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Interruption de carrière : caractère discriminatoire de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 avant sa modification par la loi du 7 octobre 2022 ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 7 mars 2023, R.G. 2021/AL/267

Mis en ligne le vendredi 26 mai 2023


Cour du travail de Liège (division Liège), 7 mars 2023, R.G. 2021/AL/267

Terra Laboris

Une travailleuse de plus de cinquante-cinq ans en crédit-temps a été licenciée.

La cour s’est interrogée, dans un premier arrêt du 2 mai 2022, sur un éventuel ancrage européen du droit aux aménagements de fin de carrière d’un travailleur âgé ainsi que sur une discrimination directe ou indirecte éventuelle en fonction de l’âge, que ce soit au regard du droit interne ou du droit européen, l’employeur ayant calculé l’indemnité compensatoire de préavis sur la base du salaire réduit en raison du crédit-temps.

La cour rappelle le régime du crédit-temps non subordonné à un motif particulier, étant l’exigence de la condition d’âge (cinquante-cinq ans minimum) et d’ancienneté (vingt-cinq années), l’âge minimum pouvant être ramené à cinquante ans dans les métiers lourds avec une longue carrière ou avec prestations dans une entreprise reconnue comme entreprise en difficulté ou en restructuration. Le crédit-temps de fin de carrière peut être pris soit par diminution de la carrière d’un-cinquième (un jour ou deux demi-jours par semaine), soit par diminution, sous la forme d’une réduction des prestations à mi-temps. S’agissant de l’aménagement d’une fin de carrière, une interruption à temps plein n’est pas autorisée.

La cour reprend les interventions de la Cour constitutionnelle en matière d’interruption de carrière (au sens large), et particulièrement celles dans le cadre de la C.C.T. n° 77bis (qui a précédé la C.C.T. n° 103), s’agissant des arrêts du 10 novembre 2011 (n° 167/2011) et 15 décembre 2011 (n° 191/2011).

Elle constate cependant que l’argumentaire, dans les deux arrêts, est depuis lors dépassé par les faits et qu’un angle nouveau mérite d’être abordé, étant celui de la discrimination indirecte sur la base de l’âge et de l’article 23 de la Constitution.

Elle développe longuement la thématique, reprenant notamment l’ajout inséré par la loi du 7 octobre 2022 transposant partiellement la Directive (UE) n° 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la Directive n° 2010/18/UE du Conseil et réglementant certains autres aspects relatifs aux congés. Celle-ci a ajouté à l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 un § 2/1, qui dispose que, lorsqu’il est mis fin au contrat de travail durant une période de réduction des prestations de travail dans le cadre du chapitre IV, section 5, de la loi de redressement du 25 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, et pour autant que cette modification des conditions de travail n’ait pas été conclue pour une durée indéterminée, l’on entend par « rémunération en cours » au sens du § 1er la rémunération à laquelle le travailleur aurait eu droit en vertu de son contrat de travail s’il n’avait pas réduit ses prestations de travail. La modification est intervenue vu la jurisprudence récente de la Cour de Justice, de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation.

La cour pose en conséquence la question de savoir si, dès lors que le législateur a décidé d’aligner tous les régimes d’interruption de carrière sur le congé parental dans un souci de sécurité juridique, de transparence et d’égalité de traitement, il n’y a pas rétroactivement lieu de constater une discrimination à laquelle il a depuis lors été mis un terme par la loi.

Elle décide dès lors de réinterroger la Cour constitutionnelle sur le texte de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 avant sa modification légale, s’agissant de savoir si cette disposition et/ou les articles 103bis ou 103quinquies de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales violaient ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que le travailleur de cinquante-cinq ans ou plus bénéficiant d’un crédit-temps en application de la C.C.T. n° 103 (et donc en-dehors du congé parental) n’avait droit à l’époque des faits, en cas de licenciement, qu’à une indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération pour les prestations de travail réduites, alors que le travailleur qui bénéficiait d’une réduction de prestations dans le cadre du congé parental pouvait percevoir l’indemnité de préavis calculée sur la base de la rémunération à laquelle il aurait eu droit s’il n’avait pas réduit ses prestations.

La cour décide également de poser une question eu égard à une éventuelle violation du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle dans le cadre d’une politique générale de l’emploi visant entre autres à assurer un niveau d’emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables garanti par l’article 23 de la Constitution.


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