Terralaboris asbl

Harcèlement moral – Licenciement – Intention de licencier antérieure au dépôt de la plainte pour harcèlement moral

Commentaire de Trib. trav. Mons, 16 octobre 2006, R.G. 11.697/04/M

Mis en ligne le jeudi 27 mars 2008


Tribunal du travail de Mons, 16 octobre 2006, R.G. 11.697/04/M

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Seule la date du congé, et non l’intention de licencier, doit être prise en considération pour vérifier si ledit congé a été notifié durant la période de protection, en cas de dépôt d’une plainte pour harcèlement moral.

Les faits

Monsieur P.J., enseignant dans un établissement scolaire de l’enseignement libre subventionné, s’est vu confier à partir du 1er septembre 2001 la fonction de directeur, et ce comme membre du personnel temporaire.

Des problèmes relationnels importants sont rapidement survenus entre Monsieur P.J. et un professeur d’histoire, qui avait également postulé sans succès à la fonction de directeur et qui a finalement remplacé la sous-directrice lorsque celle-ci a quitté ses fonctions en mai 2002.

Le directeur et le sous-directeur se reprochent mutuellement d’être à l’origine de la situation de plus en plus tendue entre la direction et la sous-direction.

Le 18 octobre 2003, un conseil d’administration extraordinaire de l’employeur examine la situation et arrive à la conclusion que l’origine de la situation tendue doit être attribuée à un manque grave de déontologie, voire d’humanité, de la part de Monsieur P.J. et décide en conséquence de mettre fin au contrat dans sa fonction de directeur ad intérim. Le conseil d’administration délègue par ailleurs au président le soin d’en informer Monsieur P.J. en rappelant que ce dernier pourra présenter sa défense lors de son audition devant des représentants de l’assemblée générale du pouvoir organisateur le vendredi 5 décembre 2003 à 17 heures.

En exécution de cette décision, le président du pouvoir organisateur a remis en mains propres à Monsieur P.J. une convocation en vue d’envisager son licenciement éventuel dans sa fonction de directeur temporaire sur la base de motifs indiqués dans la convocation.

Après avoir rencontré le même jour la personne de confiance de l’institut, Monsieur P.J. déposera le 30 novembre 2003 une plainte du chef de harcèlement moral contre le sous-directeur.

Il sera auditionné par le pouvoir organisateur le 5 décembre 2003 et le 8 décembre 2003, il sera licencié de sa fonction moyennant préavis de quinze jours par lettre recommandée, dans laquelle les motifs du licenciement seront détaillés.

Le 29 décembre 2003, Monsieur P.J. sollicitera sa réintégration dans sa fonction de directeur sur le fondement de l’article 32 tredecies §3 de la loi du 4 août 1996 modifiée par la loi du 11 juin 2002.

Sa demande fera l’objet d’une fin de non-recevoir pour le motif que le licenciement est totalement étranger à la plainte déposée du chef de harcèlement.

Le 5 avril 2004, Monsieur P.J. assigne le pouvoir organisateur devant le tribunal du travail de Mons.

Il demande le paiement de l’indemnité de protection correspondant à six mois de rémunération (article 32 tredecies §4 de la loi du 4 août 1996 modifiée par la loi du 11 juin 2002).

Par conclusions de synthèse du 22 mars 2006, le pouvoir organisateur introduit une demande reconventionnelle fondée sur le caractère abusif de la plainte pour harcèlement déposée par Monsieur P.J. et sollicite dès lors sa condamnation à payer des dommages et intérêts du chef de plainte abusive, et ce dans la seule hypothèse où sa demande principale serait déclarée fondée.

Les positions des parties

Le demandeur soutient que :

  • son licenciement n’est pas étranger à la plainte déposée puisque la lettre de licenciement fait allusion au conflit existant entre lui-même et le sous-directeur,
  • le licenciement est intervenu après le dépôt de la plainte auprès de la personne compétente (le conseiller en prévention), qui l’a prise en considération et traitée selon la loi, ce qui suffit pour faire jouer la protection,
  • il n’a nullement déposé plainte dans le but d’empêcher son employeur de le licencier et ignorait que la plainte pouvait entraîner le processus de licenciement,
  • tout au plus, a-t-il commis une erreur d’appréciation en qualifiant à tort le comportement du sous-directeur de harcèlement moral,
  • les éléments du dossier démontrent qu’il n’a pas abusé de son droit (les difficultés avec le sous-directeur sont réelles et connues de l’employeur, sa plainte était longuement motivée, elle a été prise au sérieux par la personne de confiance, qui a saisi l’inspection médicale).

Le demandeur en déduit qu’il a effectivement été licencié en dépit de la protection dont il doit bénéficier et pour des motifs étroitement liés à sa plainte, ce qui justifie le paiement de l’indemnité forfaitaire égale à six mois de sa rémunération.

