Terralaboris asbl

Les critiques émises au cours d’une réunion d’évaluation constituent-elles un événement soudain ?

Commentaire de C. trav. Mons, 26 mars 2008, R.G. 19.975

Mis en ligne le mercredi 5 novembre 2008


Cour du travail de Mons, 26 mars 2008, R.G. 19.975

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 26 mars 2008, la Cour du travail de Mons, saisie d’une demande de reconnaissance d’accident du travail portant sur le caractère inattendu et critique du contenu d’une réunion d’évaluation (événement soudain), estime que la preuve du fait allégué n’est pas rapportée par la victime.

Les faits

Monsieur V. est inspecteur social, occupé par une administration publique fédérale.

Dans le cadre de la réforme Copernic de la fonction publique, il est convoqué à un entretien le 4 mars 2004, afin d’établir ses objectifs pour l’année en cours. Lors de cette réunion, son supérieur direct lui remet une série de documents (objectifs : description de la fonction, tâches, …), que l’intéressé refuse de signer, s’agissant d’un « produit » de la réforme Copernic, contestée par l’organisation dont il est délégué.

Vu le refus de signature (encore confirmé par une lettre ultérieure de l’intéressé), il est convoqué à se présenter auprès de la direction générale, réunion à laquelle il ne peut se rendre, étant malade. Sur sa demande, une nouvelle réunion est fixée, dont la convocation précise cette fois l’objet de l’entretien : la question des documents remis en mars, les objectifs 2004 ainsi qu’une analyse de son activité pendant les années 2001 à 2003.

L’entretien a lieu le 13 avril 2004. Monsieur V. obtient l’autorisation d’enregistrer l’entretien.

Il rédige une déclaration d’accident du travail le 15 avril, invoquant qu’au lieu d’être un entretien constructif, ses supérieurs auraient critiqué d’une manière injustifiée son travail des années antérieures. Il joint à sa déclaration un certificat médical évoquant un état anxio-dépressif attribué à « l’accident du travail » du 13 avril.

L’accident étant refusé, il introduit une procédure judiciaire, demandant au Tribunal du travail de reconnaître que les faits du 13 constituent un accident du travail.

La décision du tribunal

Le Tribunal rejeta la demande, avançant que, si l’existence d’une lésion est établie, il en va autrement de l’événement soudain. Pour le Tribunal, l’intéressé ne prouve pas l’existence d’un fait précis qui a pu déclencher celle-ci.

La décision de la Cour

Après un long rappel des principes, la Cour du travail retient qu’in casu, l’événement soudain invoqué par Monsieur V. est la critique acerbe et inattendue émanant de ses supérieurs. Elle relève qu’il a cependant précisé, dans le cadre de la procédure, que l’événement soudain réside non dans le ton employé mais dans le contenu de l’entretien, qui l’aurait pris par surprise.

La Cour estime en conséquence qu’il doit établir qu’il y a eu critique inattendue de la qualité de son travail.

Constatant que le seul élément de preuve à retenir est l’enregistrement de l’entretien, elle constate, après audition, que les points abordés lors de la réunion étaient bien ceux annoncés par la convocation. Elle estime en conséquence que le caractère inattendu du contenu de la réunion n’est pas établi.

Quant au caractère critique de celui-ci, la Cour estime qu’il ne peut être retenu, la critique étant considérée comme « constructive ». Pour la Cour, aucun élément ne prouve que la conversation serait sortie « du cadre normal et habituel » d’un entretien d’évaluation.

Elle considère dès lors que l’intéressé ne prouve pas l’existence d’un fait précis, survenu à un moment identifiable dans le temps. Elle confirme en conséquence le jugement

Intérêt de la décision

Confronté à un fait allégué d’événement soudain, qui consiste dans la manière dont une réunion d’évaluation s’est tenue, la Cour du travail de Mons s’attache à circonscrire l’événement tel que décrit par la victime. Celui-ci épinglant le caractère inattendu des griefs formulés de même que l’aspect acerbe de la réunion, la Cour le déboute parce qu’il ne démontre pas ces circonstances là.

Ce raisonnement rejoint celui tenu par la Cour du travail de Liège, dans un arrêt du 9 septembre 2004 (R.G. 32.094/04), qui avait aussi rejeté l’existence d’un événement soudain (fondé sur un entretien d’évaluation) aux motifs que les circonstances particulières invoquées par la victime (grossièretés) n’étaient pas établies.

Au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, il apparaît que l’entretien en lui-même peut constituer un événement soudain, peu importe que cette réunion ne soit pas sortie du cadre habituel (voir notamment Cass., 13 oct. 2003, J.T.T., 2004, p. 40, qui censure un arrêt ayant refusé de prendre en compte l’obligation de rédiger un rapport au titre d’événement soudain).

L’enseignement qui peut être retiré de l’arrêt commenté de la Cour du travail de Mons est que, dès lors que la victime qualifie les faits (ici l’entretien qui a été considéré comme acerbe et portant sur des points inattendus, de nature à choquer la victime), elle doit rapporter la preuve des circonstances particulières invoquées. Cela invite donc à la prudence dans la manière de définir, circonscrire, l’événement soudain épinglé …


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be