Terralaboris asbl

Compétence du juge des référés pour ordonner le respect de procédure d’information et de consultation du Comité d’Entreprise Européen

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 6 décembre 2006, R.G. 73/06

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail Bruxelles (Référés), 6 décembre 2006, R.G. (réf.) 73/06

TERRA LABORIS ASBL – Mireille JOURDAN

Les faits

L’ensemble des demandeurs à la cause constitue des membres du comité d’entreprise européen d’une grande compagnie d’aviation.

Au sein de celle-ci, en application de la directive 94/45 du 22 septembre 1994, un comité d’entreprise a été institué en 1996 et a été renouvelé en 2005. La convention d’entreprise prévoit qu’en cas de transfert d’entreprise, le C.E.E. doit être informé à temps, aussi bien verbalement que par écrit, que toute l’infirmation pertinente doit lui être fournie et qu’il doit être tenu au courant des diverses phases du transfert.

Compétence a été donnée aux juridictions du travail belges afin de trancher tout conflit qui surviendrait.

Dans ce cadre, une information informelle est donnée début novembre 2006 d’une opération de restructuration transnationale, devant intervenir le 7 décembre 2006 et concernant le service clientèle de la société dans l’aéroport de Vienne (qui occupe 17 personnes).

La présidente du comité d’entreprise européen sollicite, dans ce contexte, de pouvoir se rendre sur le site de Vienne, afin de prendre contact avec les travailleurs concernés. La direction de l’entreprise l’accepte mais, une fois sur place, celle-ci se voit refuser l’accès au site et ne peut entrer en contact avec les travailleurs concernés.

Les sociétés du groupe communiquent, quelques jours plus tard, aux représentants du personnel les points à l’ordre du jour pour la réunion annuelle du comité d’entreprise européen, prévue pour le 30 novembre 2006.

La présidente du comité d’entreprise européen demande qu’un point soit ajouté à l’ordre du jour, concernant la question. Ceci est refusé au motif que le transfert d’entreprise du service clientèle de l’aéroport de Vienne ne serait pas une question d’intérêt transnational.

Lors de la réunion du comité d’entreprise européen du 30 novembre 2006, aucune procédure d’information et de consultation n’est dès lors initiée sur cette question.

Le lendemain, citation est lancée en référé.

L’objet de la demande

La demande introduite devant le président du tribunal siégeant en référé vise à entendre condamner les sociétés du groupe à initier les procédures d’information et de consultation de manière correcte et complète et de remplir leurs obligations découlant de la convention d’entreprise du 16 juin 2005, de la convention collective de travail n° 62 et de la directive européenne 94/45, s’entendre interdire que des décisions ne soient prises et/ou contraindre à suspendre les effets de celles qui l’auraient été, en ce qui concerne ce transfert d’entreprise tant que les procédures légales ne sont pas terminées.

Une astreinte de 25.000 euros par jour est également demandée.

La décision du président du tribunal du travail

Le président s’est reconnu compétent sur pied de l’article 578, 3° du code judiciaire, s’agissant d’un conflit individuel né de l’application de dispositions de droit collectif.

La président du tribunal rappelle que les procédures d’information, de consultation ou de concertation en matière de transfert d’entreprise constituent des dispositions normatives collectives

Sur sa compétence dans le cadre du référé, le président relève qu’il ressort de documents produits à l’audience que le transfert d’entreprise est prévu pour le jeudi 7 décembre 2006, de telle sorte que la condition d’urgence est remplie.

En l’espèce, les mesure sollicitées ont un caractère provisoire, vu qu’elles ne mettent pas en cause le transfert d’entreprise mais ont pour but d’entreprendre les procédures d’information et de consultation et de faire dire pour droit qu’aucune décision ne peut être prise avant que ceci ne soit fait.

Le président du tribunal retient même, vu la situation, que l’extrême urgence fonde sa compétence en référé.

Sur le fond, il rappelle que la législation applicable est la directive européenne 94/45/CE du conseil du 22 septembre 1994, transposée dans l’ordre juridique belge par la convention collective de travail n° 62 du 6 février 1996 et par la loi du 23 avril 1998, contenant des dispositions diverses relatives à l’institution d’un comité d’entreprise européen.

L’institution d’un tel organe, ainsi que d’une procédure d’information et de consultation des travailleurs doit être prévue dans chaque entreprise ou dans chaque groupe ayant une dimension communautaire. C’est en application de ces dispositions que deux conventions sont intervenues au sein des sociétés défenderesses.

Conformément à la convention en vigueur, le comité d’entreprise européen doit être informé préalablement et consulté lors de tout transfert d’entreprise qui peut avoir un impact sur les intérêts des travailleurs. Il relève que la convention détermine également ce qu’il faut entendre par « opération transnationale » à savoir qu’il doit s’agir d’un projet dépassant les frontières nationales et qui peuvent avoir un impact important sur les intérêts du personnel.

Le contenu de l’information est également prévu dans la convention, étant que l’information doit être communiquée à temps, aussi bien verbalement que par écrit, que la documentation pertinente doit être fournie et que le comité d’entreprise européen doit être tenu au courant, au cours des diverses phases de l’opération.

En l’espèce, il est démontré que les décisions projetées auront un impact dans plusieurs pays d’Europe, notamment au Royaume-Uni, celles-ci ayant d’ailleurs été prises au niveau de la direction européenne du groupe.

Le président en conclut, que dans ce contexte, l’absence d’information et de consultation du comité d’entreprise européen intervient en contradiction avec les dispositions de la convention d’entreprise du 16 juin 2005, de même qu’avec la convention collective du travail n° 62 et la directive européenne 94/45/CE.

Il relève que le droit à l’information et le droit de consultation constituent des droits fondamentaux.
En outre, la doctrine a relevé qu’une restructuration dans un pays déterminé peut avoir un caractère transnational, dans la mesure où la décision a été prise dans un autre état membre, donnant ainsi une définition de la notion.

En conséquence, il fait droit à la demande et condamne, par ailleurs, les sociétés du groupe à une astreinte de 2.500 euros par jour à dater de la signification de l’ordonnance à intervenir.

Intérêt de la décision

Il n’est pas fréquent de lire une décision de référé, statuant dans le cadre d’un transfert d’entreprise.

La décision rendue revêt un triple intérêt, étant

  1. La compétence des juridictions du travail dans ce type de litige, que le juge admet comme ayant un caractère collectif normatif et statuant sur des droits individuels nés de l’application de dispositions de droit collectif.
  2. La définition du caractère transnational d’un transfert d’entreprise, étant qu’il peut revêtir ce caractère dans la mesure où il est intervenu dans un autre état membre.
  3. Le fait de relever que le droit à l’information et à la consultation sont des droits fondamentaux, dont les travailleurs peuvent demander le respect, même dans le cadre d’un référé.

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