Terralaboris asbl

Etrangers en séjour illégal avec enfants également en séjour illégal : droit à l’aide sociale ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 8 janvier 2008, R.G. 8.087/06

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Liège, (Sect. de Namur), 8 janvier 2008, R.G. n° 8.087/06

TERRA LABORIS Asbl, Sandra Cala

Dans un arrêt du 8 janvier 2008, la Cour du travail de Liège (sect. Namur) a rappelé les principes en matière de droit à l’aide sociale, pour les étrangers en séjour illégal.

La Cour rappelle qu’il est actuellement admis que l’étranger en séjour illégal débouté d’une demande d’asile est en droit de bénéficier de l’aide sociale tant que le recours qu’il a introduit devant le Conseil d’Etat n’est pas vidé. Plus aucune controverse ne subsiste à cet égard.

En ce qui concerne les mineurs d’âge, la Cour constitutionnelle a été saisie de l’examen de la constitutionnalité de l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 par rapport à la Convention relative aux droits de l’enfant (Convention de New-York) et dans trois arrêts (C.A., 22 juillet 2003, n° 106/2003, 1er octobre 2003, n° 129/2003 et 24 novembre 2004, n° 189/2004) elle a considéré cette disposition inconstitutionnelle en tant qu’elle dispose que toute aide sociale autre que l’aide médicale urgente est exclue pour les mineurs dont les parents séjournent illégalement sur le territoire du Royaume.

Pour la Cour constitutionnelle, il y a trois conditions à l’octroi de l’aide sociale : (i) les autorités compétentes doivent avoir constaté que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, (ii) il doit être établi que la demande concerne des dépenses indispensables au développement de l’enfant et (iii) le CPAS doit s’assurer que l’aide sera exclusivement consacrée à couvrir ces dépenses.

La Cour rappelle, ensuite, les critiques émises suite à ces arrêts et relève que, répondant à ceux-ci, le législateur est intervenu dans le cadre de la loi programme du 22 décembre 2003, précisant que la mission du CPAS (art. 57, § 2, 2°) est de constater l’état de besoin suite au fait que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien à l’égard d’un étranger de moins de 18 ans qui séjourne avec ses parents illégalement dans le Royaume. Dans ce cas, l’aide sociale est limitée à l’aide matérielle indispensable pour le développement de l’enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d’accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi.

L’arrêté royal d’exécution de cette disposition (A.R., 24 juin 2004 – M.B. 1er juillet 2004), qui fait l’objet d’une requête en annulation devant le Conseil d’Etat, lie l’octroi d’une aide à l’introduction d’une demande introduite par le mineur. Il incombe au CPAS de proposer au mineur de se rendre dans un centre d’accueil. L’Agence établit alors un projet individualisé d’accueil, assurant une aide matérielle adaptée aux besoins du mineur et indispensable à son développement.

Ce mécanisme n’est pas à l’abri des critiques, notamment au niveau des mesures transitoires applicables lorsqu’un mineur étranger bénéficie d’une aide servie par un CPAS, ainsi que sur la question de l’aide entre le moment où le mineur étranger s’adresse au CPAS et celui où il reçoit effectivement une proposition d’hébergement. Se pose à cet égard la question des obligations du CPAS et de leurs sanctions.

La Cour constitutionnelle fut saisie d’une demande d’annulation du nouvel article 57, § 2 pour cause d’ingérence déraisonnable dans la vie privée et familiale et rendit un arrêt du 19 juillet 2005 (n° 131/2005). Pour elle, vivre, pour une famille, ensemble est un élément fondamental de la vie familiale, qu’un Etat doit respecter.

La Cour rappelle que, prévoir que l’aide matérielle indispensable au développement de l’enfant sera exclusivement octroyée dans un centre fédéral d’accueil constitue une ingérence dans la vie familiale et celle-ci doit répondre aux exigences de légalité et de prévisibilité posées par l’article 22 de la Constitution. Elle doit, en outre, poursuivre un but légitime et se trouver, par rapport à celui-ci, dans un juste rapport de proportionnalité.

La Cour constitutionnelle constate que la loi ne précise pas les hypothèses dans lesquelles la présence des parents dans le centre sera admise et qu’elle est donc contraire à la constitution – sans qu’il puisse être reproché au législateur d’avoir opté pour une aide sociale matérielle pour concilier l’objectif de protéger les droits de l’enfant avec celui de ne pas inciter les adultes en séjour illégal à se maintenir sur le territoire. La disposition est dès lors annulée. (Elle a cependant vu ses effets maintenus jusqu’à ce que le législateur prenne d’autres dispositions, pour autant que ce soit avant le 31 mars 2006.)

