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Contestation d’une décision de l’INAMI concernant les pensionnaires d’une maison de repos : qui peut agir et selon quelle forme ?

C. trav. Liège, sect. Liège, 10 mars 2008, R.G. 33.712/05

Mis en ligne le vendredi 19 septembre 2008


Cour du travail de Liège, section de Liège, 10 mars 2008, R.G. n° 33.712/05

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Dans un arrêt du 10 mars 2008, la Cour du travail de Liège décide que le litige qui a trait à la détermination de la catégorie de dépendance des pensionnaires d’une maison de repos pour personnes âgées est une contestation visée à l’article 580, 3° du code judiciaire pouvant dès lors être introduite par la requête écrite visée à l’article 704 du même code.

Les faits

Le CPAS d’une commune a en charge une maison de repos pour personnes âgées. Le service compétent de l’INAMI y effectue une visite de contrôle pour vérifier la catégorie de dépendance des résidents.

Par courrier recommandé, l’INAMI notifie ensuite au CPAS concerné la liste des adaptations de catégorie de dépendance. La notification précise en caractères gras, que son destinataire peut introduire un recours par requête écrite, datée et signée, dans le mois de la notification de la décision, la requête devant être dirigée conjointement contre l’organisme assureur concerné et contre l’INAMI.

Dans le délai légal, le CPAS dépose au greffe du tribunal du travail de Verviers une requête contre l’INAMI et deux organismes assureurs des résidents concernés par la rectification de la catégorie de dépendance. Le CPAS conteste en effet la modification de la catégorie de dépendance pour six de ses résidents. Il demande au tribunal de mettre à néant la décision contestée pour ces six pensionnaires et subsidiairement, la désignation d’un expert ou d’un collège d’experts pour déterminer le degré de dépendance réel des six personnes concernées.

Devant le premier juge, l’INAMI conclut à l’irrecevabilité de l’action pour deux motifs :

  • la demande aurait du être introduite par citation et non par requête
  • l’action n’a pas été décidée, avant d’être exercée, par le conseil de l’action sociale.

Le jugement dont appel

Dans son jugement du 17 octobre 2005, le tribunal du travail de Verviers décide que l’action du CPAS a été régulièrement introduite par requête pace qu’elle relève d’une des matières énumérées dans l’article 704, alinéa 1er du code judiciaire, à savoir la matière visée à l’article 580, 2° du même code.

L’article 580, 2° du code judiciaire précise que le tribunal du travail connaît des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés et apprentis et de leurs ayant droits résultant des lois et règlements prévus au 1° (il s’agit du domaine de l’assurance obligatoire maladie invalidité).

Le tribunal considère aussi que l’intervention de l’assurance soins de santé doit être considérée comme une prise en charge du coût des soins à exposer par le patient, en régime de tiers payant. Se fondant sur le contenu de la convention conclue entre les organismes assureurs et les maisons de repos pour personnes âgées, le tribunal du travail en déduit que le droit subjectif à l’allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière naît dans le chef de l’assuré et non pas dans le chef de l’institution prestataire. C’est la personne hébergée dans une maison de repos pour personnes âgées qui a droit à l’allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière mais l’institution qui la soigne et l’assiste est subrogée dans ce droit et dans l’action qui en découle.

Après avoir déclaré la demande recevable, le tribunal rouvre les débats pour permettre aux parties de s’expliquer sur le fond du litige.

La position de la partie appelante

L’appel de l’INAMI contre le jugement du tribunal du travail de Verviers est fondé sur deux moyens :

  • le tribunal du travail a omis de statuer sur la fin de non recevoir de l’action judiciaire tirée du défaut de qualité dans le chef du CPAS qui n’avait pas été régulièrement habilité à agir
  • le tribunal du travail a déclaré l’action recevable sur base d’un argument qui n’avait pas été débattu par les parties et qui est d’ailleurs inexact

La décision de la Cour

La Cour du travail de Liège commence par rappeler le cadre légal et règlementaire du litige.

Les prestations de santé comprennent notamment celles qui sont fournies par des maisons de repos pour personnes âgées agréés par l’autorité compétente (article 34, 12° de la loi coordonnée le 14.07.94 relative à l’assurance soins de santé et indemnités). L’intervention de l’assurance soins de santé pour ces prestations consiste en une allocation journalière appelée « allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière » (article 147, § 3 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de ladite loi). Cette allocation est accordée à l’institution pour le bénéficiaire qui satisfait aux critères d’une des catégories de dépendance décrites par la législation.

La législation précise également quelles sont les autorités habilitées à procéder aux contrôles des maisons de repos pour personnes âgées ainsi que les modalités de ces contrôles. En l’espèce, l’autorité de contrôle est le collège national des médecins conseils du service des soins de santé de l’INAMI, qui peut faire appel, pour l’exécution de ses missions, à des collèges locaux placés sous sa tutelle.

