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Des commentaires mis sur Facebook peuvent-ils être interprétés comme valant démission ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 16 mai 2024, R.G. 23/1.588/A

Mis en ligne le mercredi 4 septembre 2024


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 16 mai 2024, R.G. 23/1.588/A

Terra Laboris

Un jugement du tribunal du travail de Liège du 16 mai 2024 rappelle que si le congé, étant une démission en l’espèce, n’est pas soumis à des exigences de forme, il suppose une manifestation de volonté claire et sans équivoque dans le chef de son auteur et que celle-ci doit être exprimée envers son destinataire et non des tiers.

Les faits

Une société exploitant des centres de bronzage avait engagé une ouvrière dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en mars 2009.

Elle tomba en incapacité de travail à partir du 29 avril 2022.

En octobre de la même année, toujours en incapacité, celle-ci fit paraître une publicité sur son profil Facebook pour un autre solarium, ce qui entraîna des réactions d’amies, quant à son contrat chez son employeur.

Celle-ci répondit ne plus être dans la société depuis la fin du mois d’avril.

D’autres échanges intervinrent sur le sujet.

Le 10 novembre, le responsable de la société lui adressa un courrier recommandé reprenant ces éléments et précisant qu’elle y exprimait clairement et sans interprétation possible qu’elle ne travaillait plus et ne souhaitait d’ailleurs plus le faire. Il précisait que « (ses) propos sont interprétés par une volonté immédiate… de mettre fin au contrat de travail … ». Il ajoutait que l’indemnité de rupture relative à la démission serait calculée par le secrétariat social et que les documents de fin de contrat lui seraient envoyés au plus tôt.

L’employeur précisait en outre que, vu la publicité faite pour un centre de bronzage concurrent, ceci constituait une faute grave et qu’à supposer qu’elle s’oppose à sa démission, « … automatiquement la faute grave sera invoquée afin de mettre fin au contrat ».

Le C4 qui fut envoyé fait état d’un abandon volontaire de travail.

Le 18 novembre 2022, un nouveau courrier lui fut adressée réclamant une indemnité de 13 semaines de rémunération brute, soit 4 838,25 €, somme à verser sur un compte indiqué.

La travailleuse réagit via son organisation syndicale, contestant avoir manifesté sa volonté de démissionner par les propos écrits sur Facebook et devoir une indemnité de rupture.

Elle introduisit ensuite une demande de condamnation de la société à une indemnité de rupture de 12 374,12 €, montant provisionnel.

Dans le cours de la procédure, la société forma une demande reconventionnelle en paiement de l’indemnité de démission.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse conteste l’abandon de poste. Elle dépose des éléments relatifs à l’incapacité de travail et à la réaction de son employeur (réaction présentée comme intimidante et comprise comme une menace de licenciement pour motif grave).

Elle explique les propos apparus sur Facebook comme signifiant qu’elle ne travaillait plus depuis fin avril parce qu’en incapacité de travail, propos dont elle relève d’ailleurs qu’ils ne sont pas datés. Elle conteste avoir exprimé de manière certaine et sans équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Pour elle, la rupture est intervenue le 10 novembre 2002, son employeur l’ayant licenciée ce jour.

La société considère qu’il y a une expression certaine et définitive de la démission et que, la travailleuse n’ayant pas presté son préavis, l’indemnité est due.

La société conteste également les griefs adressés à l’administrateur ainsi que le licenciement.

La décision du tribunal

Le tribunal renvoie, dans le cadre du rappel des principes applicables, à l’article 32, 3°, de la loi du 3 juillet 1978. Celui-ci prévoit que le contrat prend fin par la volonté de l’une des parties lorsqu’il est conclu à durée indéterminée ou qu’il existe un motif grave de rupture.

La définition du congé a été donnée par la Cour de cassation dans de nombreux arrêts, que la cour reprend (dont Cass., 4 mars 2019, Chron. Dr. soc., 2021, p.437), étant qu’il s’agit de l’acte par lequel une partie notifie à l’autre qu’elle entend que le contrat de travail prenne fin.

