Terralaboris asbl

Un travailleur qui prend sa préretraite, aux fins de ne plus être mis en contact avec une substance nocive peut-il solliciter une indemnisation particulière du fait de la cessation (volontaire) de travail ?

Commentaire de C. trav. Liège, 14 mars 2008, R.G. 34.395/06 et 35.020/07

Mis en ligne le jeudi 6 novembre 2008


Cour du travail de Liège, 14 mars 2008, R.G. n° 34.395/06 et 35.020/07

TERRA LABORIS ASBL – Sandra CALA

Dans un arrêt du 14 mars 2008, la Cour du travail de Liège a examiné comment prendre en compte une telle situation et a rappelé, par ailleurs, l’état actuel de la législation en ce qui concerne l’indemnisation d’une victime à partir de 65 ans.

Les faits

Monsieur D., né le 19 décembre 1938, a, tout au long de sa carrière professionnelle, été en contact physique de la fibre de verre. Il a présenté des lésions d’eczéma à partir des années 1990 sur les mains et, ensuite, sur le corps. Sa sensibilité à la fibre de verre et à d’autres allergènes étrangers au travail mais présents dans les préparations dont il avait fait usage a été avérée par des explorations médicales.

En 1998, peu avant l’âge de 60 ans, il introduit une demande de réparation auprès du Fonds des maladies professionnelles. Celle-ci se fonde sur une affection cutanée provoquée par le milieu professionnel (code 1.201), étant une dermite irritative causée par la fibre de verre.

Quelques mois plus tard, il accède à la préretraite (60 ans) et expose qu’il a sollicité celle-ci afin de se soustraire à l’exercice de sa profession, vu le risque pour sa santé.

Il reçoit, du Fonds, le remboursement des soins de santé mais aucune incapacité de travail consécutive à la maladie ne lui est reconnue. Le 17 novembre 2000, les médecins du Fonds le réexaminent et observent que le tableau dermatologique n’a pas évolué, et ce du fait que la fibre de verre ne s’élimine que très lentement, une fois incrustée dans la peau. On lui reconnaît un taux d’IPP de 10% à partir du 1er février 1999, date de l’arrêt définitif du travail.

Le Fonds notifiera un acte administratif le 6 avril 2001. Il fixe, dans celui-ci, le droit à une allocation annuelle depuis le 18 septembre 2000, correspondant à une IPP de 12% ventilée en 10% d’incapacité physique et 2% pour l’incidence de facteurs socio-économiques.

La personne concernée introduit un recours contre cette décision.

La position du tribunal

Le tribunal du travail rend un jugement le 14 novembre 2002, désignant un expert. Le demandeur considérait en effet que le taux d’incapacité physique devait être fixé à 30%, et qu’il devait être majoré de 15% au titre de facteurs socio-économiques et de 15% pour écartement.

Dans son rapport, l’expert désigné par le tribunal impute entièrement à la maladie professionnelle l’ensemble des lésions constatées (lésions associées tant à la sensibilité irritative à la fibre de verre qu’à la polysensibilisation allergique). Le taux proposé est de 20%. Il s’agit d’un taux correspondant à l’invalidité liée aux séquelles médicales de la maladie professionnelle, avec rétroactivité de 60 jours par rapport à l’examen pratiqué le 17 novembre 2000.

Le tribunal du travail va rendre son jugement définitif le 18 novembre 2004, entérinant le rapport d’expertise. Celui-ci ayant retenu 20% pour l’invalidité physique, le tribunal y ajoute 15% pour les facteurs socio-économiques, précisant que ceux-ci sont retenus eu égard à l’expérience professionnelle, à l’âge, au niveau de scolarité de la partie demanderesse et à l’état du marché du travail en général.

En ce qui concerne le taux pour écartement, le tribunal rappelle que pour l’expert l’écartement a eu lieu le 1er février 1999, étant la date de mise en préretraite. Pour le tribunal, le demandeur a donc été écarté par le fait même de sa décision d’entrer en préretraite, de sorte qu’il ne subit aucun préjudice indemnisable en raison de celui-ci.

Il réforme dès lors la décision administrative et accorde les indemnités légales, sur un taux de 35% depuis le 18 septembre 2000, indemnités à majorer des intérêts judiciaires.

Le demandeur originaire interjette appel.

La position de parties en appel

L’intéressé persiste à demander « une indemnité complémentaire pour écartement » évaluée en appel à 20% de la rémunération de base et sollicite en outre le paiement des intérêts ainsi que prévu par la Charte de l’assuré social. Il conteste également la date de prise de cours de l’indemnisation, qu’il fixe à celle de la préretraite.