La Cour se livre ensuite à une série de constatations générales utiles à sa décision :

  • la maison de repos pour personnes âgées est instituée en prestataire de soins de santé
  • c’est la personne hébergée dans l’institution qui est la bénéficiaire de ces prestations
  • l’allocation journalière est accordée à l’institution pour le bénéficiaire qui satisfait aux critères
  • la jurisprudence considère que c’est l’institution qui est bénéficiaire de l’allocation
  • étant titulaire du droit à cette allocation, l’institution est partant, également titulaire du droit d’agir en justice en cas de litige la concernant.

La Cour critique également le raisonnement suivi par le premier juge relevant que ?

  • l’allocation n’est pas versée à l’institution dans le régime du tiers payant
  • aucun texte légal ne prévoit directement ou non la subrogation de l’institution dans les droits et actions de l’assuré
  • la lecture de la convention entre les organismes assureurs et les maisons de repos pour personnes âgées ne semble nullement conforter la théorie développée par le tribunal du travail
  • la référence à l’article 580, 2° du code judicaire est erronée puisqu’elle vise les contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés et apprentis et de leurs ayants droit, les pensionnaires de la maison de repos pour personnes âgées ne possédant évidemment pas cette qualité.

Pour la Cour il faut se référer à l’article 580, 3° du code judiciaire qui concerne les contestations relatives aux droits et obligations des personnes et de leurs ayants droit qui, autrement qu’en vertu d’un contrat de travail ou d’un contrat d’apprentissage, bénéficient des lois et règlements prévus au 1° (soit en l’espèce l’assurance obligatoire maladie invalidité), étant notamment concernés les résidents des maisons de repos pour personnes âgées. Encore faut-il déterminer comment les maisons de repos elles-mêmes peuvent se prévaloir de cette disposition légale.

En effet, la Cour relève que la contestation a trait à la détermination de la catégorie de dépendance des pensionnaires d’une maison de repos pour personnes âgées, que cette contestation est étroitement liée à l’octroi et au montant de l’allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière et que celle-ci est elle-même en corrélation avec les prestations de soins de santé auxquelles a droit la personne bénéficiaire.

La Cour du travail rapproche tout d’abord l’article 580, 3° du code judiciaire de l’article 167, alinéa 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 (selon lequel les contestations relatives aux droits et aux obligations résultant de la législation et de la réglementation concernant l’assurance soins de santé et indemnités relèvent de la compétence du tribunal du travail).

Or, les parties n’ont pas contesté la compétence matérielle du tribunal du travail pour connaître de la demande en sorte que, relève la Cour, il serait curieux d’arriver à la conclusion que le tribunal du travail serait compétent dans l’application de l’article 167 précité mais qu’il ne le serait pas selon l’article 580, 3° du code judiciaire.

La Cour relève ensuite que l’article 580, 3° précité ne vise pas strictement les contestations qui portent sur les droits et obligations des assurés sociaux mais bien plus largement les contestations relatives aux droits et obligations de ceux-ci, soit celles qui sont en relation (qui ont un lien) avec ces droits et obligations.

Elle en conclut qu’une contestation concernant une allocation à laquelle certes l’institution a droit mais qui est en lien étroit avec les prestations de santé auxquelles l’assuré social a droit est une contestation relative aux droits de cet assuré.

La Cour en conclut que l’action du CPAS visée par l’article 580, 3° du code judiciaire et donc par l’article 704 du même code a été régulièrement mue par requête déposée au tribunal du travail.

Incidemment, la Cour considère que l’INAMI a fait preuve de quelque immoralité (sic) en invoquant l’irrecevabilité de l’action alors que celle-ci a été introduite suivant le mode qu’il avait lui-même expressément indiqué dans sa décision, en sorte que si la thèse de l’INAMI s’avérait exacte, il pourrait voir sa responsabilité engagée envers le CPAS, qu’il aurait alors trompé…

L’intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège tranche en faveur de la maison de repos une controverse récurrente, à savoir celle de déterminer qui est titulaire du droit d’agir en justice en cas de litige concernant l’allocation journalière également appelée allocation pour soins et assistance dans les actes de la vie journalière.

La question reste néanmoins controversée (contre l’action des maisons de repos, voyez C.T.Mons, 27.08.98, Bull.info.INAMI, 1999/2,p.163 ; C.T. Gand, 19.02.99, C.D.S. 1999, p.331, J.T.T. 1999,p.252 et Bull.info.INAMI, 1999/2,p.169 ; C.T. Liège, section Namur, 13.01.00, C.D.S. 2002, p. 147 ; pour l’action des maisons de repos, mais selon des raisonnements différents, voyez T.T. Charleroi, référé, 31.05.96, JLMB, 1996, p. 1241 avec l’avis de l’auditeur du travail et en appel, C.T.Mons, 20.04.08, J.T.T. 2006, p. 311).

Relevons également un jugement du tribunal du travail de Tongres, qui a précisé que la charte de l’assuré social ne s’applique pas aux relations entre les organismes de sécurité sociale et des tiers telles une maison de repos et de soins, en sorte que le délai de recours reste pour ces tiers d’un mois et non de trois et que la maison de repos n’étant pas bénéficiaire au sens de l’article 1017, alinéa 2 du code judicaire, elle doit être condamnée aux dépens lorsqu’elle succombe ( T.T.Tongres, 17 février 1999,C.D.S. 1999,p.349).


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