Terralaboris asbl

Action en revision : définition du fait nouveau requis

Commentaire de Cass., 26 mai 2008, n° S.07.0111.F

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour de cassation, 26 mai 2008, n° S.07.0111.F

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Le 26 mai 2008, la Cour de cassation a rendu un important arrêt relatif aux conditions de l’action en revision, en rappelant la définition du fait nouveau exigé.

Les faits

Un travailleur est victime d’un accident du travail en 1994, ayant fait une chute de plusieurs mètres. Cette chute entraîna une luxation des deux épaules. Cet accident fut réglé par voie administrative, un accord-indemnité étant signé par les parties. En vertu de celui-ci, les lésions présentées à l’épaule droite sont guéries sans séquelles un mois après l’accident. Les lésions de l’épaule gauche laissent subsister une pénibilité, avec raideur et un syndrome douloureux. Seule persiste à la consolidation, intervenue en avril 1995, une gène au niveau de l’insertion du deltoà¯de à l’épaule gauche. L’I.P.P. est de 3%.

Le libellé des séquelles reprend ces constatations médicales en les détaillant.

L’accord-indemnité est homologué par le F.A.T. le 20 mai 1997. Après le règlement des séquelles, l’intéressé ressent progressivement une impression de diminution de force au niveau des membres supérieurs ainsi que de douleurs lors de mouvements de force. Les constatations médicales faites à l’époque mettent en évidence une lésion du bourrelet ainsi que du tendon sus-épineux à gauche. A droite est également découverte une lésion du bourrelet antérieur et est suspectée une rupture du tendon sus-épineux.

Le travailleur cite, dès lors, en revision en mai 2000, vu l’aggravation objectivée de son état.

Le tribunal du travail va désigner un expert judiciaire, dont le rapport retiendra l’existence d’une aggravation, concluant à une majoration du taux d’I.P.P. (portée à 6%).

La Cour du travail confirmera, dans un arrêt du 18 décembre 2006, le jugement du tribunal, rappelant que la demande en revision des indemnités, fondée sur une modification de la perte de capacité de travail due aux conséquences de l’accident peut, selon l’article 72 de la loi du 10 avril 1971, être introduite dans les trois ans qui suivent l’homologation de l’accord entre les parties, cette demande en revision ne pouvant être introduite que sur la base de faits nouveaux qui n’étaient pas connus ou ne pouvaient être connus à la date du premier accord (la Cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard).

Elle va retenir qu’il est prouvé de manière suffisante, c’est-à-dire avec un haut degré de vraisemblance médicale, que les constatations de l’expert désigné dans le cadre de l’action en revision ont fait apparaître une lésion et la présence d’un corps étranger qui n’étaient pas connues à la date de l’accord. La lésion n’apparaît, en effet, pas sur les radiographies de l’époque, en raison de l’angle sous lequel elles ont été prises. Ces éléments ne pouvaient raisonnablement être connus. En effet, cet angle de vue n’a surpris à l’époque ni le médecin traitant ou radiologue, ni le médecin conseil de l’entreprise d’assurances, non plus que celui du travailleur.

En conclusion, pour la Cour du travail, la demande en revision des indemnités d’accident du travail a été introduite sur la base de « faits nouveaux », c’est-à-dire de faits qui n’étaient pas connus et qui ne pouvaient être connus à la date du premier accord. Il est indifférent que ces faits aient existé au moment de l’accord-indemnité : ce qui compte, c’est qu’ils n’étaient pas connus et qu’ils ne pouvaient raisonnablement pas l’être. De même, il est indifférent que l’incapacité de travail constatée par la Cour au moment où elle statue soit la conséquence prévisible ou non de ces faits.

Elle confirme dès lors le jugement qui avait entériné le rapport d’expertise.

Griefs de la partie demanderesse en Cassation

Pour la demanderesse, la demande en revision ne peut avoir pour cause qu’un fait nouveau ou une modification survenus après l’accord entre les parties ou après la notification de la décision judiciaire visée à l’article 24 § 1er de la loi du 10 avril 1971. En d’autres mots, pour elle, l’accord du travailleur ou la décision en cause sur les séquelles de l’accident sont définitifs, sauf faits survenus ultérieurement.

En l’espèce, la demanderesse en Cassation fait grief à l’arrêt de la Cour du travail d’avoir admis que la lésion de la glène à l’épaule droite et la présence d’un corps étranger existaient au moment de l’accord mais que cela serait indifférent, dès lors que ces faits ne pouvaient raisonnablement être connus lors de celui-ci. Pour la demanderesse, il n’y a ouverture à revision qu’en cas de fait nouveau ou de modification survenus « après l’accord entre les parties » et une lésion qui existait au moment de cet accord mais qui ne pouvait « raisonnablement » être connue à ce moment n’est pas un fait nouveau survenu après l’accord ou, du moins, ce n’est pas parce qu’elle ne pouvait raisonnablement être connue lors de la consolidation que la lésion est un fait nouveau. Pour la demanderesse, il n’y aurait de fait nouveau que si la lésion et la présence du corps étranger, en l’espèce, n’existaient pas ou qu’il eut été impossible de les déceler lors de l’accord intervenu en 1997.

L’arrêt de la Cour de Cassation

La Cour rappelle l’articulation entre les articles 24 et 72 de la loi du 10 avril 1971 : la demande en revision des indemnités fondée sur une modification de la perte de capacité de travail de la victime due aux conséquences de l’accident peut être basée sur des faits nouveaux qui n’étaient pas connus et ne pouvaient l’être, compte tenu des examens médicaux ayant été réalisés à la date de l’accord intervenu entre parties ou de la décision visée à l’article 24 de la loi.

Pour la Cour suprême, dès lors que l’arrêt de fond constate que, à la suite de l’accident du travail, un accord fixant à 3% l’incapacité permanente de travail a été entériné et que, pendant le délai de revision, le défendeur a émis de nouvelles plaintes, entraînant la réalisation de nouvelles radiographies sous un angle différent, le juge du fond, qui considère qu’il y a là des faits nouveaux, justifie légalement sa décision, dès lors qu’il considère que les séquelles n’étaient pas connues à la date du premier accord, vu qu’elles n’apparaissaient pas sur les radiographies de l’époque en raison de l’angle sous lequel elles avaient été prises et qu’elles ne pouvaient, dès lors, raisonnablement être connues, l’angle de vue n’ayant surpris à l’époque aucun des médecins intéressés par l’expertise.

La Cour suprême rejette dès lors le moyen.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du 26 mai 2008 admet l’action en revision dans une perspective réaliste : fréquentes sont en effet les situations où une lésion, existant au moment de la fixation des séquelles, n’est pas apparue et n’a pas été prise en compte lors de la fixation des séquelles. Dans cette hypothèse, la lésion se trouverait, de ce fait, également rejetée dans le cadre d’une action en revision, si elle était le fruit d’une erreur médicale.

En l’espèce, la Cour suprême retient qu’il n’y a pas d’erreur médicale, l’ensemble des médecins intervenant dans l’expertise n’ayant pas considéré insuffisants ou incomplets les examens radiographiques auxquels il avait été procédé à l’époque.

Il en résulte que, n’étant pas prise en compte mais existant au moment de l’accord, cette lésion, qui est définie ultérieurement, et est apparue à l’occasion d’examens médicaux nouveaux, doit être considéré comme un élément nouveau, donnant matière à revision.


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