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Non-dégressivité des allocations de chômage : possibilité d’une révision avec effet rétroactif ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/167

Mis en ligne le vendredi 26 mai 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 21 décembre 2022, R.G. 2022/AL/167

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 décembre 2022, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend les conditions d’existence d’un « fait nouveau » permettant la révision d’une décision sur la question de la dégressivité dans le temps des allocations de chômage.

Les faits

Une employée, engagée début 2013, tombe en incapacité de travail pendant sa période d’essai. Elle est licenciée le 9 janvier 2014 au motif d’une incapacité de sept jours calendrier ininterrompus. Neuf mois plus tard, elle est remise au travail par son organisme assureur (remise au travail d’ordre administratif – stage insuffisant). Elle introduit une demande d’allocations de chômage en 2014 après une période d’inactivité. Elle perçoit les allocations. L’année suivante, vu son passé professionnel, elle est informée de la dégressivité du taux d’indemnisation, aucune référence n’étant faite à l’exception résultant de l’inaptitude permanente d’au moins 33%. En 2016, elle sollicite la réouverture de son dossier pour réévaluer celle-ci afin d’être rétablie dans son droit aux allocations avec le taux d’indemnisation initial. Elle produit un certificat médical circonstancié.

La décision de l’ONEm, qui interviendra en janvier 2017, admet l’inaptitude permanente de 33%, mais à partir de novembre 2016 uniquement et non depuis le départ. L’intéressée fait alors une demande de reconnaissance rétroactive. L’ONEm procède à l’examen de la période antérieure, soit en novembre 2015 (date du passage en deuxième période d’indemnisation). Après de nouveaux échanges, l’ONEm maintient son refus de révision rétroactive en l’absence de force majeure.

Un recours est introduit contre la CAPAC, l’intéressée mettant la responsabilité de celle-ci en cause au motif qu’elle ne l’a pas informée dès la demande d’allocations de la possibilité de faire reconnaître son handicap (pourtant visible), ce qui a eu pour effet d’entraîner la dégressivité de ses allocations de chômage. L’information ne lui aurait été donnée qu’en novembre 2016 par le FOREm.

Le Ministère public ayant mis l’ONEm à la cause, la demande est étendue vis-à-vis de celui-ci.

Le jugement dont appel

Le tribunal du travail a débouté l’intéressée de ses demandes.

Elle interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelante estime qu’elle remplit les conditions pour bénéficier des allocations de chômage sans dégressivité à partir du 14 novembre 2015 et, en conséquence, sollicite le paiement des allocations et/ou de dommages et intérêts correspondant à la différence entre ce qu’elle a perçu et ce à quoi elle pouvait prétendre. A titre subsidiaire, elle sollicite la désignation d’un expert, avec pour mission de dire si son inaptitude permanente d’au moins 33% admise en janvier 2017 existait déjà en novembre 2015. Elle produit des éléments d’ordre médical, dont il ressort qu’elle souffre d’un handicap locomoteur des membres inférieurs, handicap manifestement visible et que l’employé de la CAPAC aurait dû prendre en compte afin de la diriger vers un examen médical.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation du jugement, précisant qu’il n’a pris aucune décision qui soit attaquée dans le recours introduit par l’intéressée.

Enfin, la CAPAC, qui sollicite également la confirmation du jugement, conteste toute faute dans son chef, que ce soit au regard de son devoir d’information ou de son obligation d’initiative. Elle souligne que le formulaire C1 comprend une case relative à l’incapacité permanente d’au moins 33% et que l’intéressée a toujours coché celle-ci en répondant par la négative.

L’avis du ministère public

Le ministère public conclut à la réformation du jugement, estimant qu’il y a deux fautes dans le chef de la CAPAC ayant entraîné un dommage. Ces deux fautes consistent dans le fait qu’elle a été confrontée à un demandeur d’emploi de près de cinquante ans se déplaçant avec un déambulateur et que la personne qui reçoit ce demandeur doit l’orienter vers un examen médical dans l’optique de la reconnaissance de l’inaptitude permanente d’au moins 33%, nonobstant les mentions qu’elle aura complétées sur son formulaire C1. En outre, la CAPAC n’a pas joint à la demande de révision qu’elle a introduite un certificat médical qui eût permis de procéder à celle-ci, mais un certificat postérieur, entravant ainsi le succès de la démarche.

La décision de la cour

La cour rappelle le processus de la dégressivité des allocations (article 114 de l’arrêté royal). Après la première période d’indemnisation de douze mois, le bénéficiaire d’allocations entre dans une deuxième période de deux mois, celle-ci étant augmentée de deux autres mois par année de passé professionnel (avec un maximum de trente-six mois). Une dégressivité interviendra après douze mois, sauf pour le chômeur qui présente un taux d’inaptitude permanente au travail d’au moins 33%. Une demande tardive peut être admise s’il est établi que le travailleur satisfaisait initialement aux conditions.

