Terralaboris asbl

La responsabilité solidaire de la personne morale en cas de non paiement des cotisations par ses mandataires

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2007, R.G. 48.330

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2007, R.G. 48.330

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 29 juin 2007, la Cour du travail de Bruxelles tranche différentes questions quant à l’obligation de la personne morale de payer les cotisations non honorées de ses mandataires, qui devrait inciter les sociétés à la prudence, en vérifiant notamment la régularité des paiements.

Les faits

M. V. est fondateur et administrateur d’une SCRL. Il omet de payer ses cotisations au statut social des travailleurs indépendants du 4e trimestre 1986 au 4e trimestre 1990 (période pendant laquelle il est mandataire de la société).

Il est assigné le 16 mars 1992 par sa caisse sociale. Cette action, à laquelle la SCRL n’est pas partie – et dont elle n’a apparemment pas été informée – n’est pas diligentée mais reste inscrite au rôle du tribunal.

En 1997, M. V. cède ses parts à Mme X, qui les cède, en 1998, à MM. Y et Z. Aucune mention n’est faite de la dette sociale de M. V.

Ce n’est qu’en mai 1999 que la caisse sociale s’adresse à la SCRL, en sa qualité de débiteur solidaire des dettes sociales de son ancien mandataire. Vu l’absence de régularisation des cotisations impayées, la caisse sociale assigne la société, en septembre 2000.

M. V. décède en 2001.

Le premier juge, se fondant sur l’article 15 de l’A.R. n° 38 du 27 juillet 1967, fait droit à la demande de la caisse sociale.

La SCRL interjette appel, sollicitant, à titre subsidiaire, par ailleurs des dommages et intérêts fondés sur une faute de la caisse.

La position des parties

La SCRL invoque tout d’abord la non applicabilité de la disposition sur laquelle s’est fondé le premier Juge, estimant que l’action ne pouvait être introduite que pendant la période où l’indépendant en défaut était mandataire de la société. Elle fait par ailleurs valoir la prescription de l’action, contestant que la citation de 1992 dirigée exclusivement contre M. V. aurait pu interrompre la prescription. Elle invoque également un abus de droit dans le chef de la caisse sociale, vu l’écoulement du temps. Elle estime, enfin, que l’attitude de la caisse (inertie pendant des années) est contraire aux principes de bonne administration et à l’article 6 de la CEDH.

Quant à sa demande de dommages et intérêts, elle se fonde sur le comportement fautif de la caisse (inertie à agir), qui l’a privée de la possibilité de vérifier les montants dus par le mandataire ainsi que de se retourner contre le débiteur principal ou encore de « budgéter » la dette.

La caisse sociale conclut au non fondement des arguments. Quant au délai à agir, elle explique qu’elle ne s’est retournée contre la société qu’à partir du moment où l’insolvabilité du mandataire est devenue manifeste (l’intéressé émergeant, fin de l’année 1998, au CPAS).

La décision de la Cour

En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 15 de l’A.R. n° 38, la Cour relève que la condition alléguée par la société ne figure pas dans la loi. Pour la Cour, pour que la solidarité joue, il faut mais il suffit qu’un mandataire ait exercé un mandat au sein de la société et qu’il n’ait pas payé les cotisations afférentes à la période d’exercice de celui-ci.

Quant à la prescription, la Cour rejette l’argument, la citation à l’encontre du mandataire ayant interrompu la prescription à l’encontre de la société. La Cour se fonde sur les articles 2244, 2249 et 1206 du Code civil, de même que sur un arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2002 (RG S010012F). Cette interruption perdurant jusqu’à la prononciation d’un jugement ou d’un arrêt mettant fin à la procédure, la citation de 2000 est intervenue dans le délai de prescription.

Quant à la faute dans le chef de la caisse sociale, la Cour note qu’elle résiderait dans le délai mis à introduire la procédure contre la société (plus de 8 ans après l’action contre le mandataire, procédure d’ailleurs non diligentée). Pour la Cour, il n’y a pas de faute eu égard aux explications données par la caisse (attendre la confirmation de l’insolvabilité du débiteur principal). Le comportement est considéré comme normal et conforme à la mission légale des caisses sociales. La Cour, sans plus d’explication, estime qu’il n’y pas de violation de l’article 6 de la CEDH.

Quant au principe de bonne administration, la Cour relève qu’il ne peut faire obstacle à l’application de la loi (citant Cass., 29 novembre 2004).

Elle note par ailleurs qu’aucun dommage en lien causal avec une prétendue faute de la caisse sociale n’a été subi par la société elle-même, qui, quel que soit le moment de la citation, était redevable des cotisations. Elle s’appuie également sur la considération que la société aurait pu s’informer des dettes éventuelles de l’ancien mandataire au moment de la cession des parts. Elle rejette donc la demande de dommages et intérêts.

Intérêt de la décision

Cet arrêt démontre toute l’utilité que présente pour les personnes morales la vérification régulière du paiement des cotisations de sécurité sociale par leurs mandataires. Toute action contre ceux-ci interrompt la prescription, alors même que la société, vu les éventuels changements d’actionnaires (comme dans le cas d’espèce), peut ne pas être informée de la dette initiale.


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