Pour sa part, l’employeur fait valoir que :

  • la plainte du chef de harcèlement moral déposée par J.P. avait pour but de bénéficier de la protection contre un licenciement qu’il pensait inéluctable,
  • le licenciement n’est pas en relation avec la plainte pour harcèlement puisque la décision de licencier est antérieure au dépôt de la plainte,
  • la décision de licencier est motivée par le comportement de J.P. à l’égard du sous-directeur et des sources de tension entre le pouvoir organisateur et la direction,
  • rien ne démontre que l’employeur a été informé officiellement par le conseiller en prévention du dépôt de la plainte pour harcèlement avant le licenciement alors que la protection du travailleur ne peut commencer qu’à partir de cette information officielle,

La décision du tribunal

Vu l’objet limité des demandes principales et reconventionnelles, le tribunal examinera uniquement si le licenciement est ou non antérieur à la plainte déposée par J.P. et, dans l’affirmative, si les motifs ayant justifié le licenciement de celui-ci sont ou non étrangers à sa plainte.

Le tribunal rappelle tout d’abord les caractéristiques du congé, étant l’acte par lequel une partie notifie à l’autre qu’elle entend que le contrat de travail prend fin.

Le congé est un acte unilatéral, irrévocable, ne pouvant être assorti d’une condition résolutoire ou suspensive. La volonté de rompre doit être extériorisée mais également notifiée, c’est-à-dire portée à la connaissance du co-contractant, s’agissant d’un acte réceptif requérant une déclaration de volonté orientée vers le destinataire.

Par conséquent, le congé n’atteint sa perfection que lorsque le processus de notification est achevé c’est-à-dire lorsque le destinataire en a eu connaissance ou est présumé en avoir eu connaissance.

Le tribunal en déduit que la décision de licencier P.J. a été portée à sa connaissance par lettre recommandée du 8 décembre 2003 soit postérieurement à la plainte motivée adressée au conseiller en prévention.

Certes, le conseiller en prévention est chargé d’informer immédiatement l’employeur du fait que le travailleur bénéficie de la protection (article 32 tredecies §1er de la loi du 11 juin 2002) mais le fait que l’employeur licencie un travailleur protégé dont il ignore la protection n’a pas d’influence car dans ce cas l’employeur pourra établir facilement que le licenciement est étranger au dépôt de la plainte. Il appartient dès lors bien à l’employeur de prouver que le licenciement est fondé sur des motifs étrangers à la plainte motivée pour harcèlement moral par l’employeur, qui a donc été licencié durant la période de protection.

Sur la base des éléments du dossier, le tribunal estime que tel est bien le cas.

Le tribunal rappelle fort opportunément que l’objectif de la loi est de protéger le travailleur contre une réaction de l’employeur à la suite du dépôt d’une plainte motivée, et ce pour empêcher les licenciements effectués par représailles au dépôt d’une plainte motivée par un travailleur qui se prétend victime de harcèlement.

Il s’agit de motifs étrangers à la volonté et non de motifs étrangers au motif de la plainte. Or, en l’espèce, le congé trouve son fondement dans des faits étrangers en eux-mêmes au dépôt de la plainte puisque l’employeur a voulu mettre un terme à la dégradation des relations entre le directeur et le so->441]us-directeur, nuisible au bon fonctionnement de son établissement d’enseignement.

Le tribunal n’a donc pas à se prononcer, vu l’objet limité des demandes, sur l’exactitude des motifs invoqués par l’employeur pour licencier le travailleur.

Il lui suffit de constater que le licenciement dont a été victime P.J. n’est pas la conséquence du dépôt de la plainte de ce dernier mais bien la suite logique de son comportement, dénoncé par l’employeur (à tort ou à raison) avant le dépôt de la plainte.

Intérêt de la décision

La décision de licencier un travailleur n’est « parfaite » qu’au moment où ce dernier en a eu connaissance ou est présumé avoir eu connaissance de la manifestation de la volonté de l’auteur de la décision.

Partant, une éventuelle procédure préalable au licenciement ne doit pas être prise en considération pour déterminer si le travailleur a été licencié durant la période de protection prévue en cas de dépôt d’une plainte pour harcèlement moral.

Par ailleurs, pour que la protection joue, il importe peu que l’employeur ait été informé officiellement par le conseiller en prévention du dépôt de la plainte du chef de harcèlement avant le licenciement, le conseiller en prévention étant cependant chargé d’informer « immédiatement » l’employeur du fait que le travailleur bénéfice de la protection lorsque la procédure sur base de la plainte motivée est entamée au niveau de l’entreprise ou de l’institution.


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