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La qualité de parent d’un enfant belge peut-elle faire obstacle à l’application de l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 4 février 2008, R.G. 16.661/07

Mis en ligne le mardi 12 août 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 4 février 2008, R.G. n° 16.661/07

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 4 février 2008, le tribunal du travail de Bruxelles a considéré, s’inscrivant dans la jurisprudence constante de la 15e chambre de ce tribunal, que le refus d’autoriser la mère d’un enfant belge mineur en bas âge à séjourner avec lui empêcherait cet enfant de revendiquer le bénéfice des lois de l’Etat belge et priverait d’effet utile son droit fondamental à la nationalité. La mère, de nationalité étrangère, se verrait ainsi privée, quant à elle, de son droit effectif à la vie privée et familiale.

Les faits

Madame M., de nationalité congolaise, a un enfant de neuf mois, celui-ci étant de nationalité belge. Elle a introduit en décembre 2005 une demande de régularisation de séjour (article 9, alinéa 3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers). A ce jour, la demande d’autorisation de séjour n’a pas abouti.

L’intéressée est aidée par diverses associations caritatives, par le biais de colis alimentaires et d’une aide en nature pour son enfant. Elle n’arrive pas à subvenir à ses besoins et notamment à payer son loyer.

Par décision du 24 septembre 2007 émanant du CPAS de Bruxelles, Madame M. s’est vue refuser une aide sociale équivalente au revenu d’intégration sociale au taux famille à charge, et ce au motif qu’elle ne dispose pas d’un titre de séjour et que, étant en séjour illégal, elle ne peut prétendre qu’à l’aide médicale urgente conformément à l’article 57, § 2 de la loi organique des CPAS.

Elle introduit, dès lors, un recours, demandant à titre principal la condamnation du CPAS au paiement de cette aide sociale et à titre subsidiaire qu’il soit dire pour droit que son fils, de nationalité belge, a droit à une aide sociale et que, en sa qualité de représentante légale de ce fils, elle peut bénéficier de celle-ci.

La position du tribunal

Le tribunal procède, d’abord, à un rappel des principes, reprenant l’énoncé de l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 organique des CPAS. Citant de nombreuses décisions rendues par la 15e chambre du tribunal du travail de Bruxelles, le tribunal considère que la qualité de parent d’un enfant belge fait obstacle à l’application de cet article 57, § 2. Cette position est d’ailleurs confirmée en doctrine, ainsi que le rappelle le tribunal (S. Gilson, « Le droit à l’aide sociale des étrangers auteurs d’enfants belges », JDJ, septembre 2006, n° 257, p. 13 ; H. Mormont, « Les étrangers et l’aide sociale dans la jurisprudence du Tribunal du travail de Bruxelles », Chron. Dr. Soc., 2003, p. 477 et 478).

Le fondement juridique de cette position est double.

D’une part, le refus d’autoriser la mère d’un enfant belge mineur en bas âge à séjourner avec lui empêcherait cet enfant de revendiquer le bénéfice des lois de l’Etat dont il a la nationalité et priverait ainsi d’effet utile son droit fondamental à celle-ci.

D’autre part, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde pose le principe du respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance et interdit l’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit, sauf si celle-ci est prévue par la loi - et dans les conditions que la Convention reprend. Cette disposition est d’effet direct en droit belge. Pour le tribunal, qui rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard (Cass., 19 septembre 1997, n° JC979J2), celle-ci doit primer le droit national. Il y a dès lors lieu d’écarter l’application de la loi belge si elle s’avère contraire à une disposition de droit international directement applicable.

Sur la portée de cet article 8, le tribunal rappelle qu’il ne se limite pas à l’interdiction de s’ingérer dans la vie familiale mais comporte également des obligations positives dans le chef des Etats, et ce afin de rendre effectif le droit protégé. De nombreuses références figurent ici sur l’étendue de cette obligation.

Il en conclut que refuser à une mère de nationalité étrangère le droit de séjourner en Belgique priverait celle-ci de son droit effectif à la vie privée et familiale avec son enfant, belge en bas âge et qu’il y aurait rupture de l’unité de la cellule familiale, ce que ne permet pas l’article 8 de la Convention.

En conséquence, l’intéressée ne peut être considérée comme séjournant illégalement sur le territoire belge au sens de la disposition litigieuse et l’aide sociale ne peut être limitée à l’aide médicale urgente. En ce qui concerne la nature du droit, le tribunal retient qu’elle bénéficie d’un droit propre à l’aide sociale. Ce droit propre est le droit le plus favorable auquel elle peut prétendre, en sa qualité de mère d’un enfant belge, plutôt qu’en qualité de représentante légale de cet enfant.

Par ailleurs, examinant la situation de fait, le tribunal va constater que l’état de besoin est établi et, chose importante, il va fixer la date de prise de cours de l’aide au jour de la demande faite au CPAS, c’est-à-dire depuis le 1er septembre 2007. Les motifs de cet octroi rétroactif sont d’une part que la procédure n’a subi aucun retard notable qui puisse être imputé à l’intéressée et, d’autre part, que dès lors que son enfant a la nationalité belge, le droit de Mme M. est incontestable : elle n’a pas à supporter les conséquences de difficultés administratives qui l’ont contrainte à faire valoir ses droits en justice.

Le tribunal ne va toutefois pas faire droit à la demande d’intérêts sur l’aide sociale, considérant que Mme M. n’établit pas en quoi ceux-ci seraient nécessaires pour lui permettre de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Intérêt de la décision

Cette décision est importante, en cette matière, puisqu’elle aboutit à écarter l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 dans l’hypothèse visée, étant celle d’un parent de nationalité étrangère mais dont l’enfant a la nationalité belge, et ce au motif du droit fondamental à la nationalité, ainsi qu’au respect des garanties contenues dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le jugement présente un deuxième point d’intérêt, étant la rétroactivité de l’aide sociale à la date de la demande, vu les conditions de l’espèce.


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