Terralaboris asbl

Plainte en harcèlement moral (non fondée mais non abusive) et résolution judiciaire aux torts de l’employeur

Commentaire de Trib. trav. Huy, 12 novembre 2007, R.G. 63.295

Mis en ligne le vendredi 8 août 2008


Tribunal du travail de Huy, 12 novembre 2007, R.G. n° 63.295

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un jugement du 12 novembre 2007, le Tribunal du travail de Huy statue sur la demande en résolution judiciaire formée par une travailleuse qui se plaint de harcèlement. Se fondant sur le rapport du conseiller en prévention, qui ne reconnaît pas l’existence d’un harcèlement mais considère fondées les doléances de l’intéressée, le Tribunal reconnaît l’existence de manquements dans le chef de l’employeur, autorisant la résolution du contrat.

Les faits

Mme S. est occupé en qualité d’infirmière sociale au sein d’un service de promotion de la santé à l’école.

Au fur et à mesure, elle est chargée d’une série de missions à caractère managérial (information au C.A., organisation du travail, gestion, …). En l’absence de toute règle claire quant au fonctionnement de la structure de pouvoir au sein de l’asbl, un conflit se déclenche entre Mme S. et Mme B., secrétaire du C.A.

Vivant très difficilement la situation de conflit, Mme S. finit par adresser, au service externe de prévention et protection, une plainte pour harcèlement moral (plainte déposée le 11 juin 2006).

Elle introduit ensuite une procédure devant les juridictions du travail, en vue d’obtenir, à titre principal, la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l’asbl, de même que sa condamnation à 82.000 € de dommages et intérêts (vu la résolution) et 10.000 € de dommages et intérêts pour préjudice moral et/ou psychologique. A titre subsidiaire, elle demande que l’employeur soit condamné à remplir les obligations imposées par la loi du 4 août 1996, ainsi qu’à des dommages et intérêts (10.000 € pour préjudice moral et/ou psychologique). Elle demande en outre la condamnation de l’Asbl au paiement de 2.500 € au titre de frais de défense.

Dans le cadre de la plainte, le conseiller en prévention externe rédige un rapport le 7 mars 2007, dans lequel il expose que la situation vécue par Mme S. est la conséquence de la structure d’organisation de l’asbl et que, s’il n’a pas relevé d’éléments caractéristiques de harcèlement moral, la détresse de Mme S. est réelle, encore renforcée par l’absence de réponse claire à ses demandes.

Il suggère de négocier le départ de Mme S. et formule des recommandations pour un fonctionnement plus harmonieux de l’asbl.

A ce moment, Mme S. est en incapacité de travail.

Le 8 mars 2007, Mme S. introduit une procédure en référé et obtient, le 26 mars, une ordonnance, condamnant l’asbl à s’abstenir d’empêcher le conseiller en prévention de mener la procédure interne, à prendre les mesures appropriées visées à l’article 32 quater (de la loi du 4 août 1996) et à prendre les mesures nécessaires pour la promotion du bien-être (notamment la planification de la prévention et la mise en place d’une politique de bien-être qui tient compte de l’organisation du travail, des conditions de vie au travail, des facteurs sociaux et des facteurs ambiants au travail).

A cette suite, le conseiller en prévention rédige, le 30 avril 2007, un rapport complémentaire. Il note que Mme S. a repris le travail (suite à une décision d’aptitude du médecin conseil de la mutuelle) le 16 avril et que, au sujet de cette reprise, les avis employeur/travailleur divergent (l’employeur estimant avoir fait le nécessaire pour permettre la reprise alors que Mme S. se plaint que son retour n’a été ni annoncé, ni préparé, de sorte qu’aucune instruction de travail n’a été prévue, qu’un huissier est venu sur place constater sa présence, ainsi que l’ambiance au travail, qualifiée de « plombée »).

Le conseiller en prévention estime qu’une conciliation est impossible, vu, essentiellement l’attitude de l’asbl (non préparation de la reprise du travail, intervention d’huissier lors de celle-ci, recours à des témoins « à charge » contre Mme S., cristallisant le problème autour de sa personne). Pour lui, seul un départ, d’urgence et sans prestation de préavis, de Mme S. doit être envisagé, ainsi que des mesures pour éviter ce type de problèmes à l’avenir.

L’affaire au fond est plaidée le 8 octobre 2007.

La décision du tribunal

Le Tribunal se prononce sur la résolution judiciaire du contrat. Il rappelle que ce type de rupture ne peut être accordé qu’en cas de manquement suffisamment grave aux obligations contractuelles d’une partie. Il relève que tel est le cas lorsque des manquements plus anodins créent un climat professionnel insupportable ou lorsque le travailleur ne peut plus exercer sa fonction de manière adéquate et suffisante.

En l’espèce, le Tribunal relève l’existence de manquements dans le chef de l’employeur :

  • modifications apportées aux conditions de travail, qui rendent celui-ci non convenable pour le bien-être de Mme S ;
  • entrave dans l’accomplissement de la mission du conseiller en prévention, privant Mme S. de la procédure interne (dont de la possibilité de conciliation, que l’employeur a rendue impossible).

Le Tribunal relève qu’il s’agit de manquements aux obligations consacrées par les articles 20 de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail ainsi que 3 et 4 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs pendant l’exécution de leur travail. Quoique ces obligations soient qualifiées d’obligations de moyen, leur non respect est jugé comme suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat. Le Tribunal se fonde à cet égard sur les modifications apportées aux conditions de travail, qui les rendent « non convenables » pour la santé et le bien-être de Mme S.

Le Tribunal rappelle ensuite que, pour obtenir des dommages et intérêts dans le cadre de la résolution judiciaire, il appartient à Mme S. de prouver l’existence d’un dommage, ainsi que son ampleur. Quoiqu’il relève l’absence d’automatisme sur cette question, il évalue en l’espèce le préjudice subi par référence au montant de l’indemnité compensatoire de préavis qui aurait pu être allouée.

Quant aux dommages et intérêts pour préjudice moral ou psychologique, le Tribunal estime que la preuve de celui-ci n’est pas démontrée par les pièces du dossier.

Il alloue par ailleurs les frais de défense, vu l’absence de contestation de l’asbl sur la question.

Intérêt de la décision

Le Tribunal confirme, par cette décision, qu’une situation de conflit interne, qui ne rentre cependant pas dans la notion de harcèlement, peut servir de base à une résolution judiciaire du contrat de travail. Notons que la faute de l’employeur résulte, au travers de la décision, essentiellement du fait de ne pas avoir permis l’application de la loi (dont essentiellement la conciliation).

(N.B. : Il y a appel de cette décision)


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be