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Ouvrier-mécanicien : quelle catégorie salariale retenir et selon quel moyen de preuve ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 17 janvier 2008, R.G. 7.233/07 et 16.298/06

Mis en ligne le vendredi 8 août 2008


Tribunal du travail de Bruxelles, 17 janvier 2008, R.G. n° 7.233/07 et 16.298/06

TERRA LABORIS ASBL - Sophie REMOUCHAMPS

Classification professionnelle dans le secteur des garages : Quelle catégorie salariale retenir et selon quel moyen de preuve ?

Dans un jugement du 17 janvier 2008, le Tribunal du travail de Bruxelles statue sur la catégorie professionnelle applicable à un mécanicien dans un garage automobile. Se fondant sur la fonction contractuellement convenue (mécanicien), la formation et l’expérience de l’intéressé, de même que le motif de licenciement inscrit sur le formulaire C4, il retient la catégorie D, au travers d’un raisonnement fouillé.

Les faits

Monsieur K., titulaire d’un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur technique (mécanique des moteurs), est engagé par un concessionnaire Skoda, entreprise relevant de la commission paritaire n° 112. L’engagement est réalisé en qualité de mécanicien, fonction reprise sur l’ensemble des documents sociaux.

A ce moment, il pouvait justifier d’une expérience professionnelle de 5 ans auprès d’un autre employeur, pour le compte duquel il réalisait des travaux de mécanique en toute autonomie.

Il est licencié en septembre 2002, l’employeur mentionnant, sur le formulaire C4, que le chômage se justifie par une autonomie et une qualification insuffisante vu l’évolution des technologies et les exigences du fabricant.

Plus d’un an après la fin du contrat, Monsieur K. introduit une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles, afin d’obtenir la condamnation de son employeur au paiement de dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait du non paiement de sa rémunération conformément aux barèmes sectoriels. Il fait valoir que sa rémunération a été, pendant toute la durée du contrat, inférieure aux barèmes applicables à la catégorie professionnelle D, sa rémunération se situant entre les minima prévus pour la catégorie B et la C.

L’employeur faisant défaut, un premier jugement est rendu (R.G. 16.298/06), faisant droit à la demande. L’employeur fait alors opposition.

La position des parties

L’employeur contesta la demande, faisant valoir que l’intéressé exécutait des travaux relevant de la catégorie B, dès lors qu’il s’agissait de tâches simples et répétitives (de maintenance), réalisées sous une surveillance constante. Au titre de preuve, il faisait valoir une attestation écrite d’un ancien collègue de Monsieur K, toujours en service.

Monsieur K. soutenait quant à lui qu’il avait effectué tous travaux mécaniques (sauf ceux de pointe, réservés au second ouvrier, plus qualifié), en toute autonomie et sans surveillance, dès lors que l’autre ouvrier était lui-même occupé sur d’autres véhicules et que le « chef d’atelier » ne prestait pas dans l’atelier. Il contestait par ailleurs l’attestation de l’ouvrier déposée par l’employeur, vu l’existence du lien de subordination et certaines incohérences dans celle-ci. Il faisait également valoir que la catégorie B concerne l’aide-mécanicien, alors que le contrat de travail et l’ensemble des documents sociaux mentionnent comme fonction celle de mécanicien. A titre subsidiaire, il demandait l’application de la catégorie C., catégorie pour laquelle l’autonomie n’est pas requise.

La décision du tribunal

Le Tribunal relève tout d’abord que c’est à Monsieur K. de prouver qu’il relevait effectivement de la catégorie D (articles 1315 C.C. et 870 C.J.).

Au travers de l’examen des éléments du dossier, le Tribunal considère que Monsieur K. prouve que sa fonction relève de la catégorie D.

Le Tribunal raisonne par étape, la première étant d’exclure la catégorie B.

Pour ce faire, il relève les deux éléments suivants :

  • En contravention avec l’obligation prévue par la C.C.T. de secteur, la catégorie n’a pas été mentionnée sur la fiche de paie, seule la mention « 02 » s’y trouvant (de même que la fonction : mécanicien). Pour le Tribunal, cette mention est insuffisante et, à tout le moins renvoie à la catégorie C et non B ;
  • Le contrat de travail de même que les fiches de paie indiquent comme fonction celle de mécanicien, notion qui ne se retrouve pas dans les descriptifs des catégories C, D et E et dans ceux de la catégorie B., laquelle évoque « l’aide-mécanicien ».