La Cour du travail expose ensuite les incertitudes de la jurisprudence suite à cet arrêt et rappelle l’intervention nouvelle du législateur, qui a modifié, par la loi du 22 décembre 2005, une nouvelle fois l’article 57 § 2, dont le 2° dispose actuellement que le CPAS doit constater l’état de besoin suite au fait que les parents n’assument pas ou ne sont pas en mesure d’assumer leur devoir d’entretien, à l’égard d’un étranger de moins de 18 ans qui séjourne, avec ses parents, illégalement dans le Royaume. Dans ce cas, l’aide sociale est limitée à l’aide matérielle indispensable pour le développement de l’enfant et est exclusivement octroyée dans un centre fédéral d’accueil conformément aux conditions et modalités fixées par le Roi. La présence dans le centre d’accueil des parents ou personnes qui exercent effectivement l’autorité parentale est garantie.

Cette nouvelle mouture du texte légal a été admise par la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 15 mars 2006 (n° 43/2006), celle-ci ayant considéré que le nouveau texte ne viole pas la constitution, en ce qu’il confie au Roi le soin d’arrêter les conditions et modalités d’octroi de l’aide matérielle dans un centre fédéral d’accueil.

La Cour rappellera encore qu’il incombe au CPAS de veiller à ce qu’une demande d’accueil dans un centre soit introduite auprès de Fedasil. Faute de quoi et tant qu’une proposition concrète n’est pas faite, l’aide sociale reste due. Il ne peut y avoir exception que si les parents y renoncent expressément. Sont toutefois admises des circonstances particulières dûment justifiées, la Cour rappelant un arrêt du 24 avril 2007 de sa propre jurisprudence (R.G. 8.002/2006 relatif à un handicap important d’un enfant justifiant le séjour en dehors d’un centre).

Enfin, en cas de refus, la Cour considère que l’acceptation ou non de l’hébergement est un acte librement posé par les parents de mineurs en séjour illégal. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont droit à aucune aide en cas de refus que leur consentement ne serait pas libre. Ils peuvent choisir de vivre avec leurs enfants et de trouver des moyens de subsistance sans avoir recours à l’aide publique.

Appliquant ces principes au cas d’espèce (dont les données de fait ont déjà été reprises dans un précédent commentaire), la Cour va distinguer le droit des parents (demandeurs d’asile) de celui des enfants mineurs. Après le rejet de la demande d’asile, leur droit ne peut plus exister qu’en leur qualité d’administrateurs de biens de leurs enfants mineurs. S’agissant en l’espèce de demandes d’asile successives, la Cour rappelle encore la jurisprudence de la Cour constitutionnelle à cet égard (arrêts du 20 novembre 2001, n° 148/2001 et 13 mars 2002, n° 50/2002), ces demandes étant appréciées différemment selon qu’existent de nouveaux éléments à l’appui de la demande nouvelle.

En ce qui concerne les enfants mineurs, la Cour va distinguer deux périodes, étant d’une part avant l’entrée en vigueur de l’article 57, § 2 tel que modifié par la loi du 22 décembre 2003 (soit avant le 11 juillet 2004) et à partir de cette date.

Pour la première période, dans la mesure où le CPAS devait examiner le droit des enfants à une aide sociale et qu’il ne l’a pas fait, le droit à l’aide est en principe dû. Il incombe cependant aux parents d’établir l’état de besoin. Celui-ci n’est pas retenu en l’espèce.

Pour la période à partir du 11 juillet 2004, la Cour sous-divise en deux sous-périodes, dont la charnière est le premier refus d’hébergement dans un centre Fedasil. Le droit est également admis par la Cour jusqu’au refus, dans la mesure où le CPAS a manqué à son obligation d’information et d’action puisqu’il n’a pas introduit de demande et, de même, n’a pas proposé aux parents d’agir en ce sens. Ici également, il faut examiner l’état de besoin et la Cour condamnera le CPAS à un montant forfaitaire de 1.000 euros (étant des loyers impayés). Pour la suite, les refus successifs justifient qu’aucune aide financière ne soit accordée.

Intérêt de la décision

Cette décision de la Cour du travail de Liège est un puits de références d’une part sur l’évolution des textes, les interventions de la Cour constitutionnelle, la jurisprudence rendue et les débats en doctrine.

L’on en retiendra particulièrement l’étendue des obligations du CPAS et la sanction du non respect de celles-ci, en ce qui concerne le droit en principe à l’aide sociale, ainsi que l’obligation pour le demandeur de justifier de l’état de besoin.


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