La position de la Cour

Le Cour rappelle le mécanisme en matière d’écartement temporaire ou définitif, étant que celui-ci doit intervenir sur proposition du FMP, proposition faite pour tout travailleur atteint ou menacé par une maladie professionnelle. Ceci ne concerne pas le cas d’espèce, de telle sorte que l’indemnisation ne peut être allouée sur la base des dispositions légales en cause. La Cour retient que ce n’est d’ailleurs pas l’application de celles-ci qui est demandée.

Elle retient cependant que ceci ne veut pas dire que l’écartement ne peut pas donner lieu à réparation. La Cour retient effectivement l’existence d’un préjudice indemnisable consécutif à cet écartement, et ce même s’il découle de la seule décision de l’intéressé de prendre sa préretraite, puisque il n’est pas contesté, en l’espèce, qu’il a dû se résoudre à cette situation pour mettre fin à une activité professionnelle nuisible. Cette décision s’est d’ailleurs accompagnée d’une perte de revenus importante.

Le rapport d’expertise ayant relevé que le demandeur devait médicalement être éloigné de l’activité qui le mettait en contact avec la substance nocive – exigence qui s’est concrétisée –, la Cour relève qu’il en est résulté un préjudice pour l’intéressé, étant une diminution de sa capacité concurrentielle sur le marché de l’emploi. Celle-ci est en effet fonction des possibilités dont la personne dispose encore, comparativement à d’autres travailleurs, d’exercer une activité salariée. Est indemnisée, dans le cadre de l’incapacité permanente, la perte ou la diminution de la valeur économique sur le marché général de l’emploi. Il en découle, pour la Cour, que l’écartement s’ajoute aux autres facteurs socio-économiques et en fait partie.

Si la Cour confirme, dès lors, le taux de 35% pour l’incapacité physique, majoré des facteurs socio-économiques généraux, elle y ajoute le fait spécifique de l’écartement sur la capacité de concurrence et, après avoir fait un examen de fait, retient un taux global de 45%, étant 20% d’incapacité physique et 25% de facteurs socio-économiques, écartement compris.

Vu l’écoulement du temps, l’intéressé a cependant atteint l’âge de la pension et la Cour doit bien constater qu’il n’est dès lors plus indemnisable, à partir de celle-ci, soit le 1er janvier 2004, qu’en fonction du taux d’incapacité permanente de travail correspondant à l’incapacité physique, soit 20%. Ce taux va cependant connaître une majoration, étant, dans la version du texte applicable jusqu’au 31 mai 2007, 1% d’incapacité permanente lorsque celle-ci est fixée à 36% au moins jusqu’a 50% au plus et, depuis le 1er juin 2007, 1% supplémentaire lorsque l’incapacité permanente est fixée jusqu’à 35% au plus.

La Cour interprète l’incapacité permanente de travail comme étant celle correspondant à l’incapacité physique, à l’exclusion des facteurs socio-économiques qui lui étaient antérieurement reconnus. Il s’agit d’une interprétation par référence aux termes de l’alinéa 4 (« la victime visée à l’alinéa précédent », c’est-à-dire la victime ayant atteint l’âge de 65 ans) et à « l’incapacité permanente de travail supplémentaire », qui prend la place du taux résultant des facteurs socio-économiques dont il est supposé compenser la perte. Il y aura donc, dans le temps, 45% jusqu’au 31 décembre 2003, 20% jusqu’au 31 mai 2007 et 21% depuis.

En ce qui concerne la date de départ de l’indemnisation, autre difficulté, la Cour rappelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 30 janvier 2007 (C.A., 30 janvier 2007, n° 25/2007), qui a jugé inconstitutionnelle la rétroactivité limitée à 120 jours avant la date d’introduction de la demande. Elle retient la date du 1er février 1999, qui est d’ailleurs reprise par les médecins mêmes du FMP après l’examen du 17 novembre 2000.

Enfin, sur les intérêts moratoires, la Cour accueille l’appel, étant que, conformément à l’article 20 de la Charte de l’assuré social, ceux-ci sont dus depuis le 7 août 2001, étant le premier jour qui a suivi l’expiration du délai de quatre mois prévu par l’article 12 de la Charte, délai qui avait débuté le jour de la notification de la décision administrative contestée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est très riche en enseignement, puisqu’il considère que l’abandon volontaire d’une activité professionnelle nocive, par la mise en préretraite, est un facteur socio-économique supplémentaire dont il faut tenir compte dans l’indemnisation. Il rappelle en outre les modifications intervenues à l’article 35bis relatif à l’indemnisation à l’âge de 65 ans, ainsi que - chose actuellement admise de manière générale – l’obligation de payer les intérêts moratoires conformément à l’article 20 de la Charte de l’assuré social.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be