Terralaboris asbl

Point de départ du délai de prescription et incidence de l’absence de mention, dans l’acte administratif retenu, des possibilités de recours

Commentaire de C. trav. Liège, 21 avril 2008, R.G. 35.032/07

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Liège, 21 avril 2008, R.G. 35.032/07

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Dans un arrêt du 21 avril 2008, la Cour du travail de Liège se prononce sur le point de départ du délai de prescription de l’action en paiement des indemnités légale dans le secteur public (décision du SSA ou notification de la proposition d’indemnisation par l’employeur ?). Se fondant sur la loi du 12 novembre 1997 relative à la publicité de l’administration dans les provinces et les communes, elle considère par ailleurs que, faute d’indication des possibilités de recours, le délai n’a pas pu prendre cours.

Les faits

Mme F., auxiliaire de la Province de Liège, est victime d’un accident du travail en date du 27 mai 1997.

Le 28 juin 2000, le service de santé administratif (S.S.A.) lui adresse ses conclusions sur les aspects médicaux (IPP = 2%). Il notifie, le 28 juillet 2000, ces conclusions à l’employeur.

Celui-ci notifie alors à Mme F., par lettre recommandée du 21 septembre 2000, une proposition d’indemnisation, conforme aux conclusions du S.S.A. Il s’agit de la proposition visée par l’article 9, alinéa 2 de l’A.R. du 13 juillet 1970.

Mme F. signale à son employeur son opposition quant à la proposition. En réponse, l’organisme assureur de l’employeur (« réassurance ») informe l’intéressée que la seule voie de contestation est l’introduction d’un recours en justice (courrier du 31 octobre 2000).

Celle-ci introduit ensuite, par citation du 17 juin 2004, une action, exposant avoir refusé la proposition d’indemnisation et sollicitant une « allocation d’aggravation » calculée sur la base d’une incapacité permanente de 12 %. Cette demande sera modifiée en cours d’instance (demande nouvelle) en demande d’indemnisation.

La position des parties

L’employeur opposa à la demande de l’intéressée une fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action. Il soutenait en effet que l’acte administratif contesté au sens de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 est la notification du S.S.A. du 28 juin 2000, de sorte que l’action était tardive.

La décision du tribunal

Le Tribunal estima que l’acte administratif contesté, point de départ du délai de prescription, est la proposition d’indemnisation de l’employeur, du 21 septembre 2000. Il estima par ailleurs que le délai triennal de l’article 20 n’avait pas encore pris cours, l’acte administratif ne contenant pas les mentions imposées par la loi du 12 novembre 1997 (art. 3, 4°) et par la Charte de l’assuré social (art. 7 et 14).

La décision de la Cour

La Cour commence par rappeler les dispositions légales applicables au litige (article 20, al. 1er de la loi du 3 juillet 1967 – qui précise que les actions en paiement des indemnités se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte administratif contesté – et A.R. du 13 juillet 1970, qui décrit le déroulement de la procédure).

Elle considère que l’acte administratif visé à l’article 20 est un acte à portée individuelle qui émane d’un organe de l’administration et qui produit (ou est accompli en vue de produire) des effets de droit à l’égard de la victime ou de ses ayants droit.

Elle rappelle par ailleurs les travaux préparatoires (qui précisent que l’acte en question peut être la décision de l’employeur ou du S.S.A.) et un arrêt du 4 juin 2007 (J.T.T., 2007, p. 311) de la Cour de cassation, selon lequel l’acte juridique administratif qui constitue le point de départ du délai de prescription n’est pas exclusivement la décision de l’employeur mais peut consister, lorsque l’action est introduite avant la décision de celui-ci, en la proposition du service médical.