Le Tribunal tire ensuite trois conclusions de ces éléments de fait, étant que (1) l’employeur ne peut rapporter la preuve que Monsieur K. était aide-mécanicien qu’en déposant un avenant au contrat de travail, remplaçant la fonction initiale de mécanicien (art. 1341 C.C.), document qui n’existe pas. Par ailleurs, (2) si l’employeur a décidé d’occuper le travailleur dans une catégorie inférieure à la fonction contractuellement prévue, il ne peut se prévaloir de cette circonstance (équivalente pour le Tribunal à une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat) pour lui payer un salaire inférieur, le Tribunal précisant que l’acceptation du salaire horaire lors de l’engagement, de même que l’absence de protestation en cours de contrat ne vaut « en aucun cas » renonciation aux droits conférés par la catégorie barémique dont relève la fonction. Enfin (3), même à supposer inapplicable l’article 1341 C.C., l’employeur ne prouve pas ses allégations quant à la simplicité des tâches, l’attestation du travailleur encore sous contrat étant écartée du fait du lien de subordination.

La catégorie B. étant exclue, le Tribunal souligne que la fonction « mécanicien » ne permet pas de dégager la catégorie supérieure applicable (C., D. ou E), dès lors qu’elles y font toutes référence.

La catégorie E n’étant pas alléguée, le Tribunal poursuit en dégageant, au travers des définitions données par la C.C.T. de secteur, des critères de distinction entre la catégorie C et la D, étant que cette dernière requiert, d’une part, une autonomie dans le chef du travailleur et, d’autre part, une plus grande capacité professionnelle, se fondant sur une formation et une expérience professionnelles d’une certaine durée.

Le Tribunal examine alors si ces deux critères sont réunis. Il tient pour établie l’autonomie, dès lors que Monsieur K. prouve avoir travaillé par le passé (chez l’employeur précédent) d’une manière autonome et que le motif du chômage indiqué sur le formulaire C4 témoigne de ce qu’une autonomie était exigée et effectuée, l’insuffisance pointée découlant d’éléments nouveaux (évolution technologique). Quant à la capacité professionnelle, le Tribunal se fonde sur le diplôme de l’intéressé, le passé professionnel (5 ans) et le travail – en autonomie – effectué chez l’employeur.

Le Tribunal fait dès lors droit à la demande de dommages et intérêts formée par l’intéressé, considérant que le non paiement du salaire conformément aux dispositions d’une C.C.T. constitue une infraction, elle-même constitutive de faute au sens de l’article 1382 C.C.. Il retient que le dommage est la différence entre la rémunération qui aurait dû être payée et celle qui l’a été. Il alloue également, au titre de réparation du dommage, l’équivalent des intérêts légaux, courant à dater de l’exigibilité des rémunérations.

Intérêt de la décision

L’on sait que la détermination de la catégorie salariale applicable n’est pas chose aisée, vu le caractère parfois assez général des définitions données au sein de certains secteurs. La décision annotée contient de précieuses indications pour ce qui du secteur des garages (CP 112), mais ce n’est pas – loin s’en faut – le seul intérêt de celle-ci.

Le raisonnement au travers duquel le Tribunal détermine la catégorie applicable mérite d’être souligné : il exclut la catégorie alléguée par l’employeur puis examine, en dégageant des critères distinctifs, les autres catégories.

Par ailleurs, les éléments sur lesquels se fonde le Tribunal au titre d’éléments de preuve ne manquent pas d’intérêt. L’on peut ainsi relever la pleine mesure donnée à la fonction contractuelle. Notons qu’ici, elle jouait en faveur de l’intéressé puisque l’employeur soutenait avoir occupé le travailleur dans une fonction inférieure à celle convenue (en estimant que la fonction relevait de la catégorie B, l’employeur soutenait en effet avoir occupé l’intéressé comme aide-mécanicien et non comme mécanicien).

Relevons encore les considérations sur le silence pendant l’exécution du contrat (absence de protestation quant au salaire perçu), retenu comme indifférent (et ne valant pas renonciation), de même que le rejet de l’attestation d’un des préposés de l’employeur, du fait du lien de subordination.


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