Terralaboris asbl

Le non paiement du supplément d’allocations familiales au bénéfice des enfants d’un chômeur complet non indemnisé est-il contraire à la Constitution ?

Commentaire de C. trav. Liège, 26 novembre 2007, R.G. 34.257/06

Mis en ligne le mardi 29 juillet 2008


Cour du travail de Liège, 26 novembre 2007, R.G. n° 34.257/06

Asbl Terra Laboris - Mireille Jourdan

Dans un arrêt très fouillé du 26 novembre 2007, la Cour du travail de Liège a posé une question à la Cour constitutionnelle sur la différence de traitement réservée par les lois coordonnées le 19 décembre 1939 aux enfants des chômeurs complets indemnisés ou non indemnisés.

Les faits

La mère de deux enfants mineurs percevait, en sa qualité d’allocataire, les allocations familiales pour ceux-ci, allocations qui incluaient le supplément prévu par l’article 42bis de lois coordonnées, et ce vu la situation du père, ancien compagnon de la mère, qui se trouvait en chômage complet indemnisé depuis plus de six mois.

L’O.N.A.F.T.S. constata par courrier du 12 octobre 2004 que l’attributaire n’était plus indemnisé depuis juillet 2004 et, de ce fait, il supprima le supplément à partir du mois d’octobre 2004 (respectant ainsi le principe de la trimestrialisation des paiements).

Les faits se complexifièrent, du fait de nouveaux changements dans le statut de l’attributaire.

La mère déposa en fin de compte une requête, le 11 avril 2005, contestant la décision de l’O.N.A.F.T.S. Elle sollicitait le paiement du supplément visé à l’article 42bis, alinéa 1er.

La position du tribunal

Le tribunal débouta la demanderesse, au simple motif de l’application de l’article 42bis.

La position des parties en appel

Sur la période litigieuse, l’intéressée invoquait divers arguments, s’interrogeant notamment sur la raison pour laquelle le montant des allocations familiales devait varier en fonction du statut de l’attributaire alors que les ressources de la personne qui assurait l’hébergement des enfants ne variait pas. Elle faisait ensuite une comparaison avec la loi du 20 juillet 1971, qui généralise l’octroi du supplément prévu par l’article 42bis, alors que les lois coordonnées en limitent l’octroi. Enfin, elle relevait une contrariété entre la disposition en cause et les articles 10 et 11 de la Constitution. L’article 42bis, alinéa 1er des lois coordonnées requérant l’indemnisation dans le chef de l’attributaire créait, selon elle, une discrimination non raisonnablement justifiée au préjudice des enfants des chômeurs complets non indemnisés, puisqu’ils ne bénéficiaient pas du supplément d’allocations réservé aux enfants des chômeurs complets indemnisés à partir du 7e mois de chômage.

L’O.N.A.F.T.S. sollicitait la confirmation du jugement.

La position de la Cour

La Cour va rencontrer les deux premiers arguments de l’appelante, signalant d’une part que, si le montant des allocations familiales varie en fonction du statut de l’attributaire, c’est un choix légitime du législateur, le travailleur attributaire étant le pivot de ce régime et constatant, d’autre part, avec le premier juge d’ailleurs, que les deux systèmes (lois coordonnées le 19 décembre 1939 et loi du 20 juillet 1971) ne peuvent être comparés. Le régime d’allocations familiales pour travailleurs salariés est en relation avec l’exercice d’une activité salariée et les allocations s’ajoutent aux revenus du travailleur, quel que soit le montant de ceux-ci. Par contre, l’autre régime est subsidiaire et sans rapport avec l’exercice d’une activité professionnelle. Une enquête sur les ressources est effectuée préalablement à l’octroi des prestations familiales garanties et celles-ci visent à compenser une insuffisance de ressources pour faire face aux frais d’entretien et d’éducation.

C’est, cependant, sur le troisième argument de l’appelante que la Cour se penche plus longuement. Rappelant que les règles de l’égalité et de non discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement puisse être établie entre des catégories de personnes pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée, la Cour recherche alors si les conditions légales étaient réunies.

Pour elle, c’est un critère objectif qui sépare en deux catégories les enfants bénéficiaires des chômeurs complets : l’octroi ou non des allocations de chômage à leur père attributaire. Peu importe, comme le relève la Cour, les situations diverses dans lesquelles peuvent se trouver les chômeurs non indemnisés (en attente de l’ouverture du droit, sanctions, renonciation à l’indemnisation – ainsi le cas du chômeur qui accepte de travailler à temps réduit pour échapper au chômage).

La Cour se pose cependant la question de savoir si cette limitation de l’avantage aux enfants des chômeurs complets indemnisés est raisonnablement justifiée. Elle retrace l’historique de l’élaboration du texte légal et relève que l’article 42bis a été introduit par un arrêté royal du 30 décembre 1982 portant redistribution des allocations familiales dans le régime d’allocations familiales pour travailleurs salariés (A.R. n° 131) ; dans ce texte, les enfants bénéficiaient à partir du 7e mois de chômage d’allocations familiales ordinaires d’un montant plus élevé que celui fixé par l’article 40. Ce système a été revu par la loi programme du 22 décembre 1989 qui a introduit, en remplacement, l’octroi d’un supplément aux allocations prévues par cet article 40 mais les travaux préparatoires ne sont, pour la Cour, d’aucun secours.

Relevant que le tribunal avait, pour sa part, souligné que le supplément avait été octroyé « dans le cadre de la lutte contre la pauvreté », la Cour considère qu’il est permis de penser que la situation des chômeurs complets non indemnisés est en principe au moins aussi précaire que celle de ceux qui le sont.

Elle considère dès lors ne pas pouvoir dire que l’article 42bis viole ou non les articles 10 et 11 de la Constitution et décide de poser une question à la Cour constitutionnelle.

Sa position est d’autant plus renforcée que la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 prévoit que dans les décisions qui concernent les enfants, c’est toujours l’intérêt supérieur de ceux-ci qui doit être une considération primordiale. Plus particulièrement, en ce qui concerne les prestations sociales dont ils bénéficient, l’article 26.2. de la Convention dispose qu’elles doivent être accordées compte tenu des ressources et de la situation de l’enfant et des personnes responsables de son entretien. Les Etats parties à la convention doivent, en outre, en vertu de l’article 27.2. adopter les mesures appropriées pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre le droit assuré par la Convention à un niveau de vie suffisant pour garantir à l’enfant son développement physique, mental, spirituel, moral et social.

Comme l’a relevé la Cour de cassation (Cass., 4 nov. 1999, Pas., 1999, n° 588 et n° 589), si ces dispositions n’ont pas d’effet direct dans l’ordre juridique des Etats parties, elles peuvent néanmoins être utiles pour l’interprétation de textes normatifs nationaux.

La Cour conclut que l’article 42bis pourrait être lu en relation avec les articles précités de la Convention de New York.

Intérêt de la décision

L’intérêt de l’arrêt annoté est évident : s’il est exact que le régime des allocations familiales pour travailleurs salariés a comme pivot l’attributaire, il s’explique difficilement que l’allocation familiale, qui revient à l’enfant, soit affectée par une modification de la situation administrative de cet attributaire dans la réglementation chômage. L’Arrêt de la Cour constitutionnelle est donc très attendu.


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