Elle reprend les termes de l’article 149, § 2, permettant de prendre une décision avec effet rétroactif en cas de refus ou d’octroi partiel des allocations si le chômeur invoque un fait nouveau ou un nouvel élément de preuve ignoré et de nature à entraîner la modification ou l’annulation de la décision.

La cour renvoie à RioLex (ONEm, RioLex, article 149, commentaire n° 11, 9 juin 2008) pour la définition du « fait nouveau » : c’est soit (i) un fait qui n’existait pas encore au moment où la décision initiale a été prise, soit (ii) un fait qui existait déjà mais qui était ignoré du chômeur, ou encore (iii) un fait qui existait et qui était connu du chômeur mais qu’il ne pouvait raisonnablement communiquer avant que la décision soit prise, ne s’agissant pas d’une composante normale du dossier administratif.

Les instructions administratives permettent ainsi de prendre une nouvelle décision avec effet rétroactif si un « nouvel » élément est présenté (et qui ne devait pas ou ne pouvait pas l’être auparavant) ou sans effet rétroactif si un élément de preuve « ancien » est présenté (qui devait ou pouvait être présenté auparavant).

La cour rappelle encore l’obligation générale de proactivité de la Charte de l’assuré social ainsi que les obligations des organismes de paiement, issues à la fois de la Charte et de l’arrêté royal organique chômage, de conseiller gratuitement le travailleur et de lui fournir toutes informations utiles concernant ses droits et ses devoirs. Figurent parmi celles-ci les informations et formalités permettant au chômeur d’introduire en temps utile un dossier complet, de s’inscrire comme demandeur d’emploi, de déclarer sa situation personnelle et familiale et de se soumettre au contrôle des périodes de chômage complet.

L’ONEm a les mêmes obligations à titre résiduaire.

Examinant les griefs faits à la CAPAC, la cour les rejette. Elle conclut, sur le premier point (déclaration de l’inaptitude permanente d’au moins 33%) que la réponse qui a été apportée par l’intéressée sur le formulaire l’a été librement et que les éléments d’information visuels dont dispose l’agent ne lui permettent pas de contredire la déclaration de l’intéressée elle-même. Par ailleurs, pour la question du certificat médical, la cour retient que la situation est corrigée, la pièce étant jointe au dossier instruit par elle.

Elle aborde, ensuite, le fondement de l’action en ce qui concerne l’ONEm. Elle estime que l’intéressée invoque un fait nouveau qu’elle n’aurait pas pu invoquer plus tôt, dans la mesure où elle ignorait la portée d’une telle reconnaissance et qu’elle a d’ailleurs soutenu son contraire, vu les réponses apportées sur le formulaire C1. C’est un fait qui existait déjà, le chômeur satisfaisant initialement aux conditions, mais qui était ignoré de lui.

Sur le plan médical, la cour note que le médecin agréé de l’ONEm n’était pas en possession de la documentation lui permettant d’apprécier la situation en novembre 2015. Or, tel est actuellement le cas. Elle condamne dès lors l’ONEm au paiement des allocations, sans application de la dégressivité, tenant compte de l’inaptitude permanente d’au moins 33% reconnue rétroactivement en novembre 2015.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège reprend étape par étape la problématique du fait nouveau (ainsi que ses diverses hypothèses) permettant la révision d’une décision administrative, et ce avec effet rétroactif.

Le fait nouveau peut, comme détaillé par la cour, soit être un fait qui n’existait pas encore au moment où la décision a été prise (l’exemple étant donné d’un jugement postérieur condamnant le chômeur à payer rétroactivement une pension alimentaire) ou qui existait mais était ignoré du chômeur, ou encore était connu de celui-ci mais n’apparaissait pas comme une « composante normale du dossier administratif » (ainsi une donnée dont il n’est pas fait mention sur les formulaires chômage), le chômeur n’ayant pas eu la possibilité de communiquer celle-ci dans le cadre de l’introduction de sa demande.

En l’espèce, la cour a constaté que le fait nouveau existait (faisant la distinction entre le fait nouveau et un élément de preuve nouveau), que l’intéressée n’aurait pas pu l’invoquer plus tôt dans la mesure où elle ignorait la portée de la reconnaissance de l’inaptitude permanente de plus de 33% et qu’elle avait d’ailleurs répondu négativement à la question sur le formulaire C1.

C’est au sens des instructions administratives un fait qui existait déjà mais qui était ignoré du chômeur. La cour interprète la condition d’être « ignoré du chômeur » comme visant la portée du fait lui-même, c’est-à-dire ses effets sur son droit aux allocations non dégressives.


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