Constatant que la procédure administrative suivie par l’intéressé a été poursuivie après les notifications du S.S.A. et avant l’introduction de la procédure judiciaire, la Cour du travail considère que l’acte administratif qui constitue le point de départ du délai de prescription est la décision de l’employeur du 21 septembre 2000. Elle rappelle par ailleurs qu’en vertu de l’A.R. d’exécution applicable (du 13 juillet 1970), l’employeur apprécie le caractère adéquat du taux d’IPP proposé par le S.S.A.

La Cour examine, ensuite, l’incidence de l’absence de mentions quant au recours (tant sur la notification émanant du S.S.A que sur celle de l’employeur). Elle estime que l’article 3, 4° de la loi du 12 novembre 1997 relative à la publicité de l’administration dans les provinces et les communes (qui impose l’indication des voies de recours, des instances compétentes ainsi que des formes et délais de recours) s’applique à la proposition d’indemnisation que l’employeur doit adresser (art. 9 A.R. du 13 juillet 1970). Faute de ces mentions, la Cour estime que le délai de prescription n’a pas pu courir, et ce nonobstant les précisions apportées par l’assureur de l’employeur vu qu’il ne s’agit pas de « l’interlocuteur juridique » de Mme F.

La Cour relève encore les dispositions de la Charte de l’assuré social (art. 7 et 14 de la loi du 11 avril 1995), qui prévoit également des mentions obligatoires quant aux recours possibles. La Cour précise que ces dispositions s’appliquent à l’acte juridique en cause (décision de l’employeur notifiant la proposition d’indemnisation).

Intérêt de la décision

Le premier intérêt de la décision réside dans les considérations réservées à la détermination du point de départ du délai de prescription dans le secteur public dès lors qu’il y a eu succession d’actes administratifs susceptibles de constituer ce point de départ (décision du S.S.A. puis décision de l’employeur lui-même). La Cour du travail de Liège retient ici la notification de l’employeur lui-même.

Il faut rappeler à cet égard que l’article 20 avait été modifié par une loi du 20 mai 1997 (entrée en vigueur le 1er août 1997) afin de tenir compte de la longueur de l’instruction des dossiers par le S.S.A. (la prescription pouvant arriver à échéance avant même que le service médical ne se soit prononcé sur le dossier). La modification légale permet à la victime d’attendre l’issue de la procédure administrative, puisque ce n’est qu’une fois que la décision définitive est notifiée que le délai de prescription commence à courir. Par ailleurs, la victime se voit également, comme cela ressort des travaux préparatoires, reconnaître le droit d’introduire son action en cours de procédure administrative (ce qui était également fait par le passé, afin de tenir en échec la règle de prescription).

Dans cette optique, il apparaît logique, si la victime a suivi la procédure administrative jusqu’à son terme, de faire démarrer le point de départ du délai de prescription au dernier acte. L’arrêt de la Cour de cassation cité par la Cour du travail de Liège confirme d’ailleurs cette interprétation.

Le second intérêt de l’arrêt réside dans l’incidence de l’absence de mention quant au recours dans la décision administrative constitutive du point de départ du délai de prescription. S’appuyant sur la loi du 12 novembre 1997, la Cour du travail estime que le délai de prescription n’a pas pris cours, faute des mentions imposées par cette loi.

Cette loi, qui ne s’applique qu’aux autorités communales et provinciales prévoit en effet expressément qu’à défaut des mentions imposées quant aux voies de recours, « le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours ».

Quant à la Charte de l’assuré social, dont l’application est évoquée par l’arrêt, la Cour est plus réservée. Rappelons que l’article 14 de la Charte (qui prévoit qu’à défaut de mention quant aux délais et modalités de recours le délai ne prend pas cours) s’applique aux décisions d’octroi ou de refus des prestations. Dans l’arrêt annoté, la Cour du travail de Liège se limite à pointer une incertitude sur la qualification qui peut être donnée à la proposition d’indemnisation de l’employeur public visé par l’article 9, alinéa 2, de l’A.R. du 13 juillet 1970, dès lors qu’il n’y aura octroi que lorsque la victime marque accord (art. 10).


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