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Privation de travail et mandat de gérant d’une société immobilière exercé à titre gratuit : obstacle au bénéfice des allocations de chômage – incidence de la bonne foi sur la récupération

Commentaire de C. trav. Liège, 21 mars 2008, R.G. 33.773/05

Mis en ligne le mercredi 10 septembre 2008


Cour du travail de Liège, 21 mars 2008, R.G. 33.773/05

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 21 mars 2008, la Cour du travail statue sur le droit aux allocations d’un chômeur, gérant à titre gratuit d’une société immobilière constituée avec son épouse. Ecartant la règlementation illégale, elle retient que l’activité de la société avait pour but de constituer un patrimoine, de sorte que l’activité du gérant dépasse la gestion normale des biens propres. La Cour retient cependant la bonne foi, limitant ainsi la période de récupération aux 150 derniers jours.

Les faits

M. D.B. constitue avec son épouse une société X, société immobilière. La société acquiert, en 1995, un immeuble à Lincent, donné en location à une société Y., au travers de laquelle le couple exerce une activité de commercialisation de produits d’éclairage. C’est l’épouse de M. D.B. qui est gérante de la société X.

La société Y. fait faillite en 1998. Devant solliciter des allocations de chômage, l’épouse cède la gérance de la société X. à M. D.B., alors salarié à titre principal. A cette époque la société X. contracte un emprunt en vue d’aménager l’immeuble en plusieurs appartements. Un des appartements est occupé par le couple et les autres mis en location.

En mai 2002, la société X. acquiert l’usufruit d’un autre immeuble, situé à Perwez (M. D.B. étant nu-propriétaire). Des travaux de transformation, en vue de l’aménagement d’appartements, y seront menés courant 2003.

Ayant perdu son emploi, M. D.B. sollicite le bénéfice d’allocations de chômage en août 2002. Suite à un déménagement, il signale au nouveau bureau de chômage compétent, en avril 2004, son mandat de gérant.

Suite à cette déclaration, il est exclu du bénéfice des allocations d’août 2002 à avril 2004. Est également ordonnée la récupération des allocations perçues pendant cette période. L’exclusion est fondée sur l’exercice, pendant le chômage, d’une activité pour son propre compte (gérant de la société X), non limitée à la gestion normale des biens propres, activité qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable.

Monsieur D.B. introduit un recours contre cette décision.

La décision du tribunal

Le Tribunal du travail fait droit à la demande, estimant qu’il n’est pas démontré que l’activité exercée dépasse la gestion normale des biens propres. Le Tribunal retient que la société a pour seule vocation la gestion d’un patrimoine privé.

La décision de la cour

Relevant les dispositions applicables, la Cour constate que le 7e alinéa de l’article 45 de l’A.R. du 25 novembre 1991, définissant la notion de gestion normale des biens propres, ne peut être appliqué, l’A.R. l’ayant introduit (du 26 mars 1996) étant affecté d’un vice (non motivation de l’urgence pour la dispense d’avis à la section législation du Conseil d’Etat). C’est donc la version antérieure de l’article 45 qui doit être appliquée.

Selon la version applicable de cette disposition, l’activité constitue du travail lorsqu’elle est intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services et qu’elle n’est pas limitée à la gestion des biens propres. Sur ce point, la Cour du travail rappelle l’enseignement de la Cour de cassation, concernant l’activité de mandataire d’une société commerciale (Cass., 3 janv. 2005, S.04.0091.F), selon laquelle l’exercice d’un mandat dans une telle société est une activité exercée pour son propre compte et, même exercée à titre gratuit, est susceptible d’apporter un avantage matériel, étant exercée, quel que soit l’objet social, dans un but de lucre.

En l’espèce, la Cour retient que, contrairement à ce qu’à admis le premier Juge, la société est une société immobilière et non de gestion d’un patrimoine privé. Elle relève par ailleurs que l’activité déployée par l’intéressé dans le cadre de son mandat dépasse la simple gestion d’un patrimoine privé. Relevant les différentes opérations réalisées, elle note ainsi que par celles-ci, c’est la constitution d’un patrimoine qui a été visée.

La Cour considère en conséquence que la preuve de ce que l’activité dépasse la gestion normale des biens propres est rapportée par l’ONEm, de sorte que la décision administrative doit être confirmée.

La Cour statue ensuite sur l’étendue de la récupération, Monsieur D.B. invoquant la bonne foi pour obtenir la limitation aux 150 derniers jours d’indemnisation.

Sur le plan des principes, elle relève que la bonne foi suppose que la personne ignorait ou pouvait raisonnablement ignorer être en infraction, le peu de lisibilité de la réglementation ne permettant pas de donner un plein effet à l’adage « nul n’est sensé ignorer la loi ».

La Cour retient la bonne foi, relevant que l’intéressé a spontanément signalé son mandat, notamment lorsqu’il a été interrogé par l’inspection des lois sociales (lors d’un contrôle sur le chantier de l’immeuble de Perwez). Vu que le mandat a été exercé, dans un premier temps accessoirement aux prestations de travail salariées, la Cour retient qu’il a pu légitimement penser que ceci ne poserait pas de difficultés. La Cour retient ceci quoique le mandat ait été exercé au moment où l’épouse a sollicité les allocations de chômage.

La Cour retient par ailleurs la « complexité interprétative » de la réglementation et l’absence de connaissance juridique de l’intéressé. Elle admet en conséquence qu’il est plausible qu’il n’ait pas eu conscience de commettre une infraction.

Intérêt de la décision

La Cour du travail confirme qu’un mandat exercé à titre gratuit au sein d’une société commerciale est une activité qui fait obstacle au bénéfice des allocations de chômage. Notons qu’elle s’est prononcée dans un cas particulier, la société ayant été constitué avec l’épouse, manifestement en vue de « gérer » le patrimoine immobilier du couple. Vu les transformations effectuées (en vue de location), de même que l’acquisition d’un second immeuble, la gestion est retenue comme dépassant les limites normales.

L’arrêt présente également un intérêt, en ce qui concerne la bonne foi. Se fondant sur les déclarations spontanées de l’intéressé, le fait que le mandat – exercé à titre gratuit – était une activité initialement accessoire à l’activité salariée et la complexité de la jurisprudence rendue sur la question, la Cour considère que l’intéressé a pu, de bonne foi, omettre de faire la déclaration préalable.


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