Le tribunal rappelle également que le congé, qui est un acte unilatéral, n’est soumis à aucune exigence de forme. En ce qui concerne l’extériorisation de la volonté de mettre fin au contrat de travail, sa notification peut se faire oralement, par écrit ou implicitement, le tribunal renvoyant ici au même arrêt de la Cour de cassation du 4 mars 2019.

Il précise qu’il faut une manifestation de la volonté pleine de mettre fin au contrat de travail.

En cas de démission, il ne suffit pas par exemple que celle-ci soit donnée dans un contexte de grande excitation où l’on ne tient pas compte des conséquences des déclarations que l’on fait.

La volonté doit exister sans équivoque, la démission « ne se présumant pas ».

À défaut d’une manifestation certaine et non équivoque de celle-ci, la démission doit être tenue juridiquement pour inexistante.

Si l’employeur se prévaut de cet acte juridique et refuse au travailleur le droit d’exécuter son contrat au motif qu’il a démissionné, il devient l’auteur d’un licenciement.

Le tribunal renvoie également un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 14 septembre 2005 (C. trav. Anvers, 14 septembre 2005, Chron. Dr. soc., 2007, page 185), qui a jugé que les déclarations faites par le travailleur uniquement à l’égard de tiers sans intention de les porter à la connaissance de l’employeur ne peuvent être qualifiées de congé.

En l’espèce, les conditions d’existence d’un congé valable ne sont pas remplies, vu que les propos en cause ne constituent pas une manifestation certaine et sans équivoque de la volonté de l’intéressée de démissionner. Il s’agit de déclarations faites dans le cadre d’une conversation amicale avec des tiers à la relation de travail. L’employeur en a fait une interprétation erronée.

Il examine également les échanges de courriels intervenus pendant le congé de maladie et trouve dans un message de l’employeur confirmation de ce que ce dernier cherchait à licencier l’intéressée sans devoir lui payer d’indemnité.

Enfin, d’un message adressé par l’administrateur lui-même sur le compte Facebook, il se confirme que la volonté de démissionner n’était pas certaine mais que c’est l’employeur qui a interprété les propos de l’intéressée dans ce sens.

Le tribunal fait dès lors droit à la demande originaire et déboute la société de sa demande reconventionnelle.

Intérêt de la décision

Dans le jugement commenté, le tribunal du travail de Liège insiste sur deux points importants en matière de rupture du contrat de travail.
Le premier est relatif à l’exigence dans le chef de l’auteur de la rupture d’une manifestation de volonté claire et sans équivoque. Si le congé n’est pas soumis à des exigences particulières en matière de forme, la manifestation de la volonté doit être certaine. Ainsi, il a été jugé que si une démission peut être donnée verbalement, encore ne peut-on considérer qu’il y a eu démission que si les termes utilisés et le contexte permettent de considérer avec certitude que le travailleur a eu l’intention ferme de rompre. Tel n’est pas le cas lorsque les propos, émis par le travailleur sous le coup de l’émotion et de l’énervement, ont simplement consisté à annoncer que la société allait recevoir sa démission et n’ont, sur le moment, été suivis d’aucune mise en œuvre réelle (restitution de matériel, établissement immédiat des documents de sortie, ...) (Trib. trav. Liège (div. Liège), 20 décembre 2019, R.G. 19/571/A)

Le second point d’intérêt est qu’il s’agit d’un acte réceptice, étant que, pour être valable, la volonté de rompre doit être portée à la connaissance du cocontractant. Le tribunal a renvoyé sur cette question à un arrêt de la Cour du travail d’Anvers du 14 septembre 2005. Celui-ci a confirmé que, à défaut, le congé n’est pas valable et que des déclarations qui avaient été faites par un travailleur à des tiers sans intention d’en informer l’employeur ne peuvent valoir démission.


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