Terralaboris asbl

Réparation d’une maladie hors liste : preuve dans le chef du demandeur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mai 2007, R.G. 48.759

Mis en ligne le jeudi 31 juillet 2008


Cour du travail de Bruxelles, 14 mai 2007, R.G. n° 48.759

TERRA LABORIS ASBL – Sandra Cala

Dans un arrêt du 14 mai 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé les principes d’indemnisation, dans un cas de demande de réparation, dans le chef d’une employée à fonctions diverses successives, atteinte d’une rupture de la coiffe des rotateurs.

Les faits

Le Fonds des maladies professionnelles fut saisi en décembre 2002 d’une demande d’une assurée sociale de réparation, dans le cadre des maladies hors liste, pour la pathologie de « rupture de la coiffe des rotateurs gauches ».

L’intéressée, née en 1955, eut une activité professionnelle entre 1974 et 2002, époque à laquelle elle fut en incapacité de travail pour maladie. Elle demanda réparation dans le système hors liste, ayant exercé une série de fonctions différentes, en tant qu’employée, pour des employeurs successifs : téléphoniste, réceptionniste, secrétaire, assistante, … fonctions dont certaines avaient impliqué un travail stressant exigeant entre autres de coincer le téléphone entre l’épaule et l’oreille pour travailler en même temps sur écran.

Le FMP rejeta cette demande, au motif qu’il n’apparaissait pas que la maladie en raison de laquelle la réparation était demandée trouvait sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Les parties comparurent volontairement devant le tribunal du travail de Nivelles.

La position du tribunal

Le tribunal désigna un expert médecin, l’invitant à faire appel si nécessaire à tout spécialiste (notamment un ergologue), quant à la question spécifique de l’exposition au risque, et ce eu égard aux environnements successifs de travail.

L’expert considéra dans son rapport qu’il y avait effectivement rupture bilatérale de la coiffe des rotateurs des deux épaules mais que cette affection ne trouvait pas sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Le tribunal entérina ce rapport, l’estimant complet, clair et circonstancié.

La position des parties en appel

L’intéressée forma appel, se fondant essentiellement sur une abondante littérature médicale relative aux troubles musculo-squelettiques (TMS) d’une part et à ses conditions de travail (posture, gestes répétitifs, efforts de visualisation) de l’autre. Elle considérait que la maladie dont elle souffrait rentrait dans le cadre de ces TMS, troubles dont les facteurs essentiels de risque sont biomécaniques et psychosociaux. Elle sollicitait un complément d’expertise dans ces domaines.

Pour le FMP, les opérations d’expertise avaient été complètes, l’expert s’étant attaché à analyser dans le détail le complexe des mouvements présentés par l’intéressée comme étant à l’origine de sa pathologie.

La position de la Cour

La Cour rappela les principes d’indemnisation repris dans l’article 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970, étant que donne lieu à réparation la maladie qui ne figure pas sur la liste visée à l’article 30 mais qui trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. Dans cette hypothèse, la victime (ou ses ayants droit) ont la charge de prouver le lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque professionnel de celle-ci. Cette preuve de l’exposition au risque professionnel doit couvrir les périodes pendant laquelle la victime tombe dans le champ d’application de la loi.

Il y a dès lors lieu, pour la victime, de prouver (i) qu’elle est atteinte de la maladie hors liste dont elle décrit la pathologie ; (ii) qu’elle a subi une exposition au risque professionnel de celle-ci ; (iii) que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession.

Par ailleurs, pour la Cour de cassation il ne ressort pas des travaux parlementaires que les termes « déterminante et directe » impliquent que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie. Il s’agit d’un important arrêt de la Cour suprême du 2 février 1998 (Pas., 1998, I, 58).

La Cour en conclut, reprenant de la jurisprudence de fond, que certaines pathologies donnant lieu à réparation peuvent donc n’être provoquées que partiellement par le travail et précisa que les pathologies qui ne sont pas encore bien connues dans leurs causes et dans leurs effets peuvent être indemnisées par le régime des maladies professionnelles s’il apparaît que la profession a joué un rôle bien défini – même non exclusif – dans leur apparition. C’est donc le lien de causalité entre la pathologie et l’activité professionnelle qui permet de reconnaître la maladie professionnelle. Il s’agit d’une question exclusivement juridique, qui relève de l’interprétation du juge, éclairé par une expertise judiciaire. En ce qui concerne le rôle de l’expert il est, pour la Cour, de constater que le travailleur est atteint de la maladie et de donner son avis sur la cause qui l’a provoquée.

En l’espèce, la Cour va constater que la conclusion du rapport d’expertise ne répond pas de manière satisfaisante à la mission, qu’il y a certaines lacunes et incohérences dans celui-ci, certaines observations – élevées par l’expert lui-même – ne rencontrant par ailleurs aucune investigation et restant sans réponse. Des constatations de l’expert, la Cour considère qu’il semble résulter que la cause de la maladie serait, au moins partiellement, professionnelle. Les conclusions d’expertise apparaissant en contradiction avec les constatations médicales qui reconnaissent au moins une relation partielle entre la maladie et l’activité professionnelle, la Cour s’interroge sur les conclusions qui lui sont proposées.

En ce qui concerne l’examen ergologique auquel il a été procédé, elle relève qu’il y a impossibilité de procéder à une analyse de risques sur le lieu de travail, l’intéressée ne travaillant plus. Les considérations du rapport étant par ailleurs jugées comme totalement non contributives, la Cour constate qu’il n’est toujours pas répondu à la question posée, étant de savoir si la maladie dont souffre l’intéressée est médicalement caractérisée par l’activité professionnelle qui fut la sienne.

Avant de suivre la demanderesse, qui souhaite un complément d’expertise en biomécanique, la Cour souhaite entendre la position du FMP, qui n’a pas pris position sur les éléments invoqués à cet égard. Il y a dès lors réouverture des débats.

Intérêt de la décision

La question de la réparation d’une maladie professionnelle dans le cadre de l’article 30bis est souvent délicate, d’autant que la charge de la preuve, dans le chef de la victime, est lourde. Celle-ci est généralement accentuée vu que, ainsi que la Cour le relève, il existe des pathologies qui ne sont pas encore bien connues dans leurs causes et dans leurs effets et que seuls des examens poussés, strictement médicaux, sont nécessaires pour les identifier. L’on notera que le Fonds, resté muet sur la question, est expressément invité par la Cour à donner sa position afin qu’il puisse être statué.


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