la Cour conclut que Mme R. ne pouvait bénéficier du taux « chef de ménage ». Elle relève qu’il est indifférent qu’aucun revenu n’ait été déclaré et taxé, ce qui résulte d’ailleurs du caractère officieux de l’activité.

Quant à la période de récupération, la Cour rappelle que la mauvaise foi ne suffit pas pour l’application de la prescription quinquennale : il faut un dol ou une fraude, soit une volonté malicieuse de tromper l’administration pour son propre profit ou un agissement volontairement illicite en vue d’obtenir indûment une prestation sociale. Elle rappelle que la charge de la preuve repose sur l’ONEm.

En l’espèce, elle constate que les textes ne règlent pas clairement la situation du chômeur dont le conjoint est indépendant, spécialement quand il ne dispose pas de revenu (ou qu’il subit des pertes d’exploitation). Elle invoque d’ailleurs une lacune des textes. Elle retient cependant que Mme R. ne pouvait ignorer l’existence des revenus de son époux et qu’elle ne pouvait donc croire que l’absence de statut social lui permettait de déclarer une absence de revenus, d’autant que les questions du formulaire portent sur l’existence d’une activité et de revenus dans le chef du cohabitant et non d’un statut social déterminé. Elle relève par ailleurs qu’en cas de doute quant à la manière de remplir le formulaire, elle aurait dû prendre conseil auprès de son organisme de paiement.

Sur ces bases, elle estime que l’intéressée a voulu obtenir un avantage qu’elle savait indu. Elle porte en conséquence la prescription à 5 ans.

Quant au caractère téméraire et vexatoire de l’appel, la Cour refuse de le reconnaître, estimant que, si les arguments présentés sont légers, ils ne sont pas téméraires.

Intérêt de la décision

Cette décision met en lumière le problème du montant des allocations des chômeurs dont le conjoint exerce une activité indépendante qui ne procure pas de revenu. A suivre la Cour du travail de Liège, l’exercice d’une telle activité entraîne l’application des codes « cohabitant », et ce quoiqu’elle reconnaisse qu’il y a une lacune des textes sur ce point.

Il faut souligner qu’en l’espèce, les deux intéressés avaient reconnu que l’activité procurait des revenus, à l’étranger. Il semble que ce soit sur la base de l’absence de tout revenu déclaré en Belgique que la chômeuse demandait le statut de « chef de famille ».

A partir des textes applicables (articles 110, § 1er, 1° de l’A.R. du 25 novembre 1991 et 60 de l’A.M. du 26 novembre 1991) l’on peut estimer que si l’activité de l’indépendant ne procure aucun revenu (notion qui est différente de celle de bénéfice, cfr C. trav. Brux., 28 février 2008, R.G. 48.502, déjà commenté), le conjoint chômeur pourra obtenir le taux ménage, la réglementation visant l’absence de revenus et non l’absence d’activité.


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